Affaires économiques
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Il est nécessaire d’exclure l’agriculture du champ des négociations des accords de libre-échange
Produits agricoles ou alimentaires -
Par Cécile Cukierman / 3 avril 2019Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui prévoit de réintroduire des dispositions votées dans la loi Égalim, mais ayant été censurées par le Conseil constitutionnel.
Cette proposition de loi a donc plusieurs objectifs : il s’agit de permettre une certaine diversification des productions, une valorisation de certains signes de qualité et une information plus éclairée des consommateurs. Dans les faits, il s’agit de continuer à protéger certaines appellations d’origine, tout en permettant aux agriculteurs de valoriser des productions qui ne correspondent pas forcément aux cahiers des charges.
L’article 1er permet l’usage de la mention « fermier » sur les fromages bénéficiant d’un signe officiel d’identification de la qualité et de l’origine et dont l’affinage a lieu en dehors de l’exploitation, dès lors que le consommateur en est informé.
L’article 2 abroge la loi de 1957, qui interdisait aux viticulteurs de produire d’autres vins mousseux que de la Clairette de Die au sein de l’AOC du même nom. Si cet article est adopté, il permettra aux producteurs de ce territoire de diversifier leur production et de proposer des vins plus en vogue aujourd’hui chez certains consommateurs, notamment des vins mousseux rosés, afin d’améliorer leurs revenus. Ils ne pourront toutefois pas, et c’est logique, nommer ce vin « Clairette de Die », dans la mesure où le cahier des charges de l’AOC ne le prévoit pas.
Ce texte prévoit également la mention sur les étiquettes de l’origine des miels issus de mélanges de productions, mais aussi l’indication obligatoire du pays d’origine des vins, afin de permettre une information éclairée du consommateur et de lutter contre les contrefaçons ou les indications abusives d’origines.
Si nous partageons l’objectif central de ce texte, nous devons cependant veiller à ce qu’il ne dénature pas la protection accordée à certains produits ; je pense au label fermier pour les fromages.
Lors des auditions auxquels nous avions procédé en vue de la préparation de la loi Égalim, nous avions été alertés sur les risques d’une extension du label « fromage fermier » aux fromages ne bénéficiant pas d’un signe de qualité. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle notre groupe n’avait pas voté l’article dans sa rédaction issue des travaux du Sénat, laquelle renvoyait à « la notion d’usages traditionnels » pour délivrer le label « fromage fermier ». Cette formulation ne permettait pas de se prémunir contre des risques d’industrialisation.
À l’heure où les signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine sont dangereusement attaqués du fait de la prolifération des traités de libre-échange, il est impératif de ne pas les fragiliser.
Il faut au contraire les valoriser. En effet, ils permettent de créer de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne alimentaire. Ils favorisent la variété et la diversification de la production. Ils protègent bien évidemment les bassins de production traditionnels, valorisent le savoir-faire des agriculteurs, et permettent aux producteurs de commercialiser des produits différenciés ayant des caractéristiques clairement identifiables.
Ces produits ont d’ailleurs un poids économique réel. Le Conseil économique, social et environnemental, le CESE, rappelait ainsi en 2016 que les quelque 1 100 produits sous signe officiel d’identification de la qualité et de l’origine représentaient un chiffre d’affaires total de 30 milliards d’euros, soit plus d’un tiers de la valeur de la production agricole française.
Pourtant, de nombreux traités menacent ces signes officiels, qu’il s’agisse du TAFTA, le traité de libre-échange transatlantique, de l’accord entre l’Union européenne et la Nouvelle-Zélande, ou encore du CETA, l’accord économique et commercial global, dont nous attendons toujours de connaître la date de ratification par le Parlement.
Ainsi, le Canada n’a reconnu que des indications protégées européennes. Sur près de 1 400 IGP, seuls 173 produits ont été reconnus. En outre, la protection qui leur sera accordée est loin d’être absolue, puisque le Canada a négocié le maintien provisoire ou définitif de certaines appellations similaires existantes.
C’est pourquoi nous insistons, monsieur le ministre, sur la nécessité d’exclure l’agriculture du champ des négociations des accords de libre-échange.
Sinon, nous pourrons toujours produire des rapports ou mettre en avant l’unanimité qui prévaut ici lorsqu’il s’agit de défendre notre agriculture, la qualité de nos produits, les consommateurs, l’augmentation des revenus des agriculteurs afin que ceux-ci puissent vivre dignement, nous verrons, du fait de la mondialisation accrue et des lois commerciales de plus en plus rudes pour les plus petits, indépendamment de la loi Égalim, disparaître, à force d’être fragilisés, celles et ceux qui s’efforcent aujourd’hui de produire une agriculture saine, de qualité et accessible au plus grand nombre.
Finalement, notre belle agriculture, la belle gastronomie française que vous évoquiez tout à l’heure, monsieur le ministre, ne sera plus dans quelques années qu’un lointain souvenir. Ce serait bien dommage !
En l’état, nous voterons ce texte.