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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La réintroduction des néonicotinoïdes bafoue la Charte de l’environnement

Mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques : exception d’irrecevabilité -

Par / 27 octobre 2020
La réintroduction des néonicotinoïdes bafoue la Charte de l’environnement

Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a quinze ans, le Parlement réuni en Congrès votait à l’unanimité la Charte de l’environnement, un moment fort dans l’histoire politique de notre pays, qui se plaçait ainsi en précurseur pour la protection du vivant et de la biodiversité.

Ce texte, comme vous le savez, a intégré le bloc de constitutionnalité à la faveur de la révision constitutionnelle du 1er mars 2005.

Pourtant, le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui entre manifestement en contradiction avec la lettre et l’esprit de ce texte fondateur.

Que savons-nous aujourd’hui ?

Pas moins de 1 200 études démontrent que les néonicotinoïdes empoisonnent durablement les sols et tout ce qui y pousse, avec ou sans fleur, entraînant des conséquences mortifères de par leurs composés chimiques aux effets neurotoxiques graves.

Ces pesticides, qui persistent pendant près de cinq ans dans les sols, peuvent contaminer les zones en bordure des champs, être transportés par ruissellement dans les cours d’eau et polluer les nappes phréatiques.

Leurs effets sont tellement puissants qu’ils sont jugés 7 287 fois plus toxiques que l’ancien DDT.

Depuis leur introduction dans les années 1990, la production de miel en France a été divisée par trois et la France importe plus de 70 % du miel consommé sur son sol.

Cette situation est liée à la quasi-disparition des abeilles, comme en témoigne la perte de 300 000 ruches par an.

Plus généralement, nous constatons aujourd’hui la disparition massive des insectes, des oiseaux, des invertébrés aquatiques et des vers de terre : 80 % des insectes volants ont disparu en Europe ces trente dernières années selon une étude de 2017. Il y a même des signaux d’alarme concernant la santé humaine, selon l’Autorité européenne de sécurisation des aliments.

Or, la fonction des abeilles comme des insectes est essentielle, et même vitale pour notre biotope. Les services écosystémiques sont donc largement perturbés par l’utilisation de ces produits.

Je vous rappelle encore que les insectes pollinisateurs sont essentiels à 85 % des plantes cultivées.

Des chercheurs de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) viennent en ce sens de prouver que la pollinisation par les abeilles surpassait l’utilisation de produits phytopharmaceutiques dans le rendement et la rentabilité du colza.

Au regard de ces éléments scientifiques, comment ne pas déceler la contradiction majeure entre la réintroduction de ces substances mortifères et la Charte de l’environnement ?

Un premier considérant de la Charte affirme « que l’avenir et l’existence même de l’humanité sont indissociables de son milieu naturel ». Par conséquent, si rien n’est fait pour protéger la biodiversité, l’avenir de l’humanité sera en péril. Nous en avons concrètement la preuve. Si l’utilisation des pesticides, particulièrement des néonicotinoïdes, du glyphosate ou du chlordécone n’est pas totalement interdite, alors les équilibres écosystémiques seront entachés par l’empoisonnement durable du sol et du vivant. Si l’on y ajoute les dérèglements climatiques, nous sommes clairement face à un cocktail explosif pour l’avenir même du vivant.

Par ailleurs, selon un deuxième considérant de la Charte, la « diversité biologique, l’épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l’exploitation excessive des ressources naturelles ».

Très clairement, cela signifie que mode de production et protection de l’humanité sont liés. Si le premier ne permet pas de garantir l’autre, alors les principes mêmes du développement durable ne sont pas respectés, puisque performance économique doit se conjuguer avec performance sociale et performance environnementale. Il est important de ne pas perdre de vue cette articulation.

Ces considérants de la Charte de l’environnement n’instituent certes aucun droit ou liberté. Cependant, ils sont reconnus de valeur constitutionnelle par une décision de 2014 et devraient donc éclairer nos débats.

Nous considérons également que le présent texte est antinomique avec au moins deux des articles plus directement opposables de la Charte. En réalité, nous pourrions tous les citer…

Mais il s’oppose plus particulièrement à son article 2, qui pose le principe selon lequel « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». En réintroduisant les néonicotinoïdes, vous empêchez les agriculteurs d’exercer ce devoir, les plaçant de fait dans le rôle, non pas d’acteur de la transition écologique, mais de menace pour la biodiversité.

Ainsi, vous arguez que cette exception d’interdiction est la seule voie pour permettre l’exploitation dans des conditions économiquement acceptables de la betterave à sucre.

Pourtant, d’autres choix sont possibles et les alternatives n’ont été que peu étudiées.

Nous noterons d’ailleurs que les cultures bio ont été moins touchées.

Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. C’est faux !

Mme Éliane Assassi. Nous considérons ainsi qu’il convient, avec le soutien des agriculteurs, d’opérer une réorientation totale de notre modèle agricole permettant de sortir du modèle des monocultures intensives. (M. Bruno Sido s’exclame.) Il s’agit ainsi de promouvoir une juste rémunération, le retour des politiques du quota qui prévalaient jusqu’en 2017, la rotation des cultures et, surtout, la sortie des accords de libre-échange favorisant le moins-disant économique, social et environnemental. Je pense que vous serez d’accord avec moi. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)

Les intérêts de long terme de l’agriculture sont donc convergents avec les intérêts de préservation de l’environnement : il faut sortir du libéralisme qui exploite les hommes et gaspille les ressources pour le profit de quelques-uns.

M. Vincent Segouin. Cela n’a rien à voir !

Mme Éliane Assassi. Placer ce débat sous l’unique prisme de la souveraineté, comme vous le faites, monsieur le ministre, est donc en soi une méconnaissance de la Charte de l’environnement en opposant agriculture et environnement.

La jurisprudence devrait, y compris sur ce terrain, vous inciter à la prudence. En effet, dans sa décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a consacré la préservation de l’environnement comme enjeu supérieur à la liberté d’entreprendre.

Par ailleurs, l’article 5 de la Charte de l’environnement dispose : « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. »

En l’espèce, nous considérons que le principe de précaution impose de ne pas revenir sur l’interdiction générale et absolue de l’usage des néonicotinoïdes posée lors de l’examen de la loi portant reconquête de la biodiversité en 2016.

M. François Bonhomme. Ce n’est pas le cas !

Mme Éliane Assassi. Il s’agit bien de la seule et unique manière de parer à la réalisation du dommage lié à l’utilisation de ces substances incontrôlables dans l’espace et dans le temps.

Ainsi, le risque grave et irréversible est largement caractérisé ; je ne reviens pas sur les études mentionnées. Par ailleurs, dans un arrêt de 2013, le Conseil d’État a jugé que l’existence d’un tel risque doit être regardée comme une « hypothèse suffisamment plausible en l’état des connaissances scientifiques pour justifier l’application du principe de précaution ». Il est clair, en l’espèce, que le risque est pour le moins « plausible », c’est même un euphémisme.

Enfin, l’article 7 de la Charte est bafoué. Il affirme que « toute personne a le droit […] d’accéder aux informations relatives à l’environnement ». Ce projet de loi, en effet, ne prévoit pas la faculté pour nos concitoyens de savoir où de telles dérogations seront accordées et quels terrains seront concernés.

Enfin, et même si ce principe n’a pas à proprement parler de valeur constitutionnelle, la loi Biodiversité du 8 août 2016 a consacré le principe de non-régression du droit de l’environnement, selon lequel la protection de l’environnement ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment.

Ce principe de non-régression est par ailleurs considéré comme un principe général du droit international de l’environnement, d’abord au titre du principe de coopération affirmé par la déclaration de Stockholm de 1972, selon lequel les États coopèrent, non pas pour diminuer la protection de l’environnement, mais, bien au contraire, pour toujours la renforcer et « conserver, protéger et rétablir la santé et l’intégrité de l’écosystème terrestre ».

Ensuite, au titre de la durabilité, qui implique un effort continuel des États pour atteindre un développement compatible avec les limites de la terre, comme cela a été réaffirmé amplement à l’occasion de la Conférence Rio+20 dans le document L’Avenir que nous voulons.

Par ailleurs, le congrès mondial de l’Union internationale pour la conservation de la nature a adopté, le 15 septembre 2012, une motion sur la non-régression, qui vise non seulement la nécessité de protéger les acquis de Rio, mais aussi tous les acquis des politiques et du droit de l’environnement, à l’échelle tant nationale qu’internationale.

En l’espèce, permettre au pouvoir réglementaire de revenir sur une interdiction législative nous situe très clairement dans la régression environnementale.

S’il est adopté, ce texte constituera un point d’appui à tous ceux qui luttent sans faille depuis 2016 pour défaire ce que le Parlement a fait.

En ouvrant la brèche pour le secteur betteravier, ce projet de loi crée aussi le risque d’un contentieux sans fin pour l’ensemble des autres cultures au nom du principe d’égalité, reconnu lui aussi constitutionnellement.

Au fond, ces questions sont bien trop sérieuses pour laisser les lobbies tenir la main du législateur. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Vincent Segouin. Mais bien sûr…

M. Laurent Duplomb. Et le lobby écologiste ? (Protestations sur les travées du groupe GEST.)

Mme Éliane Assassi. Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste votera contre ce texte !

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