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Affaires économiques

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une privatisation du patrimoine de la nation

Évolution du logement, de l’aménagement et du numérique : question préalable -

Par / 16 juillet 2018

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en France, 900 000 personnes sont privées de logement personnel ; 4 millions de personnes sont mal logées ; 12 millions de personnes sont fragilisées par rapport au logement, par le surpeuplement, les impayés, l’insalubrité ou la précarité énergétique. Ce sont les chiffres du rapport de la Fondation Abbé-Pierre. Rappelons-nous que, derrière ces chiffres, il s’agit quand même de 15 millions de nos concitoyens.

Le Président lui-même l’a dit : personne ne peut supporter aujourd’hui, dans notre pays, que des gens dorment et meurent dans la rue. Nous ne supportons pas non plus, pour notre part, que reprenne chaque 1er avril le ballet des expulsions locatives sans relogement pour des personnes toujours plus fragilisées et précarisées, prises dans la spirale infernale du déclassement et de l’exclusion. Cela ne va nullement s’arranger avec votre politique générale.

Avec l’emploi, l’éducation et la sécurité, le logement est une priorité de nos concitoyens, du fait de la cherté et du manque de logement.

Face à ce défi du mal-logement, qui ronge notre pacte républicain, il faut des réponses fortes, globales et structurantes de la part des pouvoirs publics.

À l’inverse, nous avons là un texte qui prône la dérégulation, la déréglementation et la privatisation du patrimoine de la Nation.

Sur la forme, nous pouvons regretter un texte lourd, véritable patchwork de mesures, sans autre fil directeur que celui du désengagement de l’État de ce secteur d’intérêt général répondant à un droit constitutionnel.

De 66 articles initialement, ce texte a triplé à l’Assemblée nationale, et le Sénat ne l’a pas allégé. Il est aujourd’hui plus épais que le code du travail. Il est d’ailleurs à noter que, lorsqu’il s’agit de protéger les salariés, vous trouvez le code du travail trop volumineux, archaïque, alors qu’il est l’héritage d’un siècle de luttes et de conquêtes sociales. En revanche, lorsqu’il s’agit de casser notre modèle du logement unique en Europe en quelques semaines, la complexité n’est étrangement plus un problème insurmontable pour vous, l’épaisseur est même moderne, car elle est l’un des outils au service de votre politique de casse sociale.

Monsieur le ministre, reprenons en quelques mots le chemin de croix que va affronter un futur demandeur de logement social.

Une fois qu’un demandeur aura accès à un logement – sept ans en moyenne aujourd’hui à Paris –, il lui sera plus difficile de s’y maintenir par la procédure de réexamen de sa situation tous les six ans. Certes, la mobilité ne sera pas imposée, mais il sera facile de faire pression sur les locataires.

Pour les jeunes, ce sera le bail mobilité, appelé bail précarité par les associations tellement l’équilibre dans les relations entre bailleurs et locataires sera défavorable. Quel avenir pour ces jeunes qui auront disposé d’un bail mobilité de un à dix mois ? Les enchaîner pendant toutes leurs études ? Retourner chez leurs parents ? Aller engraisser les marchands de sommeil ?

Pour les personnes en situation de handicap, ce seront seulement 30 % des nouveaux logements qui seront accessibles au lieu des 100 % prévus actuellement par la loi. Pourquoi ? Pour rogner quelques mètres carrés pour des logements toujours plus petits ? Nous avons déjà perdu dix mètres carrés en dix ans.

Par contre, pour les promoteurs et autres bailleurs, c’est Noël avant l’heure. La loi relative MOP est largement contournée, le concours d’architecture supprimé, la loi Littoral malmenée. L’avis des architectes des Bâtiments de France est rendu simplement consultatif.

Pour faire vite, toute entrave à la construction, à la production de béton est levée par ce projet de loi, indépendamment des objectifs environnementaux, de préservation du foncier et de la qualité du bâti. Pourtant, mes chers collègues, le beau, ce doit être aussi pour le logement social, qui a été le lieu de toutes les innovations architecturales.

Vous vouliez « construire, mieux, plus et moins cher ». En réalité, vous construirez moins, en plus laid, pour enrichir toujours les mêmes !

Monsieur le ministre, le logement, en France, repose sur deux jambes : l’une privée, l’autre publique. Ce modèle est unique en Europe, depuis que Mme Thatcher en a détruit la version anglaise. C’est grâce à cette jambe publique que nous avons pu répondre à l’appel de l’abbé Pierre en 1954, ou encore qu’en 2008, pendant la crise des subprimes, près de 50 000 logements ont été déstockés par les bailleurs sociaux auprès des promoteurs pour qu’ils ne mettent pas la clé sous la porte.

Votre projet de loi ampute cette jambe publique. Pourtant, pour marcher, il faut les deux jambes !

Votre projet de société, c’est la précarité de la naissance à la mort ; votre devise, c’est « la France, une chance pour chacun », comme l’a dit le Président de la République lors de l’enterrement de première classe du plan Borloo. Mais, comme quand on signe un contrat, il ne faut pas oublier de lire les petits caractères en bas : une chance pour chacun, oui, surtout, si vous êtes bien né ; pour les autres, ce sera la galère à vie !

Monsieur le ministre, la France est un pays qui a une histoire, et cette histoire se respecte. On peut être de droite ou de gauche, mais on s’inscrit dans cette histoire. Nous avons un modèle social unique, que le monde entier nous envie, héritage de luttes sociales et de compromis entre différentes forces politiques, syndicales et sociales. Nous devons en être fiers ! On peut vouloir réformer, innover, mais la France a cette histoire singulière et ne se dirigera jamais comme une start-up de la Silicon Valley.

Mme Cécile Cukierman. Très bien !

M. Fabien Gay. En réalité, votre projet de loi apporte sa pierre à un édifice construit depuis les années soixante-dix et les lois Barre de marchandisation du logement.

Après la dernière loi de finances, qui a privé les bailleurs sociaux de près de 1,5 milliard d’euros, vous portez le coup de grâce au tissu d’HLM en les obligeant à vendre leur patrimoine, par lots, à la promotion privée.

Pour favoriser cette gestion déshumanisée du patrimoine, vous les obligez dans la droite ligne de la loi ALUR à se regrouper, portant une atteinte forte à l’impératif de proximité. Or, nous le savons toutes et tous dans nos territoires, avec les politiques de logement, c’est cette proximité, ce lien avec les populations qui est fondamental.

Vous encouragez cette vente par le décompte de ces logements pendant dix ans au titre de la loi SRU, renvoyant aux prochains mandats les nécessaires efforts de construction.

Vous supprimez la taxe d’habitation et réduisez les dotations aux collectivités, qui se trouvent aujourd’hui dans l’impossibilité de mener des politiques audacieuses en matière d’habitat.

Vous créez les conditions d’une explosion prochaine du mal-logement, en affaiblissant l’offre publique de logement déjà saturée. Près de 2 millions de personnes en attendent un aujourd’hui !

Mes chers collègues, le passage en commission au Sénat du projet de loi a permis une avancée et donné lieu à un recul : une avancée sur le rôle des maires, que ce soit en matière d’urbanisme ou d’avis pour la vente des logements sociaux sur leur territoire ; mais un recul majeur, celui du détricotage de la loi SRU.

Droit dans les yeux, je vous le dis : nous ne vous laisserons pas faire ! Il est usant de devoir rappeler que la loi SRU a permis la construction de plus de 500 000 logements depuis près de vingt ans.

Ici, la majorité de droite ne veut pas parler de détricotage, alors elle emploie le mot « expérimentation ». Pourtant, la loi SRU et les obligations qui en découlent doivent être respectées. Nous ne pouvons accepter que certains élus fassent du non-respect de cette loi un argument de campagne politique, souhaitant protéger les ghettos de riches des « hordes » de pauvres.

M. Philippe Dallier. Ces élus sont très peu nombreux !

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. Oui, c’est un peu excessif !

M. Fabien Gay. Dois-je vous rappeler que, suivant le dernier décompte, 1 152 communes étaient concernées et que 649 n’ont pas rempli leur objectif, seulement 269 étant carencées ? On est donc bien loin encore d’avoir atteint les objectifs initiaux !

L’obligation républicaine de solidarité doit être respectée. La mixité et le partage des espaces sont les conditions du vivre ensemble et d’une société apaisée.

Nous souhaitons faire des propositions d’avenir pour que le logement public reste le creuset de l’égalité républicaine, l’outil de la réalisation du droit au logement et à la ville.

Premièrement : interdire les expulsions sans relogement, pratique barbare, et mettre en place une sécurité sociale du logement pour apporter de la sécurité aux locataires comme aux bailleurs.

Deuxièmement : renforcer la régulation des loyers dans le secteur privé comme public. Il faut maintenir l’encadrement des loyers, mais en permettant leur baisse effective.

Troisièmement : en finir avec les surloyers qui excluent, en relevant les plafonds d’accès au logement social pour diversifier les publics, et aussi redonner des marges de manœuvre financières aux organismes d’HLM.

Enfin, nous accordons une attention spécifique à la question foncière, obstacle majeur à la construction.

Nous proposons la création d’une agence foncière pour le logement, qui serait le support d’un domaine public du logement. L’État, garant du droit au logement, en serait propriétaire, et l’usufruit serait confié aux bailleurs. Ce patrimoine serait inaliénable et aurait vocation à reprendre du terrain sur le secteur marchand.

Pour mener ces politiques, nous souhaitons que l’État se réengage dans les aides à la pierre en réorientant l’argent des niches fiscales, qui portent le nom de tous les ministres de la ville successifs et pèsent 2 milliards d’euros dans le budget de l’État et qui sont même contestées par la Cour des comptes.

Nous souhaitons que les employeurs contribuent plus encore aux bonnes conditions par un retour du 1 % à son taux initial.

Nous voulons enfin que les maires disposent financièrement et en droit de tous les outils leur permettant de répondre à l’urgence sociale.

Avant de voter cette motion tendant à opposer la question préalable, méditons sur cette phrase de l’abbé Pierre : « Chaque fois que l’on refuse 1 milliard pour le logement, c’est 10 milliards que l’on prépare pour les tribunaux, les prisons et les asiles de fous. »

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