Affaires étrangères et défense
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union Européenne
Par Robert Bret / 3 octobre 2006Monsieur le président,
Madame la ministre,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,
Près de cinquante ans après la signature, à Rome, entre les six pays de la CECA, des traités instaurant la Communauté économique européenne (CEE, "Marché commun") et la Communauté européenne de l’énergie atomique (CEEA ou Euratom), nous sommes réunis aujourd’hui pour autoriser la ratification du traité d’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie à l’Union européenne.
La construction européenne est confrontée à une crise existentielle, une crise de légitimité mise en lumière par les « non » français et néerlandais.
La Commission européenne a confirmé l’adhésion à l’UE de ces deux pays le 1er janvier 2007, assortie d’un « train de mesures d’accompagnement strictes ».
Les deux futurs membres resteront sous surveillance étroite de la Commission européenne dans plusieurs domaines.
Renonçant à repousser l’adhésion d’un an comme le lui permettait le traité d’adhésion, la Commission a décidé, pour la première fois, de mettre en place « un système de surveillance permanente » des deux futurs membres.
La Bulgarie et la Roumanie seront donc mises sous surveillance et des sanctions, appelées clauses de sauvegarde, seront appliquées au cas où les réformes qu’elles doivent poursuivre ne lèveraient pas ces difficultés.
La commission européenne propose également de contrôler les questions relatives à la sécurité alimentaire, les programmes de subventions européennes et plusieurs questions relatives à la justice et aux affaires intérieures.
Pour ne donner que quelques exemples :
Sur les fonds européens, une réduction du quart des subventions agricoles pourrait intervenir au cas où ils seraient mal utilisés.
La sauvegarde relative à la justice et aux affaires intérieures, quant à elle, permettra la suspension unilatérale des obligations des États membres actuels dans le domaine de la coopération judiciaire avec le pays en cause. Ces clauses, qui peuvent être activées jusqu’à trois ans après la date d’adhésion, pourraient prendre la forme d’une non-reconnaissance des décisions des tribunaux bulgares et roumains par les 25 ou d’une non-application du mandat d’arrêt européen à ces deux pays.
Et, pour garantir la sécurité alimentaire, la Commission a déjà décidé de maintenir l’embargo sur le porc en raison de la persistance de la peste porcine dans les deux pays
Par ailleurs, il existe des dispositions transitoires dans le traité d’adhésion, telle que la possibilité pour les États membres de restreindre la libre circulation des travailleurs des nouveaux États membres jusqu’à sept ans après l’adhésion, comme cela a également été prévu pour la main d’œuvre des 10 pays entrés en 2004.
On mesure l’efficacité de cette disposition lorsque l’on sait qu’au mois de juillet dernier, la police italienne a procédé à la libération d’une centaine de Polonais réduits en esclavage dans le sud de l’Italie. Ces ressortissants de l’Union européenne travaillaient sans contrat, enduraient des privations, des humiliations, des coups. Le procureur national antimafia, Piero Grasso a même affirmé que « ce n’étaient pas des lieux de travail, mais de véritables camps de concentration ».
Ce nouvel élargissement pose avec force le problème des disparités économiques et sociales entre les anciens et les nouveaux et futurs États membres.
Eliminer ces inégalités constitue sans doute le défi le plus important pour l’Union européenne. Or, ce défi ne pourra être relevé que grâce à la solidarité et à la coopération sur la base de l’égalité des droits et non dans les conditions actuelles où la Banque Centrale européenne et le pacte de stabilité déterminent la politique économique et sociale des Etats en dehors de tout contrôle démocratique.
Force est de constater que l’approche très étroite de la croissance économique et la rigidité excessive des accords institutionnels adoptée par l’Union européenne a conduit à l’échec. La question aujourd’hui est celle de savoir s’il on veut asseoir la croissance européenne sur des fondements solides et agir en faveur de l’emploi et du bien être des populations ou si l’on souhaite s’enfermer dans le carcan libéral des politiques de la Banque centrale et du Pacte de stabilité et de croissance.
En quinze ans, depuis la chute du mur de Berlin, les pays d’Europe centrale et orientale ont connu une purge économique et sociale. L’ Union européenne a exigé d’énormes efforts de leurs populations, qui ont absorbé les réformes imposées par l’économie libérale tandis que les inégalités n’ont cessé de se creuser entre gagnants et perdants de la transition économique.
Dés lors, on ne peut s’étonner de la montée du populisme et de l’extrémisme en Pologne, en Slovaquie, en Tchéquie ou en Hongrie.
Pourtant, cette situation déplorable n’a pas empêché la commission européenne, le 19 septembre dernier, d’annoncer que « l’Europe est sur la bonne voie ».
Je regrette que pour accueillir ces deux nouveaux pays, les gouvernants des États membres ne se montrent pas à la hauteur de l’attente des peuples.
On ne perçoit aucune volonté de mettre en oeuvre une véritable politique de relance et la bataille sur les perspectives financières a reflété l’absence d’un esprit de solidarité en Europe.
Les nouvelles perspectives financières ne répondent pas convenablement au défi de l’élargissement, alors même que, je le répète, les nouveaux et les futurs États membres sont confrontés à des problèmes économiques et sociaux considérables.
De plus, pour réussir cet élargissement, l’Union européenne se trouve à nouveau confrontée à la difficulté de maîtriser élargissement et approfondissement, ce qui signifie en particulier qu’elle parvienne à mettre en place la réforme institutionnelle et décisionnelle tant attendue.
Sur l’adhésion proprement dite de la Roumanie et de la Bulgarie à l’Union européenne, soyons clairs :
le groupe communiste républicain et citoyen accueille à bras ouverts les peuples de ces deux pays.
Aussi, nous ne nous reconnaissons pas dans les critiques véhémentes à l’égard des pays entrant, basées sur la peur, la xénophobie ou encore le coût financier que pourrait avoir un tel processus.
Tout comme nous refusons le concept de « capacité d’absorption » sur lequel Nicolas Sarkozy insistait lors de son discours à Bruxelles, le 8 septembre dernier. On le sait, ce concept a été instauré, pour freiner voire même écarter la perspective de l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne.
Loin de nous la crainte des peuples entrant. Nous sommes favorables à l’ouverture des portes de l’Europe.
Mais de quelle Europe ?
Nous devons définir les contours d’une autre Europe, d’une Europe dont les peuples ont besoin pour dépasser les ruptures de la guerre froide.
Les peuples attendent de l’Europe qu’elle soit un espace ouvert sur le monde, qu’elle renforce les échanges culturels et œuvre au rapprochement effectif des peuples.
Ils souhaitent qu’elle utilise ses atouts économiques, sociaux, culturels, scientifiques pour répondre aux besoins par des politiques sociales de haut niveau, par des services publics développés.
Ils attendent le respect des libertés, des droits, des cultures.
Même si la réalisation de ces objectifs demeure, à l’évidence, un combat au regard de la construction européenne actuelle, il n’existe pas de raison qui puisse justifier le refus de l’élargissement.
Face à cette question de l’élargissement, le défi le plus important à relever, on l’a dit, est celui de la solidarité et de la coopération sur la base de l’égalité des droits.
En parlant d’égalité des droits, je ne peux pas éluder les difficultés immenses de l’intégration des Roms en Roumanie et en Bulgarie. Force est de constater que la grande majorité des Roms installés dans ces deux pays continuent d’être marginalisés, victime d’exclusion sociale, et font souvent l’objet de discriminations et de racisme.
Cela n’est pas acceptable. Les gouvernements de ces deux pays doivent s’engager pleinement pour lutter contre ces inégalités et remédier à cette situation au plus vite.
Oui à l’ouverture. Mais pas dans cette Europe qui s’est construite, depuis plus d’un demi siècle, sur des politiques libérales conduisant à l’impasse.
L’heure est venue de refonder les bases communes de la construction communautaire.
Je le rappelle, il y a plus d’un an, lors du référendum du 29 mai 2005, une majorité de Français votait « non », rejetant ainsi le projet de loi de ratification du traité constitutionnel européen. Or, le traité constitutionnel européen doit être ratifié par tous les États membres de l’Union européenne pour entrer en vigueur. On le sait, cette condition n’est pas remplie, puisque les référendums français et néerlandais se sont soldés par une réponse négative. Le traité a donc été rejeté.
Par conséquent, il doit être déclaré caduc une fois pour toutes.
Malheureusement, à la lecture du projet de loi discuté aujourd’hui, on remarque que le texte du traité d’adhésion se fonde d’abord sur l’hypothèse selon laquelle à la date prévue pour l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie (soit le 1er janvier 2007), c’est le traité établissant une Constitution pour l’Europe qui devrait être entré en vigueur (l’article IV-447 du traité constitutionnel prévoit en effet son entrée en vigueur le 1er novembre 2006).
L’article 1er du traité d’adhésion dispose donc que la Bulgarie et la Roumanie deviennent parties au traité établissant une Constitution pour l’Europe et que les conditions et modalités de l’admission, dans le cadre défini par le traité constitutionnel, figurent dans un « protocole » dont les dispositions « font partie intégrante » du traité d’adhésion.
Ce n’est qu’au deuxième article dudit traité que le cas où le traité constitutionnel ne serait pas entré en vigueur et où l’adhésion de la Bulgarie et de la Roumanie interviendrait dans le cadre des traités sur lesquels est actuellement fondée l’UE est envisagé.
Cela est tout a fait symptomatique de l’esprit qui anime les dirigeants européens : la certitude de pouvoir continuer dans le sens d’une Europe toujours plus libérale, sans que les peuples aient leur mot à dire. Or, cette fois, les peuples se sont exprimés clairement, il serait grand temps de les entendre.
Le coût budgétaire de l’élargissement constitue un enjeu important, il en est de même de ses conséquences économiques, financières et monétaires qui requièrent, tant des membres actuels de l’Union que des futurs adhérents, un ajustement de leurs politiques.
Les pays candidats ont un long chemin à parcourir pour se hisser au niveau de leurs futurs partenaires.
Enfin, l’espace social européen élargi suppose que des solutions soient trouvées dans toute une série de domaines sensibles : protection sociale, marché du travail, politique communautaire du droit d’asile et d’immigration, droits des minorités.
Je dis aux pays candidats qu’ils sont les bienvenus, mais je leur dis aussi ma crainte de les voir s’intégrer dans un système qui ne leur apportera que des désillusions si ce système ne change pas rapidement.
Bienvenue aux peuples, même si nous n’approuvons pas l’Europe qui s’impose à eux et à nous.
Aussi, les sénatrices et sénateurs de mon groupe ne prendront pas part au vote.
Je vous remercie.