Affaires étrangères et défense
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme
Par Robert Bret / 19 décembre 2007Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avec les attentats du 11 septembre 2001, le XXIe siècle s’est ouvert sur un drame qui a façonné un nouvel ordre mondial axé sur la loi du plus fort et la peur de l’autre.
Le nouvel ordre international est un ordre répressif. Le monde est pensé à travers le prisme de la lutte contre le terrorisme, aux dépens de tout autre impératif. Pourtant, les urgences sociales et environnementales ne manquent pas.
Dans ce contexte, l’Europe ne fait pas exception en dépit de son histoire et de ses valeurs humanistes.
La convention du Conseil de l’Europe pour la prévention du terrorisme, signée le 16 mai 2005 à Varsovie et dont la ratification nous est soumise aujourd’hui, s’inscrit dans la lignée de l’arsenal répressif mis en place au niveau européen et néglige malheureusement la protection des droits fondamentaux.
Soyons clair : le terrorisme, sous toutes ses formes, où qu’il se produise et quels qu’en soient les responsables, ne peut en aucun cas être justifié. Notre détermination pour l’éradiquer ne doit faire aucun doute. Mais précisément, parce que l’enjeu est trop grave, nous refusons d’envisager les relations internationales sous le seul prisme sécuritaire. Il s’agit là d’une approche à la fois réductrice et négative, et ô combien dangereuse !
Aussi souhaitons-nous, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, attirer votre attention sur la nécessaire prise en considération des droits fondamentaux dans le cadre de cette lutte contre le terrorisme. De ce point de vue, nous ne pouvons être favorables à la ratification de la convention du Conseil de l’Europe dont nous discutons aujourd’hui.
Tout d’abord, je voudrais souligner la contradiction entre l’intitulé du texte et son contenu. Si l’intitulé porte sur la prévention, le contenu s’attache principalement à la répression.
La Convention crée, en effet, de nouvelles catégories d’incriminations jugées en amont de l’acte terroriste en tant que source potentielle de terrorisme ; c’est l’objet des articles 5 à 9.
Par exemple, la convention préconise d’ériger en infraction pénale « la provocation publique à commettre une infraction terroriste ». Outre le fait qu’en instaurant de nouvelles infractions, la convention perd de vue la logique de prévention, il faut noter que le caractère flou de la notion susmentionnée est susceptible, madame la secrétaire d’État, de porter atteinte à la liberté d’expression.
De manière générale, j’ai déjà eu l’occasion de le dire à cette tribune, les termes employés pour définir le « terrorisme », les « infractions terroristes » renvoient à des concepts trop flous, trop vagues et trop incertains. Les locutions renvoyant à la « nature, [...] au contexte » des actes ou l’objectif qu’ils visent, c’est-à-dire « gravement déstabiliser les structures fondamentales politiques [...] économiques ou sociales » sont peu précises, et leur ambiguïté peut conduire à diverses interprétations. Une brèche est dès lors ouverte pour des abus de droit ou, du moins, certaines dérives. Cela va à l’encontre du principe de légalité des délits, selon lequel les définitions des infractions pénales ou des incriminations pénales doivent être précises et dépourvues de toute équivoque et de toute ambiguïté. C’est une question incontournable du point de vue du droit, notamment, du droit international.
La convention vise également à faciliter l’extradition par la dépolitisation des infractions terroristes en mentionnant - à l’article 20 - quelles infractions ne doivent pas être considérées comme infractions politiques pour les besoins de l’extradition. De ce fait, elle supprime ou limite la possibilité pour l’État requis d’opposer le caractère politique d’une infraction pour refuser une extradition.
Ainsi, le mécanisme de dépolitisation massive des infractions permet de soustraire l’extradition à l’application du principe selon lequel elle n’est pas accordée pour les infractions à caractère politique - article 696-4 2° du code de procédure pénale -, ce qui ne peut que susciter notre inquiétude, madame la secrétaire d’État, et - je l’espère - l’inquiétude d’autres parlementaires.
La clause de discrimination de la convention, objet de l’article 21, prévoit certes la possibilité de refuser l’extradition vers des pays où les personnes risquent la peine de mort, la torture ou un emprisonnement à vie sans libération conditionnelle. Il ne s’agit toutefois que d’une protection a minima, madame la secrétaire d’État.
Rien n’est prévu afin de garantir le droit à un recours judiciaire pour contester la légalité de toute mesure de privation de liberté, le droit à un tribunal indépendant et impartial - l’actualité devrait pourtant nous donner à réfléchir -, la présomption d’innocence et les garanties judiciaires, l’existence effective d’un recours judiciaire contre toute atteinte aux droits de l’homme. Il y a donc un danger de ce point de vue.
Au total, la convention du Conseil de l’Europe est un énième texte qui contribue à nourrir les peurs, les suspicions et à réduire le champ des droits et des libertés. Il est pour le moins paradoxal et regrettable que le Conseil de l’Europe se fasse le relais d’une politique sécuritaire.
Nous estimons qu’il est plus que jamais nécessaire que la construction d’une Europe judiciaire ne se réalise pas dans la négation des libertés et des droits de la défense. Pour nous, l’Europe judiciaire doit se réaliser dans l’État de droit européen.
Pour toutes les raisons que je viens de développer, le groupe communiste républicain et citoyen ne votera pas l’approbation de cette convention.