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Affaires étrangères et défense

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La réintégration de la France dans les structures de commandement de l’Otan n’est pas remise en cause

Programmation militaire pour les années 2014 à 2019 -

Par / 21 octobre 2013

Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, ce nouveau projet de loi de programmation militaire pour les années 2014 à 2019 a pour objet la mise en œuvre des grandes orientations de notre politique de défense définies par le dernier Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.

Lors du débat que nous avions eu ici même sur ce document, notre groupe avait exprimé des désaccords sur certaines conceptions stratégiques.

Nous estimions, essentiellement, que ces grandes orientations ne correspondaient pas à une conception de la défense nationale propre à la fois à protéger les intérêts de notre pays et de son peuple, à appuyer une politique étrangère et d’influence de la France qui permette d’avancer vers un monde plus juste et plus solidaire et à faire progresser de manière multilatérale la paix et le désarmement. Nous avions également relevé qu’il n’y avait pas de différence assez nettement affirmée avec la politique menée par le précédent Président de la République.

À cet égard, sans évoquer maintenant la dissuasion nucléaire – j’y viendrai ultérieurement –, je prendrai deux exemples : la décision de réintégrer pleinement le commandement militaire de l’OTAN et la réorientation stratégique majeure qu’a constitué la création d’une base militaire interarmées à Abou Dhabi.

Le Livre blanc et les choix du Président de la République marquent une continuité dans l’approche de ces deux questions, que les forces de gauche avaient pourtant critiquée ensemble.

Concernant la réintégration des structures de commandement de l’OTAN, les justifications données à l’époque ne sont pourtant toujours pas convaincantes. Il s’agissait alors de renforcer l’influence de la France au sein de l’Alliance atlantique, qui, paraît-il, n’était pas à la hauteur de notre contribution humaine et financière. Or le poids de notre pays dépend, aujourd’hui comme hier, beaucoup plus de sa volonté politique, de ses capacités et de son savoir-faire militaires que de son statut au sein du commandement militaire intégré. Nicolas Sarkozy voulait aussi rassurer nos partenaires européens, en affirmant que nous n’entendions pas concurrencer l’OTAN, et, dans le même temps, leur faire partager l’idée qu’il était nécessaire de faire progresser l’Europe de la défense.

Or le statut spécifique de la France nous permettait d’afficher une réelle autonomie de décision par rapport aux États-Unis et de prouver notre volonté d’élaborer en Europe une politique commune de sécurité et de défense. Rien n’a changé sur ces points, et nous le regrettons.

Depuis, aucune avancée décisive de la politique européenne de sécurité et de défense n’est intervenue sur des questions structurantes comme la création d’un état-major permanent de conduite et de planification des opérations ou celle d’une agence européenne de l’armement dotée d’une réelle autorité.

Le projet de loi de programmation militaire entérine cette réorientation stratégique majeure, avec la caution du Livre blanc.

Il en va de même pour l’autre réorientation stratégique d’importance qu’a constitué l’accord de défense passé en mai 2009 avec les Émirats arabes unis. Cet accord révélait ainsi une dispersion de nos capacités et un redéploiement de certaines d’entre elles pour nous aligner, une nouvelle fois, sur la politique des États-Unis en insérant nos forces au sein de leur dispositif dans cette région.

Sur ces questions éminemment stratégiques, qui conditionnent notre politique de défense, le Président de la République est resté dans la continuité de son prédécesseur.

Nos désaccords persistent, monsieur le ministre, et vous ne serez donc pas étonné que cela ait quelques répercussions sur l’appréciation globale que nous portons sur votre projet de loi de programmation.

Cependant, je voudrais tout d’abord souligner que votre grand mérite et celui de ce projet de loi est de tenter, avec un certain succès, de résoudre une difficile équation : préserver l’essentiel, c’est-à-dire maintenir notre niveau stratégique et notre statut international, en étant capables de tout faire – la dissuasion nucléaire, la protection du territoire et la projection de forces –, avec un budget fortement contraint.

En effet, vous avez réussi, avec le renfort notable des commissions de la défense des deux assemblées, à obtenir des arbitrages permettant la stabilisation du budget de votre ministère à son niveau de 2013 jusqu’en 2016, soit 31,4 milliards d’euros par an. Il y a pourtant un bémol, car cela signifie qu’il reculera en volume sous l’effet de l’inflation. Puis il s’accroîtra légèrement à partir de 2017 pour culminer à 32,51 milliards d’euros en 2019.

Pour une bonne part, l’équilibre budgétaire devrait être assuré par 6,2 milliards d’euros de recettes/ressources exceptionnelles, constituées par des cessions immobilières – l’expérience montre que ce type de recettes est par nature aléatoire –, la mise aux enchères de bandes de fréquences, des projets d’investissements d’avenir et peut-être – mais je souhaiterais que vous m’assuriez du contraire, monsieur le ministre – des nouvelles cessions de participations de l’État dans certaines entreprises.

Il s’agit selon nous d’une ligne rouge à ne pas franchir. De telles cessions constitueraient, à nos yeux, de nouveaux abandons de la maîtrise publique dans un secteur aussi déterminant pour l’indépendance et la souveraineté nationales.

Par ailleurs, si les crédits consacrés à l’investissement et à l’équipement des forces s’élèveront à un peu plus de 17 milliards d’euros par an de 2014 à 2019, il faut relever que cet effort s’opère aussi pour partie au détriment du budget de fonctionnement des armées.

En outre, si le renouvellement des matériels – qui relève des crédits d’équipement – bénéficie du maintien d’un volume de crédits significatifs sur toute la période, votre programmation réduit fortement le rythme de livraison des matériels sur les deux années à venir.

Cela aura des conséquences négatives, sur lesquelles je reviendrai, et aboutira à ce que, en matière d’équipements, notre défense perde la moitié de sa capacité d’action conventionnelle sur la période couverte par les deux dernières lois de programmation.

En revanche, il faut se féliciter que des financements importants soient prévus pour relancer l’entraînement des forces, après une nette diminution depuis plusieurs années.

Votre projet de loi de programmation est volontariste, mais il repose sur un fragile équilibre.

Le travail mené par notre commission, sous la vigoureuse impulsion du président Carrère (Exclamations amusées.), a fort judicieusement concrétisé notre détermination à être vigilants sur le respect impératif de cet équilibre.

À cet effet, nous introduirons dans le texte deux clauses de sauvegarde financière visant l’une à « sécuriser » le texte en matière de ressources exceptionnelles, en prévoyant une compensation intégrale en cas de non-réalisation, l’autre à instaurer un financement interministériel automatique des opérations extérieures au-delà de l’enveloppe annuelle de 450 millions d’euros.

Par ailleurs, nous renforcerons le suivi parlementaire de l’exécution budgétaire en rendant possible un contrôle « sur pièces et sur place » pour les députés et les sénateurs appartenant aux commissions de la défense.

M. Jean-Louis Carrère, rapporteur. C’est très bien !

Mme Michelle Demessine. Néanmoins, malgré ces garde-fous, je m’interroge sur la cohérence entre les moyens prévus dans votre projet de loi et les ambitions stratégiques élevées affichées dans le Livre blanc. Comment tout cela pourra-t-il réellement fonctionner avec un budget dont la stabilité repose en grande partie sur trois choix que je trouve contestables ?

En premier lieu, cette stabilité est notamment assurée au prix de la poursuite d’une diminution drastique des effectifs.

D’ici à 2009, près de 34 000 suppressions de poste interviendront, dont 10 000 avaient été programmées par le gouvernement précédent. De ce point de vue, quelle est la différence avec la politique suivie par ce dernier ?

Au total, entre 2008 et 2019, les armées auront perdu 82 000 emplois, soit un quart de leurs effectifs. Je sais que ce sont, pour l’essentiel, les fonctions de soutien et administrative qui sont affectées, et que vous avez tenté de limiter les coupes pour les forces opérationnelles, qui seront malgré tout amputées d’environ 8 000 hommes. Néanmoins, j’en conviens objectivement, les moyens en hommes et en crédits affectés aux services de renseignement et à la cyberdéfense ont été très sensiblement augmentés.

Je vous ferai tout de même le reproche, monsieur le ministre, de prolonger dans ce domaine la trajectoire dessinée par vos prédécesseurs, fondée sur le dogme de la révision générale des politiques publiques.

Comme cela a été souligné par le rapporteur pour avis de la commission des finances, cette pratique de déflation des effectifs pour faire des économies n’est pourtant même pas toujours probante d’un point de vue comptable : alors que 45 000 postes ont été supprimés, la masse salariale des personnels militaires a augmenté de 5,5 % entre 2008 et 2012.

Les quelque 40 millions d’euros prévus dans votre programmation budgétaire pour financer des mesures d’accompagnement et d’incitation semblent très insuffisants.

Le mécontentement, l’inquiétude, l’amertume des militaires et de leurs familles sont profonds. Ils ont le sentiment de ne pas être suffisamment reconnus pour les difficiles missions qu’ils remplissent, et estiment que l’armée est la seule institution à se réformer autant, tout en contribuant plus que d’autres à l’effort de redressement des comptes publics.

Ces sentiments diffus ne peuvent plus être traités comme ils l’ont été auparavant, sauf à risquer une grave crise au sein de nos armées ; je sais que vous en êtes conscient, monsieur le ministre. Tout en respectant la spécificité militaire, il est urgent de prendre des dispositions novatrices pour repenser le dialogue et la concertation au sein de l’institution. Celle-ci aurait d’ailleurs tout à y gagner

La conjugaison de tous ces éléments ne peut être sans conséquences néfastes sur la cohérence et les capacités de notre outil de défense conventionnel, qui risque d’être affaibli. La disparition d’unités, de bases ou d’établissements a malheureusement toujours de graves incidences sur nos territoires et leurs populations, même si vous nous assurez tenir compte des expériences passées et vouloir agir avec plus de discernement, en favorisant le dialogue. Je connais bien cette situation dans mon département, déjà sinistré par les fermetures d’entreprises, où la fermeture de la base aérienne de Cambrai a été vécue très douloureusement.

Je voudrais, en deuxième lieu, évoquer les effets de votre programmation budgétaire sur les prises de commandes auprès de nos industries d’armement.

Fort judicieusement, vous vous êtes refusé, monsieur le ministre, à interrompre les programmes conduits en coopération européenne, mais la réduction du rythme des livraisons de matériels aura des répercussions négatives sur l’engagement des industriels à produire aux coûts négociés par la Direction générale de l’armement au moment des lancements de programmes. C’est sûrement un effet pervers des économies que vous recherchez.

En effet, devenant moins rentable pour les industriels, chaque équipement livré risque, au total, de coûter plus cher que prévu. Cela peut concerner le Rafale, les avions ravitailleurs ou le nouvel avion gros porteur A 400M, mais aussi les frégates multimissions ou le véhicule de combat d’infanterie.

Cela risque aussi d’affecter notre cohérence capacitaire en ne comblant pas les « trous » existants, par exemple en matière de transport stratégique, d’avions de ravitaillement, de renseignement par drones ou d’armes de destruction des défenses anti-aériennes.

L’allongement des délais de livraison des matériels aura également des répercussions sur l’emploi et le savoir-faire de nos industries de défense.

En termes d’emploi, les industriels, sans doute de façon alarmiste, j’en conviens, et pour justifier le maintien de leurs marges, prévoient la perte de 10 000 emplois directs et d’autant d’emplois induits.

Moins d’équipements pour plus cher, ce sera l’un des paradoxes de cette programmation budgétaire, à moins, monsieur le ministre, que vous ne réussissiez, comme cela a été le cas dernièrement, à remporter quelques marchés à l’exportation.

M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !

Mme Michelle Demessine. J’en termine, monsieur le président.

En troisième et dernier lieu, je souligne que nous avons de fortes interrogations sur la nécessité de « sanctuariser » les moyens accordés à la dissuasion nucléaire. En effet, nous doutons de sa pertinence et de son efficacité dans les conflits d’aujourd’hui ou pour faire face aux nouveaux types de menaces.

Dans le Livre blanc, de nombreuses questions ont été soumises à un examen critique, excepté celle de la dissuasion nucléaire. Elle est encore présentée, dans le rapport annexé, comme la clef de voûte de notre sécurité, alors que sa doctrine d’emploi ne définit toujours pas exactement ce que sont nos intérêts vitaux et que le nucléaire ne joue plus un rôle aussi déterminant pour notre sécurité qu’à l’époque de la guerre froide.

Dans un contexte budgétaire extrêmement contraint, le Livre blanc reconduit, sans les justifier, notre posture et notre arsenal nucléaires, ce qui aboutit à un déséquilibre de notre outil de défense au détriment des forces conventionnelles, pourtant plus adaptées aux conflits actuels.

Que les choses soient bien claires : si nous souhaitons une politique de paix et de désarmement, nous n’entendons aucunement diminuer la capacité de notre pays et de son peuple à défendre leurs intérêts légitimes et leurs valeurs républicaines. Mais, dans les conditions et le contexte d’aujourd’hui, nous estimons indispensable d’ouvrir un débat public contradictoire sur un sujet d’une telle importance, qui ne semble d’ailleurs plus faire consensus dans le pays comme auparavant.

Pour notre part, nous pensons qu’il faudrait ramener notre arsenal nucléaire à son niveau de « stricte suffisance », ce qui implique de ne pas le développer en le sophistiquant toujours plus et de respecter ainsi les engagements internationaux que nous avons pris en signant le traité sur la non-prolifération nucléaire.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai exposé les raisons pour lesquelles le groupe communiste républicain et citoyen contestait certains choix effectués au travers du projet de loi de programmation militaire. Mais, dans le même temps, nous sommes conscients que ce texte, dont l’équilibre est, je le redis, fragile, tend, dans une période compliquée, à sauvegarder notre outil de défense et, surtout, notre autonomie.

Il y va de l’indépendance et de la souveraineté de notre pays, donc de l’essentiel. C’est pourquoi, malgré nos critiques de fond sur l’orientation stratégique retenue, notre groupe s’abstiendra sur le projet de loi de programmation militaire.

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