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Affaires étrangères et défense

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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On ne trouve pas dans ce texte la volonté de donner un nouveau souffle à notre diplomatie

Action extérieure de l’État -

Par / 22 février 2010

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le déclin de la culture française et de l’influence de notre pays dans le monde est, depuis quelques années, un thème récurrent, voire, pour certains, un lieu commun.

Cette idée reçue avait été lancée dans un article ironique et mal intentionné de l’édition européenne de Time Magazine, dans le contexte de la prise de position hostile de notre pays à propos de la guerre menée par les États-Unis en Irak. Il est bon de le rappeler.

Cela étant, il faut bien admettre qu’il peut y avoir un fond de vérité, qu’un problème existe et qu’il faut tenter d’y remédier.

Face aux défis que nous impose la globalisation et face aux enjeux de la place de la France dans le monde, on peut réellement se demander si le Président de la République et son gouvernement ont encore les moyens, sinon la volonté, de promouvoir l’influence, la culture, la langue et, ajouterai-je, les valeurs de notre pays.

Mais, pour l’action culturelle de la France dans le monde comme pour l’ensemble de notre politique étrangère, n’est-on pas en droit de considérer que votre action, monsieur le ministre, est étiolée du fait de la confiscation de la moindre « parcelle diplomatique » par le Président de la République, le secrétaire général et les services de l’Élysée ?

Monsieur le ministre, dans le projet de loi que vous nous présentez, vous affichez l’ambition de proposer une réforme des structures de l’action culturelle et de la coopération technique, ce qu’il est convenu d’appeler la « diplomatie d’influence ».

Je dis bien que vous « affichez » cette ambition, car je pense que votre méthode et les moyens que vous y consacrez ne sont pas à la hauteur des enjeux.

À la suite des réflexions exposées dans le Livre blanc sur la politique étrangère et européenne de la France, qui date maintenant de quelques années, nous pouvions espérer que, sur ce volet de l’action culturelle et de coopération technique, vous alliez prendre appui sur une véritable refondation de l’action de l’État dans ces domaines.

Or on ne trouve pas dans votre texte la volonté de donner un nouveau souffle à notre diplomatie d’influence, alors que son adaptation à la mondialisation est plus nécessaire que jamais.

La commission des affaires étrangères et la commission de la culture ont bien tenté de préciser les missions et le périmètre de la future agence chargée de l’action culturelle à l’étranger, d’apporter des éclaircissements et des garanties sur certains de ses aspects ; le compte n’y est toujours pas et le décalage reste trop grand entre les objectifs que vous prétendez vouloir atteindre et les moyens que vous vous donnez.

Cette réforme, pourtant annoncée depuis longtemps, a été maintes fois reportée. Avant que l’on aboutisse à ce texte, elle a d’abord été esquissée de façon expérimentale et par petits bouts, au gré des restrictions budgétaires, et sans aucune vision stratégique.

Les principales mesures qui nous sont proposées aujourd’hui consistent à transférer la mise en œuvre des actions culturelles et de coopération internationale du ministère des affaires étrangères et européennes à deux nouveaux opérateurs ayant le statut d’établissement public à caractère industriel et commercial.

Certes, notre action culturelle à l’étranger manque de lisibilité. Il fallait mettre un terme à cette dispersion des moyens et donner une cohérence à toutes ces entités aux acteurs et aux statuts divers que sont les services culturels des ambassades, les instituts français, les centres culturels, les alliances françaises.

La transformation de l’association CulturesFrance en établissement public à caractère industriel et commercial pourrait apparaître comme une bonne chose. Mais je crains malheureusement que votre souci de rationaliser les actions de l’État dans ces domaines ne se heurte rapidement aux dures exigences de la révision générale des politiques publiques et des restrictions budgétaires.

En effet, comme l’avait très pertinemment souligné l’excellent rapport de nos deux commissions consacré au rayonnement culturel international, les crédits consacrés au programme « Rayonnement culturel et scientifique » de la mission « Action extérieure de l’État » ne cessent de diminuer : ils ont baissé de 10 % entre 2005 et 2008, de 13 % en 2009 et de 11 % en 2010.

Cette contrainte budgétaire et cette nécessité de rationaliser vous ont déjà amenés à opérer des coupes sévères dans nos établissements à l’étranger.

La moitié des centres culturels ont été fermés en Allemagne, et il semblerait que leurs équivalents en Italie soient menacés. On observe la même tendance en Inde, en Grèce ou en Afrique francophone.

Il me semble que l’un des « non-dits » de votre réforme réside dans le fait de réaliser des économies, dans ce secteur comme dans les autres, et de permettre à l’État de se désengager financièrement d’une partie de ses activités diplomatiques.

Le choix du statut d’établissement public à caractère industriel et commercial pour l’opérateur culturel me paraît ainsi propre à justifier ce désengagement.

Il serait apparemment motivé par la recherche d’une certaine souplesse de gestion pour faire fonctionner ce type d’activité. Mais un tel statut implique une logique de réduction du financement de l’État avec l’obligation pour ces établissements de retirer une part significative de leurs ressources du produit de leurs propres prestations.

De la sorte, les risques d’un désengagement de la puissance publique et de l’introduction progressive d’intérêts marchands privés, par le biais des financements recherchés, sont bien réels.

La responsabilité de l’État dans le financement de ces opérateurs qui, je le rappelle, devront toujours assumer des missions de service public, sera amoindrie avec un établissement public de ce type ; on sait en effet que, selon le vieil adage, « qui paie, commande ».

Au lieu d’augmenter l’effort de l’État dans ce secteur, vous accompagnez un mouvement qui aboutit à l’obligation pour nos établissements culturels d’avoir une part d’autofinancement de 55 %.

Plus généralement, une grande partie des personnels de votre ministère ont manifesté quelques inquiétudes sur ce volet du projet de réforme.

Les agents des opérateurs culturels, en France comme à l’étranger, redoutent en particulier que les propositions de réemploi qui leur seront faites ne correspondent ni à leur activité actuelle ni à la définition de leur poste de travail.

Ils expriment des doutes quant au délai qui leur sera proposé pour refuser ou accepter un nouveau contrat, alors que, dans le même temps, la convention nationale applicable devra faire l’objet d’un accord ou être applicable quinze mois après le transfert des agents.

Les contrats de travail étant liés à la convention nationale applicable, n’aurait-t-il pas été préférable de négocier avec les organisations syndicales une harmonisation à quinze mois des délais d’acceptation ou de refus des nouveaux contrats par les agents ?

Enfin, les salariés estiment, à juste titre, que la représentation des partenaires sociaux dans les conseils d’administration des nouveaux opérateurs sera trop réduite pour faire valoir utilement les intérêts des personnels. Nous avons d’ailleurs déposé un amendement afin de rétablir un équilibre sur ce point.

Tous ces éléments me confortent dans l’idée que le statut d’établissement public à caractère administratif aurait été préférable pour garantir la prééminence de la puissance publique dans le financement et dans le pilotage de la politique culturelle extérieure de notre pays.

Un tel statut offrirait également plus de garanties pour les personnels. S’il était inscrit dans la loi que la gestion des personnels et des établissements, aux statuts divers, était assurée par un établissement public à caractère administratif, la volonté de maintenir cette activité dans le domaine régalien serait plus nettement affirmée.

En outre, ce statut juridique assurerait fermement le maintien de l’influence prépondérante de l’État lors du nécessaire rattachement du réseau culturel à l’agence. En effet, par souci de cohérence et d’efficacité, tout le monde convient qu’il faudra, à terme, transférer la gestion de notre réseau culturel à l’étranger à la future agence chargée de la coopération culturelle. Il serait en effet peu pertinent d’avoir une agence parisienne totalement coupée des réalités du terrain, c’est-à-dire d’environ 130 établissements culturels à autonomie financière et de 6 000 agents.

De ce point de vue, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a précisé le lien qui doit rattacher l’agence au réseau en prévoyant que celle-ci serait associée à la politique de recrutement, d’affectation et de gestion de carrière des agents et qu’elle assurerait la formation professionnelle de ces derniers.

C’est une avancée importante que j’apprécie à sa juste valeur. Mais, pour éviter que ce rattachement ne soit renvoyé aux calendes grecques, il aurait été là aussi préférable d’inscrire clairement dans la loi une date butoir qui n’allonge pas excessivement le temps des expérimentations et des évaluations.

La précision ainsi apportée engagerait l’État plus fortement que la simple mention d’un rapport au Parlement sur la diplomatie d’influence et sur les modalités de ce rattachement.

J’ai essentiellement axé mon propos sur la création du nouvel opérateur de la diplomatie culturelle française, qui me paraît être le point le plus central de la réforme envisagée.

Concernant l’autre volet, celui qui met en place l’agence pour l’expertise et la mobilité internationales, dont l’importance est évidemment loin d’être négligeable au sein de notre diplomatie d’influence, je ne critiquerai pas le statut juridique que vous avez souhaité donner à cet opérateur.

Ce statut me semble en effet pouvoir être suffisamment souple et efficace pour que la France reprenne pied dans le domaine de l’expertise et de la coopération internationales, mais aussi pour fédérer les efforts des différents opérateurs publics ou privés de ce secteur.

Malheureusement, monsieur le ministre, ce deuxième objectif ne peut compenser les critiques que j’ai formulées précédemment sur les aspects fondamentaux du projet de loi.

Enfin, je voudrais aborder un aspect du texte qui, de prime abord, pouvait sembler de bonne logique, mais qui, à la lumière d’événements récents, me paraît devoir être éclairci.

Il s’agit du remboursement des frais engagés par l’État à l’occasion d’opérations de secours à l’étranger.

Le texte vise à donner une base juridique à ces remboursements, mais les dispositions proposées sont trop générales pour pouvoir correspondre à toute la diversité de situations souvent délicates et dramatiques.

Concrètement, avec l’article 14 de ce projet de loi, les journalistes français actuellement retenus en otage en Afghanistan, pourraient se voir réclamer à eux-mêmes ou à France Télévisions, le remboursement d’une partie des frais engagés pour leur libération.

J’envisage ce cas de figure car, récemment, les plus hautes autorités de l’État, qu’il s’agisse du Président de la République, du secrétaire général de l’Élysée, ou encore du chef d’état-major des armées, ont vivement critiqué ce qui leur semblait être une attitude irresponsable et ont insisté sur le coût des opérations de recherche. Un tel discours a créé un climat qui, avec les dispositions que vous envisagez, risquerait d’apparaître tout simplement régressif aux yeux de la presse.

Monsieur le ministre, contrairement à ce qu’a écrit un laudateur de votre projet dans l’édition du week-end du journal Le Monde, tout émoustillé de votre engagement, cette réforme n’est malheureusement ni audacieuse ni révolutionnaire.

Nous voyons bien qu’après une longue et laborieuse mise en œuvre, le souffle lui fera totalement défaut du fait d’une insuffisance patente de moyens.

Au total, le manque d’ambition réelle de votre projet de loi pour répondre aux défis posés par la mondialisation, les risques de désengagement de l’État induits par le choix de l’EPIC pour l’opérateur culturel, les légitimes inquiétudes des personnels du ministère et, enfin, l’avenir incertain des financements alloués par l’État, justifient amplement que le groupe communiste républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche vote contre ce texte.

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