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Affaires étrangères et défense

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Que ces martyrs de la Grande Guerre, grande par l’horreur et l’effroi, soient enfin rétablis dans leur honneur et leur dignité

Réhabilitation collective des fusillés pour l’exemple de la guerre de 1914-1918 -

Par / 19 juin 2014

Auteur de la proposition de loi.

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à l’aube du centenaire de la Grande Guerre, les nombreuses publications ou émissions qui fleurissent de toutes parts nous invitent à revisiter cet événement. Malheureusement, peu nombreuses sont celles qui permettent une vision historiquement complète des tenants et aboutissants de ce conflit.

L’historien Bruno Drweski, maître de conférences à l’Institut national des langues et civilisations orientales, pose, en un raccourci saisissant, la genèse de ce drame planétaire : « La Première Guerre mondiale a éclaté non pas comme un éclair dans un ciel serein, mais comme le résultat d’une accumulation de tensions et de frustrations, à l’échelle mondiale, qui s’étaient accumulées dans la foulée des grandes découvertes qui avalent relié le Nouveau Monde à l’Europe, puis dans la foulée du partage du monde dans le cadre du processus planétaire de colonisation ».

Dans un monde en pleine contradiction entre le développement d’une industrie moderne et un monde rural resté archaïque, les grandes puissances se sont bel et bien affrontées pour le partage des richesses, des marchés et des ressources, pour la conquête des colonies, pour la recomposition des sphères d’influence.

Ce préalable d’importance étant posé, il faut se souvenir que la guerre de 14-18 fut une accumulation d’horreurs, pour les soldats comme pour les civils. Censée être courte, elle montra vite l’état d’impréparation des gouvernements et des élites, qui durent improviser une guerre de plus en plus meurtrière pour les soldats, au service des profiteurs de guerre. Ce fut en définitive une guerre longue, une succession de combats meurtriers, de petites avancées ou de reculs limités, qui faisaient perdre toute conscience d’objectifs pour lesquels il eût été important de se battre, de mourir ou de tuer.

Cette évolution fit naître ou croître des résistances, des prises de conscience. « Guerre à la guerre ! », le slogan d’Henri Barbusse, commença à conquérir le cœur de nombreux soldats, conscients d’être la piétaille, les sacrifiés d’une boucherie sans nom. Ce même auteur, dans Le feu, décrit avec une terrifiante justesse les conditions des combats : « Un bruit diabolique nous entoure. On a l’impression inouïe d’un accroissement continu, d’une multiplication incessante de la fureur universelle. Une tempête de battements rauques et sourds, de clameurs furibondes, de cris perçants de bêtes s’acharne sur la terre toute couverte de loques de fumée, et où nous sommes enterrés jusqu’au cou, et que le vent des obus semble pousser et faire tanguer. […]

« Dans une odeur de soufre, de poudre noire, d’étoffes brûlées, de terre calcinée, qui rôde en nappes sur la campagne, toute la ménagerie donne, déchaînée. Meuglements, rugissements, grondements farouches et étranges, miaulements de chats qui vous déchirent férocement les oreilles et vous touillent le ventre, ou bien le long hululement pénétrant qu’exhale la sirène d’un bateau en détresse sur la mer. Parfois même, des espèces d’exclamations se croisent dans les airs, auxquelles des changements bizarres de ton communiquent comme un accent humain. La campagne, par place, se lève et retombe. Elle figure devant nous, d’un bout de l’horizon à l’autre, une extraordinaire tempête de choses. […]

« Il y avait, en avant de nous, à une dizaine de mètres au plus, des formes allongées, inertes, les unes à côté des autres – un rang de soldats fauchés – et arrivant en nuée, de toutes parts, les projectiles criblaient cet alignement de morts. Les balles qui écorchaient la terre par raies droites en soulevant de minces nuages linéaires, trouaient, labouraient les corps rigidement collés au sol, cassaient les membres raides, s’enfonçaient dans des faces blafardes et vidées, crevaient, avec des éclaboussements, les yeux liquéfiés, et on voyait sous la rafale se remuer un peu et se déranger par endroits la file des morts. »

La lancinante question des « fusillés pour l’exemple » s’inscrit en plein dans cette double et funeste problématique mal assumée : à l’époque, le commencement de révolte de simples soldats, nationaux et immigrés, jetés avec un cynisme absolu dans l’arène meurtrière des tranchées par des puissances insoucieuses de leur sort, puis, plus tard, y compris aujourd’hui, le refus d’analyser historiquement les causes, les effets et les conséquences de cette guerre.

Ces soldats furent passés par les armes après des conseils de guerre improvisés et sommaires, et sous des prétextes divers : sentinelle endormie, insulte à officier, battue en retraite sans autorisation, mutinerie, désertion, sans compter, malheureusement, ceux qui furent abattus par un officier à bout portant au détour d’une tranchée, soit pour rébellion, soit, ne l’oublions pas, pour son appartenance connue à des organisations ouvrières militant contre la guerre.

Selon les travaux les plus récents, le nombre des fusillés pour l’exemple est évalué à plus de 600 pour plus de 2 500 condamnations à mort prononcées sur 140 000 jugements. Et ces études n’intègrent pas, faute de documents archivés, les exécutions sommaires, impossibles à recenser du fait de leur nature même !

Dès la fin de la guerre de 14-18, les familles de fusillés, relayées par différentes associations, dont l’ARAC, l’Association républicaine des anciens combattants, la Ligue des droits de l’homme et la Fédération nationale de la libre pensée, ont exprimé la revendication de les réhabiliter. Une quarantaine d’entre eux l’ont été par la Cour de cassation dans l’entre-deux-guerres, dont certains dès janvier 1921.

Après la Seconde Guerre mondiale, une chape de plomb s’est abattue sur la mémoire des fusillés pour l’exemple. Peut-être fallait-il éviter de noircir plus encore l’image de notre armée après la débâcle de 1940 ? Cette censure mémorielle alla jusqu’à l’interdiction, durant des décennies, de la diffusion du fameux et beau film de Stanley Kubrick intitulé Les Sentiers de la gloire.

Dès l’origine, ce fut une question délicate et politiquement sensible : quel sort réserver aux soldats français fusillés pour l’exemple entre 1914 et 1918 – surtout la première année ! –, après avoir été condamnés par la justice militaire pour désertion, mutinerie, refus d’obéissance ? Fallait-il les réhabiliter ? Si oui, comment ?

Cette revendication a connu un regain en novembre 1998 lorsque Lionel Jospin, alors Premier ministre, avait souhaité, lors d’une cérémonie sur le plateau de Craonne, que les soldats « fusillés pour l’exemple [...], victimes d’une discipline dont la rigueur n’avait d’égale que la dureté des combats [...], réintègrent aujourd’hui notre mémoire collective nationale. »

Dix ans plus tard, devenu Président de la République, Nicolas Sarkozy, qui avait auparavant, comme l’ensemble de la droite, vivement protesté contre cette déclaration, nuançait fortement sa position. À Verdun, le 11 novembre 2008 – j’étais présent ! –, il exprimera cette fois la commisération pour ces hommes : « Mais, quatre-vingt-dix ans après, je veux dire, au nom de la nation, que beaucoup de ceux qui furent exécutés alors, ne s’étaient pas déshonorés, n’avaient pas été des lâches, mais simplement, ils étaient allés jusqu’à l’extrême limite de leurs forces. »

Malgré les conditions exceptionnelles dans lesquelles ont agi – ou refusé d’agir – ces hommes, souvent très jeunes, l’absence de toute disposition tendant à la réhabilitation persiste à les faire considérer comme des lâches ou des traîtres, flétrissant ainsi leur mémoire et jetant l’opprobre sur leurs descendants.

J’ai regardé avec émotion le documentaire intitulé Adieu la vie, adieu l’amour, récemment diffusé par la chaîne Public Sénat, ce dont je me réjouis, qui relate en particulier la quête d’une petite-fille de fusillé pour réhabiliter l’honneur de son grand-père.

Quoi qu’il en soit, les gouvernements qui se sont succédé ont toujours conclu à la nécessité de « faire un tri » entre ces jeunes gens, selon qu’ils sont présumés déserteurs, mutins ou ayant commis un crime de droit commun. De la même façon, le rapport de M. Antoine Prost rejette une réhabilitation générale et évoque l’éventualité d’une « déclaration solennelle », éventuellement renforcée d’un « projet pédagogique ».

Pour autant, il faut noter que ce dernier a exigé plusieurs fois dans son rapport un geste fort des pouvoirs publics, de la nation. Dès l’introduction, l’historien indique que « la question posée est celle de la mémoire qu’en veut conserver la nation. » Il évoque bien sûr les fusillés. « C’est à elle de s’en saisir ». Il indique même : « Un large consensus existe dans notre société pour estimer que la plupart n’étaient pas des lâches : c’étaient de bons soldats, qui avaient fait leur devoir et ne méritaient pas la mort. L’indignité dont les a frappés leur condamnation mérite d’être relevée. C’est ce qu’on attend des pouvoirs publics. »

Comment le Parlement, le Sénat, pourrait-il refuser d’adopter une disposition de reconnaissance, d’apaisement, après un tel constat ? C’est la raison pour laquelle, avec mon groupe, nous avions redéposé en 2011 un texte prévoyant la réhabilitation des fusillés pour l’exemple collectivement et publiquement.

Notons qu’il existe un dossier et des témoignages écrits pour 650 fusillés environ, à l’instar du sous-lieutenant Jean-Julien Chapelant, Rhodanien réhabilité grâce aux efforts des associations et de sa famille.

Je profite de cet exemple marquant pour rappeler que d’importantes associations se sont investies de longue date dans ce combat pour la réhabilitation des fusillés pour l’exemple : l’Association républicaine des anciens combattants, fondée par Henri Barbusse, notamment, l’Union pacifiste de France, le Mouvement de la paix et bon nombre de sections de la Ligue des droits de l’homme et de la Fédération nationale de la libre pensée.

Je souligne également l’engagement des collectivités territoriales : pas moins de trois conseils régionaux, vingt-neuf conseils généraux, dont celui de Corrèze, présidé à l’époque par François Hollande, ont adopté des vœux visant à réhabiliter les fusillés pour l’exemple.

C’est parce que nous estimons qu’une réhabilitation pourrait enfin, en l’année du centenaire du début de la Première Guerre mondiale, servir l’éducation à la paix que le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat vous invite, mes chers collègues, à adopter sa proposition de loi, en la réaménageant si nécessaire, afin de recueillir le plus large consensus.

Ce 19 juin est la Journée du Sénat en la mémoire de la Grande Guerre. De nombreuses initiatives seront prises pour saluer la mémoire des combattants et rappeler l’ampleur du drame. Ce même jour, la Haute Assemblée refusera-t-elle la reconnaissance, le pardon à ces hommes injustement punis de mort ?

Avant de conclure, permettez-moi de rappeler que le Royaume-Uni, la Nouvelle-Zélande et le Canada ont déjà, par le passé, adopté des lois de réhabilitation, de pardon ou d’amnistie. Pourquoi la France, pays des droits de l’homme, refuserait-elle cette réhabilitation en cette année du centenaire de l’assassinat de Jaurès, le tribun de la paix ?

Mes chers collègues, nous n’avons pas noté depuis le début des discussions sur notre texte une seule raison claire et compréhensible justifiant le refus de voter en faveur de celui-ci et de l’amendement que vous proposera mon amie Michelle Demessine.

Bien entendu, la réhabilitation des fusillés pour l’exemple, pour être mieux comprise, se doit d’écarter les cas marginaux d’espions ou de criminels de droit commun avérés. C’est peut-être le seul argument bien faible, au regard du drame humain dont l’écho se répercute encore jusqu’à nos jours, mis en avant par ceux qui ont accueilli notre proposition de loi avec réticence, voire hostilité. Pour autant, il n’est pas acceptable que ces cas marginaux, dont le nombre n’excéderait pas quelques dizaines, soient mis en avant pour refuser la réhabilitation, la reconnaissance par la nation de ceux qui furent incontestablement des victimes de ce terrible conflit.

Aussi, dans un souci d’apaisement, et pour vous inviter à des débats sereins et constructifs, nous défendrons un amendement précisant que « la Nation rétablit dans leur honneur les soldats de la Première Guerre mondiale fusillés pour l’exemple ». Cet amendement vise en outre à préciser que « Leurs noms peuvent être inscrits sur les monuments aux morts ».

Cette rédaction comporte également, à mon sens, l’avantage de ne pas troubler nos débats par la question récurrente des lois dites « mémorielles ». En effet, cette nouvelle rédaction est non seulement déclarative, mais aussi dynamique, puisqu’elle permet concrètement de trouver – enfin ! – la sérénité sur ce sujet, en rétablissant ces hommes martyrs dans leur honneur et en reconnaissant publiquement et naturellement ce qui se fait déjà parfois, l’inscription des noms sur les monuments aux morts.

Cela étant réaffirmé, je fais confiance au débat et à nos collègues dont beaucoup, je le sais, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, sont épris de justice et de vérité historique.

Mes chers collègues, tout au long de mon mandat sénatorial – un mandat au service du peuple, pour le peuple ! –, qui s’achèvera dans quelques semaines, j’ai défendu beaucoup de causes, de salariés en lutte, de retraités, de femmes et d’hommes souffrant de l’injustice sociale, de la violence d’un monde où, bien trop souvent, la cause de l’argent prime celle de l’humanité. J’ai défendu l’égalité en France comme ailleurs ; j’ai soutenu la jeunesse en quête d’avenir. C’est pourquoi c’est avec force qu’une dernière fois je fais appel à votre sens politique, à votre sens de la vérité historique, mais aussi à votre cœur, pour que, enfin, ces martyrs de la Grande Guerre, grande par l’horreur et l’effroi, soient enfin rétablis dans leur honneur et leur dignité.

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