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Affaires étrangères et défense

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Un fléau malheureusement universel

Convention européenne contre les violences à l’égard des femmes -

Par / 5 mai 2014

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à vous faire part à mon tour de la satisfaction que j’éprouve à voir ce projet de loi débattu au Sénat, alors que, à l’Assemblée nationale, il a été adopté sans être discuté sur le fond.

Mme Maryvonne Blondin. En effet !

Mme Laurence Cohen. Pour les sénateurs de mon groupe – et aussi pour d’autres, comme je me réjouis de le constater –, ce projet de loi revêt un caractère important.

Important, il l’est d’abord sur le plan de la procédure, puisque nous devons ratifier la convention que la France a signée en 2011. Au 23 avril dernier, trente-deux États l’avaient signée et onze l’avaient ratifiée, de sorte qu’elle pourra entrer en vigueur dès le 1er août prochain. C’est une très bonne nouvelle !

Important, il l’est ensuite sur le plan de la thématique, car les violences faites aux femmes, dans la sphère publique comme dans la sphère privée, constituent toujours un fléau malheureusement universel. Ces violences prennent différentes formes, de la plus insidieuse à la plus visible ; mais, toutes, elles reflètent, poussée à son paroxysme, la domination masculine exercée sur les femmes.

Bien entendu, nous ne nions pas que les hommes puissent eux aussi être victimes de violences. Reste que les chiffres sont sans appel : ils témoignent d’un phénomène de masse dont les femmes sont les principales victimes.

Pour ne donner que quelques chiffres illustrant cette réalité en France, je signalerai, en m’inspirant de l’étude d’impact, que, au cours des deux dernières années, 300 000 femmes ont été victimes de violences sexuelles et 160 000 autres de viol ou de tentative de viol. Au cours de la même période, une femme sur sept a été insultée, victime le plus souvent de propos sexistes. Une femme sur vingt a subi des gestes déplacés, très souvent sur son lieu de travail.

Tout féministe, mais également tout démocrate, se doit de rappeler ces chiffres, ces faits. En effet, nous sommes souvent confrontés à une certaine banalisation de cette violence, intégrée par la société et, parfois, intériorisée par les femmes elles-mêmes.

Comme la convention le prévoit dans plusieurs de ses articles – plusieurs de nos collègues viennent de le rappeler –, il ne faut pas oublier que, parmi les violences infligées aux femmes, figurent aussi les mariages forcés, le harcèlement sexuel, les mutilations génitales et les crimes dits d’honneur, sans oublier le viol utilisé comme arme de guerre, auquel la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes a consacré un rapport d’information.

Ces phénomènes ne sont ni rares ni isolés. Une fois entrée en application, cette convention constituera le premier outil permettant la mise en œuvre, à l’échelle internationale, d’actions visant à éradiquer ces violences. C’est une prise de conscience et une volonté communes qui s’expriment à travers elle !

Certes, plusieurs textes ont déjà été adoptés dans le cadre des Nations unies, notamment la Déclaration de 1993 sur l’élimination de la violence à l’égard des femmes, mais ces instruments n’ont pas de portée contraignante. La convention d’Istanbul présente, avec cette portée, un atout supplémentaire.

De même, le fait que le groupe d’experts sur la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, le GREVIO, soit chargé de contrôler la mise en œuvre effective de la convention constitue, comme l’a souligné notre rapporteur, une garantie de voir éradiquée la violence infligée aux femmes.

Autant dire que l’entrée en vigueur de la convention d’Istanbul va marquer un moment important pour les femmes. C’est d’autant plus vrai que le champ d’application de cette convention est assez large : il comprend, outre les quarante-sept pays membres du Conseil de l’Europe, les États-Unis, le Canada, le Mexique, le Japon et d’autres pays encore !

De plus, ce débat tombe à point nommé à la veille des élections européennes. Je crois que les questions de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les violences et les discriminations devront occuper une place importante dans les programmes des différentes listes. C’est en tout cas ce que j’espère, d’autant plus vivement que nous traversons une période où les forces conservatrices, rétrogrades et – n’ayons pas peur des mots – dangereuses pour notre vivre ensemble attaquent de toutes parts, en Europe et ailleurs, comme le montre notamment le rejet au Parlement européen, en décembre dernier, du rapport Estrela sur les droits sexuels et génésiques.

Ces forces tentent d’imposer leur vision moraliste et traditionnelle de la société, de la famille, du couple et du rôle de la femme, en agissant notamment contre le mariage pour tous et toutes et contre le droit à l’avortement. Je pense en particulier à ce qui se passe actuellement en Espagne,…

M. Roland Courteau. Eh oui !

Mme Laurence Cohen. … mais, malheureusement, plusieurs autres pays européens sont concernés par une remise en cause, voire par une interdiction, de l’avortement : c’est le cas, entre autres pays, de la Pologne, de l’Irlande, de Malte et de Chypre.

En France et en Europe, des actions de solidarité sont menées par des progressistes, pour défendre le droit des femmes à choisir d’avoir ou non un enfant.

À cet égard, ne pensons pas, mes chers collègues, que la France ne connaisse pas de difficultés. Nous savons, au contraire, que ce droit chèrement acquis reste fragile, tant des groupuscules extrémistes s’efforcent, par tous les moyens, d’empêcher les femmes d’accéder à des centres d’interruption volontaire de grossesse.

Sans compter que les restrictions budgétaires, année après année et, hélas, gouvernement après gouvernement, entraînent la fermeture de certains de ces centres. Comme je l’ai fait observer dans la discussion de notre proposition de loi tendant à instaurer un moratoire sur les fermetures de service et d’établissements de santé ou leur regroupement, qui a malheureusement été rejetée, cent trente de ces centres ont été fermés en dix ans, selon un rapport du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes paru en novembre dernier.

Au vu des engagements du Gouvernement en la matière et de ses projets d’économies touchant essentiellement les dépenses publiques, je crains que le nombre de fermetures ne s’arrête pas là. Or, faute de structures suffisantes, il devient de plus en plus difficile d’obtenir un rendez-vous dans le délai prévu par la loi pour la réalisation d’une interruption volontaire de grossesse.

Cette remise en cause des acquis de ces dernières années et ces attaques récurrentes menées un peu partout en Europe prouvent que nous avons fort à faire pour que l’égalité entre les femmes et les hommes reste un droit fondamental et passe des déclarations d’intention aux actes. Si la convention d’Istanbul traite de la question de l’avortement, il est regrettable que son article 39 ne fasse pas mention des attaques et des remises en cause que je dénonce.

De même, je dois dire que mes collègues du groupe CRC et moi-même ne comprenons pas que la prostitution soit, en tant que telle, absente de la convention. Si l’expression de « violence sexuelle » est bien présente dans plusieurs articles, jamais le terme de « prostitution » n’est mentionné. C’est une lacune plus que regrettable, dont il résulte que la prostitution n’est pas reconnue comme une violence. Or si certains voudraient faire croire à un métier, à un choix, nous sommes nombreuses et nombreux à penser que c’est bien une violence extrême que subissent celles et ceux qui sont victimes des réseaux de proxénétisme. Les auditions menées actuellement par la commission spéciale chargée d’examiner la proposition de loi renforçant la lutte contre le système prostitutionnel en témoignent.

À ce sujet, permettez-moi de donner rapidement quelques chiffres. En France, 85 % des personnes qui se prostituent dans la rue sont des femmes et, parmi elles, 90 % sont des femmes étrangères ; preuve que la mondialisation de ce fléau s’amplifie et que, pour le combattre, les États doivent disposer d’outils communs.

D’un côté, notre Parlement s’apprête à adopter une proposition de loi destinée à lutter contre la prostitution, qui réaffirme fort justement la position abolitionniste de la France, et, de l’autre, cette convention internationale ne dit mot du problème de la prostitution. En vérité, il y a là un certain paradoxe !

Même si je sais bien que les législations en la matière sont différentes d’un pays à l’autre, je pense qu’il aurait été bon de s’accorder collectivement pour lutter contre l’exploitation sexuelle des individus, la traite des êtres humains et le proxénétisme. Je le répète, la convention présente à cet égard une lacune fondamentale. Celle-ci ne constitue bien évidemment pas un oubli, mais une acceptation politique de cette violence de la part de certains.

Je veux également souligner que, pour notre groupe, la violence économique est un problème tout aussi crucial. De fait, l’austérité frappe toujours en premier lieu les femmes ; j’en veux pour preuve les chiffres relatifs à la précarité, aux inégalités salariales et au temps partiel subi, ainsi qu’aux salaires et aux retraites partiels. L’eurodéputée portugaise Inês Zuber, membre du groupe de la gauche unitaire européenne – gauche verte nordique, a très bien montré les conséquences des politiques d’austérité sur la situation sociale et économique des femmes dans son fameux rapport sur l’égalité entre les femmes et les hommes, qui, lui aussi, a malheureusement été rejeté par le Parlement européen il y a quelques semaines.

C’est cette même austérité, cette précarité galopante, qu’un certain nombre d’entre nous ont dénoncées dans cet hémicycle lors des débats sur l’accord national interprofessionnel de sécurisation des parcours professionnel, en démontrant combien les femmes en seraient les premières victimes. Nous regrettons que cette dimension économique ne soit pas abordée dans la convention.

En dépit des lacunes que je viens de déplorer, nous soutenons bien entendu la ratification de cette convention. Nous la soutenons d’autant plus que, en France, nous avons beaucoup travaillé sur la question des violences faites aux femmes.

Je pense à la discussion en deuxième lecture du projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, qui s’est déroulée dans notre hémicycle il y a quelques jours, mais surtout à la proposition de loi, déposée en juillet dernier sur l’initiative de mon groupe, relative à la lutte contre les violences à l’encontre des femmes. Pour préparer ce texte, qui s’inspire de la loi globale espagnole, une référence en la matière, nous avons accompli un travail important, en liaison étroite avec le collectif national pour les droits des femmes, avec le souci de traiter des violences dans toutes leurs dimensions.

Malheureusement, comme je l’ai déjà déploré lors du débat sur le projet de loi pour l’égalité réelle entre les femmes et les hommes, le système des niches parlementaires ne permettra pas que cette proposition de loi soit débattue. Une intervention du Gouvernement, et notamment de vous-même, madame la ministre, serait donc bienvenue, car j’ai bon espoir que nous puissions réunir une majorité qui dépasse les clivages politiques traditionnels ; les interventions des oratrices qui m’ont précédée me confortent dans cette conviction.

En vérité, madame la ministre, il serait bon que le Parlement puisse examiner un texte vraiment complet sur la lutte contre les violences faites aux femmes : un texte plus protecteur pour les femmes et qui permette de mieux répondre aux ambitions de la convention d’Istanbul.

En définitive, compte tenu de l’importance de cette convention et des ambitions affichées en matière de prévention, de protection et de poursuites, notre groupe votera bien évidemment le projet de loi de ratification. La position de la France l’engage profondément à lutter contre toutes formes de violences à l’égard des femmes, à prôner une éducation non sexiste et une culture de l’égalité et à promouvoir une Europe sans violence.

Nous continuerons à être attentives et attentifs à ces combats, en défendant également une clause de non-régression, afin d’empêcher que, au gré des changements de gouvernements dans les différents pays européens, les droits des femmes ne subissent des reculs. Cette proposition pourrait d’ailleurs se conjuguer avec une revendication chère à Mme Gisèle Halimi : la clause de l’Européenne la plus favorisée, qui vise à harmoniser par le haut les droits des femmes. Même si elle rencontre un accueil contrasté parmi les féministes, cette dernière idée est porteuse d’une belle ambition et mériterait pour le moins de faire l’objet d’un grand débat public, qui s’impose à la veille des élections européennes.

Mes chers collègues, le projet de loi autorisant la ratification de la convention d’Istanbul a un mérite supplémentaire : il met en lumière la nécessité de bâtir une Europe sans violence et de franchir un pas supplémentaire vers l’égalité réelle entre les femmes et les hommes !

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