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Affaires étrangères et défense

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une guerre aventuriste que le mandat de l’ONU ne peut justifier

Prolongation de l’intervention militaire en Libye -

Par / 12 juillet 2011

Avant même de débattre de la situation en Libye, je voudrais rendre hommage aux membres de nos forces armées qui sont actuellement en opérations extérieures.

Récemment en Afghanistan, j’ai de nouveau eu l’occasion de mesurer leur courage et leur professionnalisme, mais aussi de déplorer la mort de deux jeunes soldats d’un régiment parachutiste qui ont encore payé de leur vie leur engagement sur ce théâtre des opérations extérieures de la France. Et ce triste bilan s’est encore alourdi hier.

La marine nationale et notre aviation étant engagées en Libye depuis bientôt quatre mois, le Gouvernement nous demande, ainsi que la Constitution lui en fait obligation, l’autorisation de prolonger cette intervention. J’en déduis qu’il est contraint de nous faire cette demande, car les objectifs fixés à l’intervention n’ont pas encore été atteints et que le Gouvernement a besoin d’un délai supplémentaire.

Je récuse ce droit d’ingérence légitimé par l’ONU en 2005, qui prétend déterminer le cadre de notre intervention en Libye. Ne le mettons pas sur le même plan que le droit à l’autodétermination des peuples, ne le confondons pas non plus avec l’aide à apporter aux luttes pour la démocratie et le développement.

Ce nouveau droit international d’ingérence n’est ni plus ni moins que le droit que s’octroient les puissances militaires développées de bombarder des populations dans leur pays, selon des critères le plus souvent dictés par l’OTAN. J’observe, d’ailleurs, qu’il ne s’applique qu’aux adversaires de l’OTAN et jamais à ses amis.

La question que nous devons donc nous poser avant d’autoriser ou non la prolongation de cette opération est de savoir si les objectifs n’ont pas été atteints ou s’ils ont changé entre-temps ?

Il est, en effet, aujourd’hui évident que le relatif consensus de la communauté internationale autour de la résolution 1973, obtenu grâce à l’abstention de la Russie et de la Chine, se fissure. Les Allemands sont hostiles à la poursuite de l’intervention, comme l’est aussi le Congrès, aux États-Unis, qui a refusé au président Obama de voter le texte qui autorisait la campagne en Libye.

La Ligue arabe et l’Union africaine sont maintenant réticentes, les peuples européens sont divisés et les opinions publiques des pays engagés, notamment chez nous, semblent être de plus en plus hostiles à la forme que prend cette intervention.

Alors qu’il n’était pas envisagé que cette opération excède quelques semaines, la situation actuelle doit nous inciter à nous interroger sur les raisons de sa durée et sur la justification du prolongement qui nous est demandé.

Un récent sondage de l’IFOP nous apprend, par exemple, que désormais une courte majorité de Français, 51 % d’entre eux, la désapprouvent. Peut-être est-ce là le signe que nos concitoyens commencent à percevoir qu’il s’agit non pas d’une opération purement humanitaire, mais bien d’une guerre pour défendre des intérêts économiques et stratégiques.

La présence très importante de grands groupes français sur le territoire libyen et les intérêts financiers en jeu éclairent aussi les objectifs visés.

Ce rejet s’explique également, sans doute, par une durée d’intervention plus longue que celle initialement annoncée par le Gouvernement, par quelques centaines de morts, par environ 700 0000 réfugiés en Tunisie et en Égypte, et par un coût élevé dont les dépassements ont été estimés par le ministre de la défense à quelque 160 millions d’euros sur trois mois.

Lors du débat tenu dans cet hémicycle quelques jours après le début des frappes aériennes, le groupe CRC-SPG s’était clairement opposé à cette opération, car il considérait que l’argument de la protection des populations civiles qui fonde la résolution du Conseil de sécurité n’était qu’un prétexte masquant d’autres intentions.

Même si la situation sur le terrain a légèrement évolué ces jours-ci, puisque les opposants se sont rapprochés de Tripoli, je persiste à croire que nous sommes confrontés à un blocage militaire et politique.

Officiellement, l’opération militaire ne visait qu’à instaurer une zone d’exclusion aérienne pour protéger la population civile du massacre qu’avait annoncé le colonel Kadhafi pour Benghazi.

Toutefois, bien qu’elle ne fixe ni calendrier ni objectif précis, la résolution ne visait nullement le renversement du régime libyen.

Or, au fil du temps, cet objectif est de plus en plus clairement apparu dans les motivations de notre pays ainsi que dans celles des dirigeants britanniques.

À cet égard, les déclarations, dimanche soir, du ministre de la défense, paraissent traduire une légère inflexion du Gouvernement, puisqu’il n’a plus lié directement l’arrêt des bombardements au départ de Kadhafi de Libye.

Il n’en reste pas moins que, sous l’angle de la stricte légalité internationale, les opérations visant la personne même du colonel Kadhafi pour faire tomber le pouvoir en place à Tripoli n’étaient pas couvertes par le mandat de l’ONU.

Il faut se rendre à l’évidence : plutôt que des civils pacifiques et sans armes, nos forces ont peu à peu été amenées à soutenir et à protéger des opposants armés qui marchent sur Tripoli pour renverser le régime.

C’est pourquoi, en subordonnant implicitement la réussite de l’opération à l’élimination du régime libyen et à la mise à l’écart de son dirigeant, la coalition à laquelle nous participons s’est elle-même mise en difficulté en étant tenue à une victoire militaire rapide.

En jouant sur l’interprétation du mandat confié par l’ONU, vous avez également pris le risque d’entamer la légitimité de la résolution 1973. Votre interprétation a contribué à briser le fragile consensus qui avait entouré l’adoption de celle-ci.

La Russie s’engouffre maintenant dans cette brèche pour considérer, à juste titre, que la résolution a été détournée de son sens afin de cautionner une entreprise de renversement d’un régime par la force, en appuyant un camp contre l’autre dans une guerre civile entre Libyens.

L’intensification des bombardements et l’utilisation d’hélicoptères de combat pour affiner les frappes ont démontré que l’objectif de chasser Kadhafi du pouvoir était quasi impossible à atteindre par des moyens militaires. C’est en outre un signe de faiblesse politique, car si vous pensiez que Kadhafi était prêt à partir, vous ne seriez pas obligés de demander cette prolongation.

En plus de l’appui aérien de l’OTAN, notre pays a aussi pris l’initiative de parachuter des armes légères aux rebelles. Ces largages, que nous avons rapidement interrompus après que les Britanniques ont formulé leurs réticences en la matière, n’ont fait qu’accentuer les divergences au sein de la coalition et renforcer les critiques des adversaires de l’intervention militaire.

L’opération, dont vous avez pris la tête avec la Grande-Bretagne, officiellement décidée dans un but humanitaire, tente par ailleurs de faire oublier votre retard à réagir aux printemps de Tunisie et d’Égypte.

M. Robert del Picchia. On croit rêver !

Mme Michelle Demessine. C’est vrai, même si cela ne vous fait pas plaisir !

Cette opération vous sert, en réalité, à justifier la politique de puissance de la France sur la scène internationale et vous donne accessoirement l’occasion de vous débarrasser d’un ancien allié incontrôlable, devenu bien encombrant.

M. Alain Gournac. C’est indigne !

Mme Michelle Demessine. Souvenez-vous que vous avez reçu, avec tous les honneurs, ce dictateur, qui était l’un des principaux instigateurs du terrorisme international ! (Exclamations indignées sur les travées de l’UMP.)

M. Roland Courteau. Elle a raison !

M. Jean-Claude Gaudin. Georges Marchais allait bien chez Ceausescu !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Quel rapport ?

M. Didier Boulaud. Tout à fait ! On ne va pas remonter jusqu’à Pépin le Bref, quand même !

Mme Michelle Demessine. Mais, puisque le Président de la République a pris la décision d’intervenir dans cette guerre civile, il est nécessaire de s’interroger sur les conséquences du soutien apporté à ces opposants regroupés au sein de la nébuleuse qu’est le Conseil national de transition.

Malgré les informations et les mises en garde préalables de nos services de renseignements et de certains de nos diplomates, le Président de la République, sur les conseils d’un philosophe éclairé, s’est précipité pour offrir une reconnaissance internationale à un mouvement dont on ne savait ni ce qu’il représentait ni précisément ce qu’il voulait.

Cette décision quelque peu aventuriste a surestimé les capacités politiques et militaires de la rébellion libyenne et sous-estimé la capacité de résilience des forces fidèles au régime.

La posture du Président de la République s’est ainsi rapidement heurtée à la réalité et à la complexité des situations sur le terrain. Avez-vous suffisamment mesuré les conséquences négatives que risque d’entraîner ce soutien mal contrôlé au Conseil national de transition ?

Pratiquement dès le début des opérations militaires, des spécialistes des relations internationales et des questions de sécurité et de défense, des journalistes ont été nombreux à analyser ce conflit. Tous en ont relevé la dimension provinciale et le caractère de dissidence revancharde. Ils soulignaient également que ce soulèvement armé tentait de profiter du contexte de sympathie qu’avait suscité « le printemps arabe » dans certains pays d’Europe.

Dans un récent rapport rédigé par deux instituts spécialisés dans les relations internationales et le renseignement, rapport qui a été adressé à un grand nombre de nos collègues, la composition et les objectifs du CNT sont ainsi décrits : « Le CNT se révèle n’être qu’une coalition d’éléments disparates aux intérêts divergents, dont l’unique point commun est leur opposition déterminée au régime. Les véritables démocrates n’y sont qu’une minorité et doivent cohabiter avec d’anciens proches du colonel Kadhafi, des partisans d’un retour de la monarchie et des tenants de l’instauration d’un islam radical. »

Ce dangereux cocktail de forces et de personnalités attachées à la défense d’intérêts très divers promet, vous en conviendrez, un avenir très incertain.

Votre intervention, qui, aux yeux du monde arabo-musulman, est entachée d’un label « occidental » va, en définitive, créer plus de problèmes qu’elle n’en résoudra.

Il existe une forte probabilité de déstabilisation du Maghreb, et de la région sahélienne. En outre, à l’heure où réapparaissent au grand jour en Tunisie et en Égypte des mouvements islamistes fondamentalistes, vous prenez le risque de remettre le pouvoir à des éléments de la société libyenne proches de l’islam radical, tout aussi peu démocrates que le régime actuel, et de provoquer une partition du pays. Le remède risque ainsi d’être pire que le mal que vous prétendez éliminer.

M. Bruno Sido. Oh là là !

Mme Michelle Demessine. C’est la raison pour laquelle, forte des mises en garde des spécialistes et du bon sens de l’opinion publique, je ne me sens aucunement isolée en prenant, avec mon groupe, une position qui va à l’encontre du consensus ambiant.

Le Gouvernement, en prenant, avec la Grande-Bretagne, l’initiative d’une intervention décidée sans concertation avec nos voisins et amis allemands, s’est lancé dans cette aventure en sous-estimant gravement les répercussions négatives qu’elle pourrait entraîner dans le monde arabe.

Certes, les gouvernants de ces pays ne se sont pas opposés à l’intervention, mais l’on perçoit bien que la rue, les opinions publiques la réprouvent, et lui sont même parfois franchement hostiles. C’est aussi sans doute ce qui peut expliquer les revirements et les tergiversations du secrétaire général de la Ligue arabe.

Prolonger les frappes aériennes ne peut donc être la solution pour sortir de l’impasse militaire et politique à laquelle sont confrontés notre pays et la coalition à laquelle nous participons. Il faut maintenant changer radicalement de méthode, ne pas jouer sur les deux tableaux et passer à une phase décisive qui privilégie la recherche de toutes les pistes de négociations sur l’intervention militaire.

En tout état de cause, une sortie de crise passe d’abord par un véritable cessez-le-feu, sous contrôle international et concomitant d’un arrêt des bombardements. De ce point de vue, la dernière réunion du groupe de contact à Abou Dhabi, avec la « feuille de route » qui a été adoptée, n’est que partiellement satisfaisante. Pour être efficace, il faudrait obtenir, par une action diplomatique déterminée, que cette feuille de route soit maintenant acceptée et soutenue par la Ligue arabe, l’Union africaine, mais aussi par la Russie et la Chine.

Je souhaite que la présentation qui en sera faite demain devant le Conseil de l’OTAN soit l’occasion d’obtenir des éclaircissements sur les modalités de suivi d’un cessez-le-feu ainsi que sur la place et le rôle du CNT dans le processus politique de transition.

Enfin, il faut dès maintenant préparer activement cette période de transition politique en donnant un rôle prépondérant aux représentants de l’ONU – en associant la Ligue arabe et l’Union africaine – chargés d’engager un dialogue national impliquant toutes les composantes de la société libyenne, dialogue qui devrait déboucher sur une assemblée constituante permettant la tenue d’élections démocratiques.

Je sais, et je l’apprécie, que les nombreuses initiatives diplomatiques du ministre des affaires étrangères vont dans ce sens. Je suis donc, pour cette raison précise, convaincue que la poursuite indéterminée des frappes aériennes qui nous est demandée serait contre-productive et ne peut être la bonne façon de sortir de cette crise libyenne.

Vous comprendrez donc, dans ces conditions, que le groupe CRC-SPG vote contre l’autorisation de cette prolongation.

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