Affaires étrangères et défense
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
La région du Botswana est sans doute l’une des plus soumises à l’évasion fiscale
Accord fiscal entre la France et le Botswana -
Par Eric Bocquet / 30 janvier 2020Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, est-il vraiment utile de débattre en séance publique d’une convention fiscale entre la France et le Botswana ? Cette question peut nous traverser l’esprit, car les échanges commerciaux entre les deux pays sont très modestes : le Botswana est le 185e client de la France et ce pays ne représente que 0,1 % du marché mondial des services financiers offshore.
Malgré cette situation particulière, il nous paraît important, voire essentiel, que le Parlement soit systématiquement associé dès lors qu’il s’agit de prévenir la fraude et l’évasion fiscales en matière d’impôt sur le revenu, comme il devrait l’être aussi s’agissant de la constitution de la liste française des paradis fiscaux. Ce sont des sujets essentiels qui ne devraient pas échapper à l’examen des élus de la Nation, dans la mesure où ils touchent à la perception des moyens financiers des États pour financer les services publics, la justice sociale et notre modèle de société.
Or, précisément, le Botswana a été retiré de la liste française des paradis fiscaux par décision ministérielle le 6 janvier dernier, avant que le Parlement ait à statuer sur cet avenant à la convention entre la France et ce pays. Nous trouvons cette méthode quelque peu méprisante à l’endroit des élus nationaux. Cette décision a été prise sur la base d’un engagement du Botswana de créer les conditions d’une meilleure transparence et d’une amélioration de la transmission d’informations fiscales et financières. Le retrait de la liste des paradis fiscaux aurait dû, selon nous, être conditionné à la mise en œuvre effective de ces engagements, sur laquelle des doutes persistent. J’hésite, à ce stade, entre évoquer saint Thomas, qui ne croit que ce qu’il voit, ou Friedrich Engels, selon qui la preuve du pudding, c’est qu’on le mange.
M. Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’État. Je préfère saint Thomas !
M. Éric Bocquet. C’est l’une des raisons qui nous amènent à émettre de fortes réserves sur la signature de cette convention.
Nous partageons d’ailleurs les interrogations, exprimées la semaine dernière en commission des finances par notre rapporteur, Vincent Delahaye, et rappelées par lui ce matin, quant au respect par le Botswana de ses engagements et au fait que ce pays figure aujourd’hui sur la liste « grise » des paradis fiscaux de l’Union européenne. Cette cacophonie nuit, selon nous, à l’efficacité de la lutte internationale contre l’évasion fiscale.
Ces éléments de fond nous font douter de l’efficacité des conventions fiscales bilatérales. La lutte contre l’évasion fiscale doit être traitée, bien évidemment, dans sa dimension internationale. Certes, des avancées réelles ont vu le jour ces dernières années au travers de l’OCDE, mais cette organisation regroupe moins de quarante États. Des discussions ont lieu lors des réunions du G20 et du G8 entre les États les plus riches du monde, mais celui-ci compte environ deux cents États. C’est pourquoi nous défendons toujours l’idée d’organiser une COP de la fiscalité internationale, à l’image de ce qui s’est fait à Paris en 2015 pour le climat. On nous dira que cette idée est utopique ; sa mise en œuvre prendrait du temps, certes, mais redéfinir les quelque 3 000 conventions fiscales liant les États dans le monde nécessiterait des années de travail. Il nous faut ouvrir le chantier de la coopération fiscale et financière internationale au nom de l’intérêt général.
Nous débattons ce matin d’un pays du continent africain, le Botswana. Or cette région du monde est sans doute celle qui est le plus affectée par les pratiques d’évasion fiscale. Si les recettes fiscales représentent en moyenne 34 % du PIB des pays de l’OCDE, leur poids est deux fois moins important dans les pays en développement. Or, pour assurer leur développement et leur autonomie, ces derniers ont besoin d’accroître les dépenses qu’ils consacrent aux infrastructures, aux services de base et aux transferts sociaux. Il leur faut donc accroître leurs recettes fiscales. Or la conférence des Nations unies sur le commerce et le développement a montré voilà quelque temps que, entre 2004 et 2012, les gouvernements n’ont, par exemple, bénéficié que de 17 % à 34 % environ de la rente issue des activités extractives, dominées par de grandes entreprises privées.
Telles sont, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les réserves qui amèneront le groupe CRCE à voter contre l’approbation de l’avenant à cette convention fiscale.