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Affaires européennes

Ce pays est poussé, comme les autres, à privatiser, à précariser à tout-va la situation des salariés, à libéraliser et à déréglementer les échanges

Traité relatif à l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne -

Par / 15 janvier 2013

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’examen de ce projet de loi autorisant la ratification du traité relatif à l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne nous donne l’occasion de mener une réflexion plus générale sur le processus d’élargissement.

Si l’ensemble des pays membres de l’Union européenne ratifient cette adhésion, par voie parlementaire ou référendaire, la Croatie deviendra au mois de juillet prochain le vingt-huitième État membre à part entière. Elle aura pour cela su franchir avec succès toutes les étapes d’un long et difficile processus.

Cela veut-il dire, pour autant, que la réalité de la situation de ce pays satisfait pleinement aux critères dits de Copenhague, que, pour ma part, je conteste parce qu’ils imposent aux pays le modèle de développement néolibéral ?

Non, des problèmes importants demeurent. C’est pourquoi, d’ailleurs, la Croatie est encore soumise au mécanisme spécifique de suivi renforcé de ses engagements, institué pour tenir compte des enseignements tirés de l’intégration peu aboutie de la Roumanie et de la Bulgarie. Il lui reste du chemin à faire pour mettre en place une société répondant aux canons européens actuels, c’est-à-dire dotée d’une économie de marché et d’un arsenal législatif parfaitement aligné sur celui de l’Union européenne.

Les autorités européennes ont ainsi assez fermement invité les responsables croates à poursuivre leurs efforts dans une dizaine de domaines, allant de la privatisation totale des chantiers navals jusqu’à l’aboutissement de procédures judiciaires, tels certains procès pour crimes de guerre, en passant par des recrutements dans la police des frontières ou l’adoption rapide des décrets d’application d’une loi sur la police.

Il est donc important de ne pas sous-estimer les difficultés que rencontre ce pays en matière économique ou en termes de capacités judiciaires ou administratives.

Toutefois, d’un autre côté, la perspective de l’adhésion et les rapports de suivi des autorités européennes peuvent aussi constituer pour la Croatie une incitation à mener les réformes nécessaires en matière de justice et de lutte contre la corruption ou contre le crime organisé.

Cependant, je crains que, comme ses prédécesseurs d’Europe centrale, la Croatie ne subisse les mêmes conséquences néfastes d’une stricte application des exigences communautaires.

Par exemple, les conditions d’acceptation au titre de l’un des critères de Copenhague, la reprise de « l’acquis communautaire », ne tiennent aucun compte des inégalités qui se creusent, des problèmes sociaux du pays, de la situation réelle de l’emploi, de la fragilité de l’économie, ainsi que de certaines spécificités nationales.

En réalité, au nom de l’exigence, inscrite dans les critères de Copenhague, de se montrer capable d’affronter la concurrence du grand marché européen, ce pays est poussé, comme les autres, à privatiser, à précariser à tout-va la situation des salariés, à libéraliser et à déréglementer les échanges, quitte à créer un énorme déficit commercial.

Ce mécanisme fait ainsi des bas salaires une sorte d’avantage comparatif dans le jeu de la concurrence, ce qui aboutit à élargir les marchés européens sans que les droits des peuples suivent.

D’une façon générale, la politique d’élargissement de l’Union européenne à de nouveaux pays est souvent mal comprise et suscite de grandes inquiétudes dans les opinions publiques. En effet, le processus semble s’accélérer depuis quelques années, être mal maîtrisé et surtout mal défini. Les peuples d’Europe, mais aussi leurs élus et leurs dirigeants, ont besoin de savoir où ils vont, pourquoi « élargir », à qui et jusqu’où.

En outre, au moment où l’Union européenne est confrontée à une grave crise économique et financière, ayant de lourdes conséquences pour les économies et la vie des peuples, et se montre impuissante à parler d’une seule voix sur la scène internationale en raison de divergences entre les vingt-sept États membres, on peut légitimement s’interroger sur l’intérêt de poursuivre son élargissement.

Le passage de l’Union européenne de quinze à vingt-sept pays membres avait déjà eu pour conséquence de modifier la nature du projet européen initial, l’Union tendant à devenir une simple zone de libre-échange, à cause des fortes disparités existant entre États membres.

Le projet européen que nous connaissons, dont les peuples subissent aujourd’hui les conséquences négatives, a été principalement conçu, dès l’origine, pour des raisons strictement économiques. Il s’agit avant tout de permettre une libre circulation des capitaux et des marchandises dans un marché unique. Les grands et généreux principes, l’histoire, les idées et les valeurs communes, la libre circulation des personnes, les droits de l’homme, la paix ou le nécessaire progrès social n’ont été mis en avant qu’après coup.

Dans le contexte de la crise actuelle, certains préconisent une pause dans l’élargissement et évoquent la nécessité de procéder à un approfondissement de l’Union européenne avant d’envisager de porter le nombre de ses membres de vingt-sept à trente ou davantage, comme il est prévu de le faire avec l’adhésion de l’ensemble des pays des Balkans.

Pour ma part, je pense qu’il faut plutôt préciser, et mieux encore redéfinir, les principes sur lesquels doit se fonder la politique d’élargissement de l’Union européenne.

En effet, s’il s’agissait simplement de fixer des limites à l’Europe, il se trouve que le Conseil de l’Europe l’a déjà fait il y a quinze ans en définissant, par la géographie, la culture et la volonté d’adhésion, les critères d’appartenance des quarante-sept pays qui la composent.

Les problèmes que soulève aujourd’hui la politique d’élargissement ne sont pas, à l’évidence, de même nature, car la construction européenne traverse en réalité une profonde crise d’identité.

Pour tenter de s’adapter aux difficultés de tous ordres que pose l’élargissement, l’Union européenne a déjà mis en place, en son sein, plusieurs cercles, plusieurs strates, plusieurs frontières, ainsi que des mécanismes de coopération à plusieurs vitesses et différenciés.

C’est pourquoi les problèmes suscités par le développement de l’Union européenne tiennent moins aux limites territoriales de celle-ci qu’au projet de société qu’elle prétend réaliser.

C’est donc moins la politique d’élargissement en elle-même que la façon dont elle est appliquée qui pose problème. C’est cette politique qui menace la cohésion de l’Union européenne.

Ce qui pourrait menacer plus gravement encore la construction européenne, ce n’est pas un risque de dilution lié à la poursuite de l’élargissement ; comme l’a montré la récente crise de la zone euro, ce sont plutôt les difficultés et la lenteur à trouver des solutions solidaires face à la crise financière, ainsi que l’absence de volonté politique des dirigeants européens de prendre des mesures fortes de régulation pour lutter efficacement contre la spéculation sur les marchés financiers.

En effet, n’oublions pas que la seule réponse des gouvernements à la crise financière qui a failli emporter l’Europe a consisté, au bout du compte, à en faire payer les conséquences par les populations, en rendant encore plus contraignant l’ancien pacte de stabilité et de croissance et en sanctionnant les pays qui ne respectent pas le dogme aveugle et socialement injuste de la lutte contre les déficits budgétaires.

La véritable menace, pour la construction européenne, vient du fait que les nouveaux entrants doivent se soumettre à la concurrence effrénée qui prévaut au sein du marché unique et les contraint à une privatisation généralisée de leur économie, entraînant une généralisation des bas salaires et la précarisation de l’ensemble de la population. Cela induit un dumping social, qui provoque en retour chez nous des délocalisations d’entreprises, au détriment de notre économie.

Est-ce à ces conditions, dans ce contexte, qu’il faudrait accueillir la Croatie au sein de l’Union européenne ? Cela mérite évidemment réflexion. On comprend que les politiques d’élargissement puissent inspirer des craintes et des réticences. En tout cas, j’estime que ce n’est pas en différenciant les niveaux d’intégration des pays accueillis, comme certains le proposent, que l’on résoudra les problèmes.

Je souhaite un changement fondamental des orientations de la construction européenne, mais, en attendant, faut-il différer l’adhésion de la Croatie ?

Je suis lucide et sans illusions sur les conséquences néfastes pouvant résulter de cette adhésion réalisée aux conditions définies par les critères néolibéraux de Copenhague et dans le contexte de la plus grave crise politique, financière, économique et politique que l’Europe ait jamais connue.

Dans le même temps, il faut bien mesurer que le peuple croate manifeste un désir certain de rejoindre l’Union européenne ; il en a approuvé le principe par référendum, à une majorité de 66 % des voix. Ne pas répondre à cette attente pourrait être dangereux, car cela risquerait de nourrir le populisme et d’encourager le retour d’un nationalisme d’extrême droite toujours vivant dans ce pays.

En outre, la perspective européenne peut et doit être un facteur de paix et de stabilité dans cette région des Balkans occidentaux qui a tant souffert.

Mes chers collègues, c’est principalement en considération de cette double nécessité – respecter la volonté exprimée par le peuple croate et installer une paix durable dans la région – que le groupe communiste, républicain et citoyen se prononcera en faveur de la ratification du traité relatif à l’adhésion de la République de Croatie à l’Union européenne.

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