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Affaires européennes

Débat préalable au Conseil européen des 17 et 18 juin 2010

Par / 15 juin 2010

Avant chaque réunion du Conseil européen des chefs d’État ou de gouvernement de l’Union européenne, un débat est organisé au Parlement avec le Gouvernement afin d’associer les parlementaires aux sujets essentiels qui sont traités au Conseil.
Le mardi 15 juin, le Sénat a donc organisé un débat préalable au Conseil européen du 17 juin, l’occasion pour Michel Billout de porter la voix du groupe CRC-SPG qui appelle le Gouvernement à mettre un terme aux politiques libérale d’austérité et à réorienter les politiques européennes vers les peuples et non vers les marchés financiers.

"Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à cette heure tardive, dans la confidentialité de cet hémicycle quelque peu clairsemé – heureusement, vous êtes bien entouré, monsieur le secrétaire d’État : cela fait un peu de monde ! –, à l’avant-veille d’un important Conseil européen, les groupes que nous représentons sont invités à faire part au Gouvernement de leur appréciation de la situation actuelle de l’Europe.

Même s’il se déroule dans des conditions meilleures que le précédent, je m’interroge encore sur le sens, l’utilité et la signification qu’il convient d’accorder à ce débat. Je regrette d’autant plus vivement cet état de fait que le prochain Conseil européen entérinera de nouvelles décisions, censées une fois encore faire face aux effets d’une crise financière sans précédent.

L’Union européenne traverse en effet une zone de fortes turbulences qui pourrait être caractérisée en quelques mots : confusion, cacophonie, incapacité à prendre rapidement des décisions collectives, manque de solidarité, repli sur les intérêts économiques nationaux, fuite en avant, et surtout capitulation devant le diktat des marchés financiers.

Sur ce dernier point, Michel Barnier décrit ainsi la situation : « On voit, depuis quelques années, l’industrie financière imaginer des produits dits dérivés de plus en plus sophistiqués, tellement sophistiqués que ceux-là mêmes qui les utilisent ne savent plus comment s’y retrouver et quelles en sont les conséquences. […]
« [Ceux-ci] mobilisent 600 000 milliards de dollars, notamment entre les deux rives de l’Atlantique. […] 80 % des échanges dont je parle sur les produits dérivés, 80 % de ces échanges sur 600 000 milliards de dollars échappent à toute forme de transparence, d’enregistrement et de contrôle. »

C’est ce contexte qui explique sans doute la grande difficulté rencontrée par le Président de la République et le Gouvernement pour faire entendre la voix de la France dans une Union européenne si peu solidaire.
Vous avez en effet toutes les peines du monde à masquer les profondes divergences qui nous opposent à l’Allemagne, notre partenaire privilégié, sur ce qu’il est convenu d’appeler la gouvernance économique et les solutions institutionnelles qui seraient nécessaires face à la crise que nous traversons. Et ce n’est pas ce qui est ressorti du rendez-vous d’hier soir entre Angela Merkel et Nicolas Sarkozy qui contredira beaucoup cette analyse… Certes, il était nécessaire de présenter quelques points d’accord avant la réunion du Conseil européen, mais ceux-ci restent très limités et fort controversés.
Nicolas Sarkozy, pour sa part, a dû renoncer à institutionnaliser les réunions des seize chefs d’État et de gouvernement de la zone euro en les dotant d’un secrétariat qui serait devenu de fait un gouvernement, et donner acte à la Chancelière allemande de sa volonté de rigidifier un peu plus le carcan de Maastricht en prévoyant des sanctions financières à l’égard des États considérés comme trop laxistes en matière de finances publiques, voire en les privant de leur droit de vote.

Cela en dit long sur la conception de l’État de droit au sein de l’Union européenne que défendent les plus hauts responsables du couple franco-allemand. Je pense même que certains partisans du traité de Lisbonne doivent aujourd’hui s’étonner d’une telle lecture de ce traité…

Quant à la prétention affichée « d’être plus ambitieux sur la régulation financière », comme l’affirme Nicolas Sarkozy, en demandant au G20 l’instauration d’une taxe sur les transactions financières et d’une taxe bancaire, voire « la mise en place d’une taxe financière », il y a fort à craindre que cette annonce ne rejoigne toutes celles faites depuis deux ans et dont nous attendons toujours la concrétisation. Ce serait pourtant une excellente nouvelle pour tous ceux qui, comme les sénateurs du groupe CRC-SPG, ont toujours milité en faveur de la taxation des actifs financiers et des produits spéculatifs.

En réalité, toutes les solutions envisagées vont dans le même sens : répondre aux exigences des marchés financiers, qui ont une large part de responsabilité dans la crise que nous traversons et qui exigent toujours plus, en demandant une réduction des dettes et des dépenses publiques de chaque pays. Nous nous opposons fermement à ces propositions qui visent à un peu plus de régulation, mais aucunement à se défaire de la logique destructrice qui anime ces marchés.

De plus, la façon dont sont abordées les modalités de coordination des politiques économiques européennes, loin de favoriser la nécessaire concertation et la coopération entre les États membres, privilégie au contraire une approche autoritaire et antidémocratique, tant elle est éloignée du contrôle des institutions élues de chaque pays.

La semaine dernière, en prélude à la réunion de ce Conseil européen, des événements hautement significatifs ont eu lieu : plusieurs réunions, à seize ou à vingt-sept, des ministres européens de l’économie et des finances et, surtout, l’adoption par l’Allemagne, la Grande-Bretagne, l’Espagne et les Pays-Bas de projets de budgets qui rivalisent dans la rigueur et l’austérité, la France s’arrogeant la palme, avec l’annonce d’une réduction de 100 milliards d’euros en trois ans de son déficit public et la suppression, entre autres, de 100 000 postes de fonctionnaires, alors que l’Allemagne ne propose d’en supprimer que 15 000, tout en annonçant la réduction de son déficit de 80 milliards d’euros en quatre ans.

Ainsi, malgré une apparence de désordre, des décisions cohérentes et lourdes de conséquences ont été prises.

Lundi dernier, à Luxembourg, pour contrer les risques de contagion de la crise grecque et donner l’impression de vouloir résister à la pression des marchés financiers, les ministres des finances ont finalisé, dans la douleur, les modalités d’application du Fonds européen de stabilité financière. Il est destiné à venir en aide, avec le concours exigeant du Fonds monétaire international, aux pays de la zone euro qui en auraient besoin.
Mais ce mécanisme est pervers, car il consiste à emprunter de l’argent auprès des marchés financiers – toujours eux ! – pour voler au secours d’un pays aux abois. Il concrétise ainsi une nouvelle soumission de l’Union européenne à ces marchés.

Les ministres des finances se sont également entendus sur les grandes lignes d’une réforme du pacte dit « de stabilité et de croissance ».
Il s’agit en réalité de dangereuses mesures de durcissement d’une discipline conforme à l’orthodoxie budgétaire du libéralisme économique. Ces dispositions ne s’attaquent pas à la racine du mal. Elles ne sont pas adaptées à la gravité de la situation et sont souvent contre-productives. Il est ainsi prévu de renforcer le pacte de stabilité et de croissance, alors qu’il n’est qu’un corset bridant les dépenses publiques utiles et les budgets sociaux !
Tous ces plans d’austérité budgétaire, loin de ramener l’endettement public à un niveau acceptable, risquent au contraire d’asphyxier les économies, en appauvrissant le plus grand nombre, de les faire plonger dans la récession et le chômage massif avec, en prime, moins de recettes fiscales et plus d’endettement public.

Nombre d’économistes tirent pourtant la sonnette d’alarme. Je pense notamment à Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, ou encore à Éric Heyer, directeur adjoint à l’Observatoire français des conjonctures économiques, ce dernier estimant qu’« avec les mesures d’austérité, on court à la catastrophe ». Mais rien n’y fait !

Et c’est cette lutte aveugle contre les déficits publics que le Président de la République voudrait maintenant graver dans le marbre de la Constitution, liant ainsi les mains des gouvernements futurs en leur ôtant toute possibilité de marge de manœuvre budgétaire… Encore un nouveau progrès démocratique !

Les mesures proposées par les ministres des finances européens visent en fait, au mépris de toutes les réalités économiques et sociales, à mettre en place de véritables plans d’ajustements structurels, de surcroît sans que les États et les parlementaires nationaux aient à donner leur avis. C’est en effet l’une des principales décisions qui seront soumises au prochain Conseil européen : les projets de budgets nationaux pourraient désormais être présentés à la Commission européenne et aux autres États membres avant même d’être débattus par les parlements nationaux !
Une telle décision porterait gravement atteinte à la souveraineté de notre peuple en matière d’organisation des finances publiques, souveraineté reconnue par l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui dispose que « tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée ».
En remettant en cause un article de cette déclaration, qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité depuis la décision du Conseil constitutionnel du 16 juillet 1971, c’est toute possibilité de choix démocratique sur les grandes décisions que le Gouvernement remettrait en cause.

Cette proposition, sans doute la plus grave de toutes, vise tout simplement à renforcer la surveillance des politiques économiques et budgétaires des États membres par l’Union européenne.

Enfin, les ministres ont proposé de faire reposer l’amélioration de la compétitivité au sein de l’Union européenne sur ce qu’ils nomment pudiquement la « modération salariale » et que j’appelle plus prosaïquement la pression sur les salaires.

Telles sont les mesures qui seront présentées aux chefs d’État et de gouvernement et que le Président de la République et le gouvernement français se proposent d’avaliser lors du Conseil européen de jeudi et vendredi prochain.

Le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du parti de gauche considère qu’elles constituent un pas décisif vers un gouvernement économique européen qui, dans ces conditions, représenterait un danger pour la souveraineté des peuples d’Europe et pour la défense de leurs intérêts.

Nous voulons au contraire briser ce cercle vicieux en y opposant d’autres logiques, que je ne crois pas nécessaire de vous rappeler toutes tant il est vrai que nous les exposons depuis de nombreuses années. Je dirai simplement que, à l’inverse de la concurrence effrénée inscrite dans des traités qui ont montré leurs limites et se sont révélés caducs, le caractère global de cette crise appelle des coopérations nouvelles entre les États, fondées sur une véritable politique industrielle et sur l’effort de recherche.
La Banque centrale européenne, la BCE, doit notamment changer de rôle. Au lieu d’être au service exclusif des banques, elle devrait être transformée en un outil de financement public capable d’aider directement les États, en particulier pour financer leurs dépenses sociales.
Telles sont donc, monsieur le secrétaire d’État, quelques-unes des réflexions dont nous souhaitions, sans aucune illusion, vous faire part à la veille de ce nouveau Conseil européen. "

(Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

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