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Affaires européennes

La France ne tiendra pas ses engagements en matière d’aide publique au développement

Débat préalable au Conseil européen des 17 et 18 juin 2010 -

Par / 15 juin 2010

Monsieur le secrétaire d’État, j’ai bien conscience que la stratégie 2020 est d’une très grande importance. Néanmoins, j’aurais aimé que vous vous exprimiez sur certains autres points de l’ordre du jour du prochain Conseil européen, notamment le point 3 : celui-ci concerne les objectifs du millénaire pour le développement, lesquels seront ensuite soumis au sommet des Nations unies qui aura lieu le 10 septembre 2010.

Comme vous le savez, le Conseil Affaires étrangères du 14 juin dernier n’a pas repris les propositions de la Commission européenne, en ce qui concerne tant la fixation des calendriers que la mise en place des mécanismes de révision des engagements des pays. Cette attitude de retrait nous inquiète beaucoup.

Le Président de la République a promis d’augmenter l’aide publique au développement, l’APD, de la France. Comptez-vous, lors de ce prochain Conseil et lorsqu’il s’agira de définir les objectifs du millénaire pour le développement, respecter la promesse de consacrer 0,7 % de la richesse nationale à l’APD d’ici à 2015 ? D’autres pays européens ont d’ores et déjà atteint cet objectif.

Entendez-vous officialiser cet engagement, par exemple en l’inscrivant dans une loi de programmation qui pourrait être présentée au Parlement d’ici à l’automne ?

Tout à l’heure, vous déclariez que la transparence était un impératif, ce en quoi je suis tout à fait d’accord. À cet égard, allez-vous alors soutenir la proposition d’évaluation de l’APD telle que l’a formulée la Commission européenne ?

Vous avez rapidement abordé tout à l’heure la question de la lutte contre la pauvreté. Vous nous avez expliqué que celle-ci serait intégrée dans la déclaration de ce futur Conseil européen, ajoutant que personne ne pouvait s’opposer à une telle mesure. Dans le même temps, vous vous êtes déclaré favorable à la définition de stratégies industrielles et économiques.

Monsieur le secrétaire d’État, j’aimerais que vous nous apportiez quelques précisions. Si ces stratégies industrielles consistent à introduire plus de flexibilité, une concurrence toujours plus libre et non faussée, le libre-échange, à développer les CDD, ce dont a parlé M. Chevènement, à accroître la pression sur les salaires, évoquée par Michel Billout, vous comprendrez que nous n’approuverons ni cette politique ni ces propositions. Nous préférerions que l’Europe se dote d’outils lui permettant, sur le plan social, d’aller vers le haut et non vers le bas.

Je regrette, pour conclure, que vous n’ayez pas eu le temps de nous parler d’un autre point qui sera à l’ordre du jour du Conseil, à savoir l’évaluation de la mise en œuvre du pacte européen sur l’immigration et l’asile. Cette question concerne des femmes et des hommes en grande difficulté.

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d’État.

M. Pierre Lellouche, secrétaire d’État. Madame David, dans ce modeste secrétariat d’État, il faut être omniscient tant les sujets traités sont variés. Moi aussi, j’aurais aimé que nous évoquions les questions d’immigration et d’asile, qui concernent l’Europe et nos concitoyens. Ces questions méritent un vrai débat entre gens matures et ne doivent pas se réduire à l’échange de noms d’oiseaux.

Je ne peux que souscrire à votre volonté de préserver notre modèle social, sur lequel portait la seconde partie de votre question. La spécificité européenne tient à son modèle social, unique au monde. En ce moment, l’Europe est confrontée à une grave dépression à la fois démographique et économique. Notre croissance économique est douze fois inférieure à celle de la Chine et sept fois inférieure à celle de l’Inde. Dans ce domaine, avec 1,5 point de croissance pour la France et l’Allemagne et encore moins pour les autres pays, le moins qu’on puisse dire est que nous ne faisons pas la course en tête.

Surtout, notre faible croissance démographique rend très difficile la préservation de notre modèle social. Si l’on comptait six travailleurs pour un pensionné, nous ne serions pas contraints de réformer notre système de retraite !

Tout à l’heure, M. Chevènement, que j’écoutais avec bonheur, refaisait le débat sur la ratification du traité de Maastricht. Il disait sa préférence pour les monnaies nationales, estimant que la création de la monnaie unique était une erreur. Or les pays de l’Union qui ont conservé leur monnaie nationale ne sont pas bien vaillants. Si les Islandais sont candidats à l’Union européenne, ce n’est pas un hasard ; si les Britanniques ont à cœur, bien qu’ils n’en fassent pas partie, que les pays de la zone euro solutionnent leurs problèmes, c’est qu’ils savent parfaitement qu’ils ne peuvent pas faire cavalier seul.

La Norvège, où je me trouvais hier, a beau être riche de son pétrole et de son gaz – ce pays de 4 millions d’habitants dispose d’un fonds de réserve de 400 milliards d’euros ! –, elle sait fort bien que son sort est lié à celui de la zone euro.

Si, pour vous, la solution pour lutter contre les délocalisations consiste à rétablir les monnaies nationales et à maintenir envers et contre tout un système qui n’est pas finançable, alors permettez-moi de vous dire que vous ne ferez qu’amplifier et accélérer les délocalisations.

Madame David, savez-vous combien la France compte de travailleurs frontaliers ? Ils étaient 100 000 voilà dix ans ; ils sont désormais 320 000 ! Ces travailleurs partent non pour le Vietnam ou la Chine, mais, pour la majorité d’entre eux, pour le Luxembourg et la Suisse – deux pays très riches à monnaie forte –, et également pour l’Allemagne et la Belgique. Savez-vous ce qui les motive ? Ils sont payés 50 % de plus ! Cherchez l’erreur !

Tout se joue dans la différence qui existe entre les niveaux de fiscalité et les contraintes sociales qui pèsent sur les entreprises. Libre à vous, madame, d’accroître ces contraintes et de choisir une voie solitaire vers la croissance, mais ne soyez pas étonnée du résultat ! Après tout, nous sommes en démocratie !

Pour ma part, je tiens compte des réalités. C’est pourquoi j’estime que nous devons nous engager dans une politique concertée de croissance pour aller chercher le point qui nous manque. Ce point de croissance, nous l’obtiendrons non pas grâce à notre démographie, mais grâce à nos spécialités technologiques, grâce à ce qui fait la force de l’Europe, sa valeur ajoutée. Il nous faut donc investir dans la recherche, dans les technologies de pointe et harmoniser autant que possible les règles fiscales et sociales pour permettre à l’industrie et à la recherche de coopérer pleinement. Tel est l’objectif d’un gouvernement économique, lequel n’est aucunement synonyme de nivellement par le bas.

En ce qui concerne le dispositif d’aide publique au développement, il a donné lieu à quelques divergences avec certains pays, notamment avec les États nordiques et la Grande-Bretagne qui souhaitaient instaurer un système triennal alors que nous manquions de la visibilité nécessaire.

L’Europe, qui produit 30 % du PIB mondial, fournit 56 % de l’APD. La contribution de la France devrait se situer au niveau intermédiaire de 0,51 % du revenu national brut en 2010. Nous n’atteindrons donc pas l’objectif de 0,70 %, j’en conviens, et nous ne nous inscrivons pas dans une vision triennale, mais je n’ai pas pour autant l’impression que nous soyons parmi les plus mauvais, loin de là.

J’ajoute que les fonds de l’aide publique au développement sont désormais communautarisés. Ils portent l’empreinte du drapeau européen. Et bien souvent – je le dis comme je le pense –, lorsque la France veut engager une action à titre national, parce qu’elle traverse une crise ou parce qu’elle pourrait y trouver un intérêt politique, elle ne peut plus le faire, faute d’argent. Il s’agit là d’une vraie question, qui mériterait que nous y réfléchissions ensemble.

En ce qui concerne l’après-2013, je souhaite ardemment que l’Europe puisse intervenir au nom de tous les États et qu’elle dispose ainsi d’une réelle force de frappe en matière d’aide au développement. Elle fournit la moitié de la totalité de l’aide que reçoit la Palestine et 30 % de cette aide va à Gaza. Je considère toutefois que la France doit conserver ses propres moyens d’action.

Il faut donner un sens politique à l’aide au développement et fédérer son emploi à l’échelon européen : c’est le rôle de Mme Ashton. Sur ce point, il nous reste des progrès considérables à accomplir, madame David.

Il ne s’agit donc pas de comparer deux pourcentages – 0,51 % versus 0,70 % –, il faut savoir qui décide de dépenser les fonds de l’APD, de quelle manière et à quelles fins. Et croyez-moi, ce sujet mérite un vrai débat !

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