Groupe Communiste, Républicain, Citoyen, Écologiste - Kanaky

Affaires européennes

Les mobilisations citoyennes ont ébranlé le secret dans lequel devaient se dérouler ces négociations

Proposition de résolution européenne sur le règlement des différends entre investisseurs et États -

Par / 3 février 2015

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, permettez-moi de vous faire part de notre grande satisfaction de voir ce débat se dérouler au sein de notre hémicycle. En effet, il est parfois, pour ne pas dire souvent, trop souvent, reproché aux parlementaires nationaux de ne pas se saisir plus en amont des problématiques européennes.

Autre motif de satisfaction : la Haute Assemblée a su travailler de façon intelligente et constructive sur ce sujet. Mes collègues du groupe CRC, dont Michel Billout, et moi-même avons déposé une proposition de résolution sur le règlement des différends entre investisseurs et États dans les projets d’accords commerciaux entre l’Union européenne, le Canada et les États-Unis. La commission des affaires européennes a adopté, le 27 novembre dernier, la proposition de résolution, après quelques modifications, certes, mais à l’unanimité.

L’adoption, à l’unanimité également, de cette proposition de résolution par la commission des affaires économiques est encore un motif de satisfaction.

Cet aboutissement est très important, car quatorze chefs d’État et de gouvernement ont fait connaître leur ferme soutien au mécanisme d’arbitrage. Aujourd’hui, ce sont principalement la France et l’Allemagne qui s’opposent le plus fermement à cette disposition du traité.

La proposition de résolution que nous examinons aujourd’hui a un double objet. Tout d’abord, elle dénonce l’opacité dans laquelle se déroulent aussi bien les négociations menées par l’Union européenne avec le Canada pour un Accord économique et commercial global que celles qui se sont ouvertes en juin 2013 avec les États-Unis en vue de l’établissement d’un partenariat transatlantique de commerce et d’investissement. Ensuite, elle s’oppose à tout projet d’accord qui prévoirait un mécanisme de règlement des différends entre un investisseur et un État.

Certains pourraient nous reprocher de n’aborder cette question si complexe que sous le seul angle du règlement des différends entre investisseurs et États. Oui, les négociations transatlantiques sont abordées sous un angle évidemment partiel, mais le point qui est ainsi mis en lumière est emblématique de la menace fondamentale que ces négociations font peser sur nos choix de société et sur notre ordre institutionnel.

De plus, les résultats de la consultation publique lancée par la Commission européenne en mars dernier sur la clause relative aux différends entre investisseurs et États montrent que les citoyens y sont également opposés. Le résultat est sans appel : 88 % des personnes interrogées s’opposent à l’inclusion de la clause de règlement des différends dans l’accord de libre-échange. Rappelons que cette consultation a permis de recueillir pas moins de 150 000 avis.

Ce résultat n’est pas une surprise. Il est normal que les citoyens, tout comme nous, parlementaires, s’inquiètent de ces négociations transatlantiques, car elles sont susceptibles d’avoir de lourdes conséquences économiques, sociales et environnementales.

D’une part, il est nécessaire de disposer d’études approfondies sur les conséquences possibles de ces négociations. À cet égard, le Sénat, dans sa proposition de résolution européenne n° 164 du 9 juin 2013, avait demandé au Gouvernement une étude d’impact permettant d’apprécier pour la France les effets de ces négociations par secteur d’activité, Cette étude n’a, à ce jour, toujours pas été fournie, comme l’a rappelé notre collègue André Gattolin.

D’autre part, il faut permettre un contrôle parlementaire et citoyen lors des différentes étapes des négociations afin de s’assurer que les priorités et les « lignes rouges » fixées au sein du Conseil par les États membres sous le contrôle des parlements sont bien respectées par la Commission européenne, qui conduit les négociations pour l’Union.

Il est impensable de prendre un quelconque risque pour la démocratie. L’introduction du mécanisme de règlement des différends envisagé porterait atteinte à la capacité de l’Union européenne et des États membres à légiférer, particulièrement dans les domaines sociaux et environnementaux. Les États risqueraient de devoir verser des dédommagements substantiels aux investisseurs dans les cas où des décisions politiques, jugées par des tribunaux spéciaux, auraient pour effet de réduire les profits escomptés par les grands groupes économiques.

Je ne vous le cacherai pas, je n’aurais pas été mécontent que la proposition de résolution européenne fût plus radicale s’agissant du traitement des différends entre investisseurs et États. J’aurais ainsi préféré que nous demandions clairement que les mécanismes d’arbitrage entre investisseurs et États fussent retirés des projets d’accord avec le Canada et les États-Unis. Mais nous avons su trouver un compromis dans le débat.

Mme Nicole Bricq. C’est bien.

M. Éric Bocquet. L’examen de la présente proposition de résolution tombe au bon moment : cette semaine s’ouvre en effet le huitième cycle de négociations pour le partenariat transatlantique de commerce et d’investissement à Bruxelles. Espérons donc que nous pourrons constater un véritable changement de ligne. Je crains toutefois que cet espoir ne soit vain, car les promoteurs du TAFTA – Transatlantic Free Trade Area – mettront tout en œuvre pour le parer des atouts les plus séduisants !

Contrairement à ce que l’on essaie de nous faire croire, il n’y a pas plus de volonté de transparence dans ces négociations qu’auparavant. La semaine dernière, la Commission a même proposé au Conseil la signature de la Convention des Nations unies sur la transparence dans l’arbitrage entre investisseurs et États fondé sur des traités, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies en décembre dernier. Le principe proposé est séduisant, mais la convention sera inapplicable si les parties choisissent la confidentialité.

J’ajoute que le médiateur européen pourrait prochainement ouvrir une enquête contre la Commission, car elle a refusé à cinq ONG l’accès à certains documents du TTIP. Cela prouve, si tant est qu’une preuve supplémentaire était nécessaire, le manque de transparence des négociations.

De plus, l’invocation de la transparence administrative ne peut légitimer des décisions qui suscitent la défiance des citoyens. Elle n’augure en rien une plus grande justice. Seul un contrôle démocratique peut véritablement gêner ces « petits arrangements ».

J’en reviens au huitième cycle de négociations, dont le thème est la « coopération réglementaire ». Les normes étant vues par les promoteurs du traité comme des entraves au commerce, il est facile d’imaginer quelle tournure les négociations vont prendre.

Pourtant, l’élevage animal et l’agro-alimentaire, les produits cosmétiques, la sécurité automobile, les fibres vestimentaires, la sécurité bancaire ou encore l’usage des biotechnologies en général sont des sujets qui préoccupent nos concitoyens. Ils devraient donc faire l’objet de débats publics ouverts. Au lieu de cela, les négociateurs prévoient la création d’un « Conseil de coopération réglementaire », qui supervisera la mise en cohérence normative et ses modalités. La question étant envisagée de façon purement technique et experte, quel rôle sera dévolu au Parlement européen et aux parlements nationaux ? Et surtout, qu’adviendra-t-il de la démocratie ?

Nous verrons également quel sera le contenu de la résolution du Parlement européen sur le traité transatlantique qui devrait être votée en mai prochain, mais cette dernière n’a qu’une valeur symbolique.

Il nous semble que la proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui peut être la première d’une très longue liste. Les mobilisations citoyennes et le travail des organisations civiles ont fragilisé ces négociations, qui devaient se dérouler dans le plus grand secret. Nous devons donc continuer de travailler dans ce sens afin de protéger nos concitoyens contre les dérives que peuvent entraîner de tels accords et de leur offrir un horizon respectueux de la démocratie.

Le groupe communiste, républicain et citoyen encouragera ce pas en avant en votant cette proposition de résolution européenne.

L’invocation de la transparence administrative ne peut légitimer des décisions qui suscitent la défiance des citoyens. Seul un contrôle démocratique peut gêner les "petits arrangements".

Les normes réglementaires étant vues par les promoteurs du traité comme des entraves au commerce, nous pouvons assez facilement imaginer quelle tournure vont prendre les négociations. Pourtant l’élevage animal et l’agro-alimentaire, les produits cosmétiques, la sécurité automobile, les fibres vestimentaires, la sécurité bancaire ou encore l’usage des bio-technologies préoccupent les citoyens. Elles devraient donc faire l’objet de débats publics ouverts. Mais non, l’affaire est envisagée de façon purement technique. Quelle place alors pour le Parlement européen, les parlements nationaux et surtout pour la démocratie ?

Cette proposition de résolution peut être la première d’une longue liste. Les mobilisations citoyennes, le travail des organisations civiles ont ébranlé le secret dans lequel devaient se dérouler ces négociations. Nous devons donc continuer de travailler dans ce sens pour protéger nos citoyens des dérives que peuvent constituer de tels accords et offrir un autre horizon, respectueux de la démocratie.

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