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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Accueil et protection de l’enfance

Par / 16 octobre 2003

par Michelle Demessine

Monsieur le Président,
Monsieur la Ministre,
Mes chers Collègues,

L’examen ce matin par le Sénat du projet de loi relatif à l’accueil et à la protection de l’enfance peut, au premier abord, apparaître positif.
Qu’il s’agisse des violences à enfant comme le rappelle la récente actualité ou du non choix du mode de garde des petits enfants, ces problématiques qui interpellent la société dans son ensemble, appellent de la part des pouvoirs publics des réponses globales de qualité.
On ne saurait donc, a priori, reprocher au gouvernement de vouloir agir en ces domaines.
Il convient, toutefois, de dépasser cet habillage habile, l’affichage politique, en l’occurrence celui de la protection de l’enfance pour s’interroger non seulement sur la cohérence de la démarche du gouvernement qui, dans un même texte, mêle des questions distinctes, situation des majeurs protégés et protection de l’enfance notamment.

Mais également et surtout, il convient de s’interroger d’une part, sur l’opportunité et l’utilité des mesures envisagées, d’autant que pour deux des trois thèmes principaux abordés, à savoir, l’accueil des jeunes enfant par les assistantes maternelles ou, les services tutélaires, des réformes d’ampleur ont été annoncées. Et d’autre part, sur leur hauteur, l’efficacité de ces mesures qui trop partielles apparaissent déconnectées de la réflexion affinée nécessairement transversale, sur les moyens à mettre en œuvre, notamment pour que « l’intérêt supérieur de l’enfant » soit effectivement respecté ou pour remédier aux manquements à l’obligation scolaire…

Les longs échanges que nous avons pu avoir la semaine dernière à la Commission des affaire sociales, la tonalité générale du rapport de notre collègue Jean-Louis Lorrain, on ne peut plus nuancé, confirment à penser que le texte composite est à plus d’un titre déroutant, décevant même. Qu’il n’est en fait qu’un miroir aux alouettes.
D’ailleurs, l’idée de modifier l’intitulé du texte afin qu’il soit plus en phase avec sa réalité a été évoqué en commission.
L’important je pense, n’est pas tant de s’attacher à la forme mais plus de voir par delà ce texte, qui a tout d’un projet de loi « fourre tout » sauf le nom et, constater pour le déplorer, qu’une fois encore, ce gouvernement affiche des ambitions non traduites dans les faits.

Prenons l’exemple du volet protection de l’enfant.
En aucun cas, les propositions déclinées, la mesure phare portant création d’un observatoire national de l’enfance maltraitée notamment, ne saurait tenir lieu de véritable politique nationale de protection de l’enfance.
Beaucoup a été fait depuis un siècle pour changer le regard de la société, des pouvoir publics, sur les différentes formes de violences exercées contre les enfants.
Ainsi, la puissance paternelle n’est plus un pouvoir absolu. Au niveau international, européen tout le monde s’est accordé pour reconnaître les besoins de l’enfant à une protection spéciale.

La France a su construire autour de la loi du 10 juillet 1989, relative à la protection des mineurs et à la prévention des mauvais traitements, un dispositif de protection de l’enfance censé privilégier l’intervention administrative relevant de la compétence des conseils généraux sur le judiciaire, via le juge pour enfants.
Pourtant, trop d’enfants, d’adolescents continuent d’être victimes de maltraitance psychologique, de mauvais traitements physiques et abus sexuels. L’observatoire national de l’action sociale décentralisée vient de révéler une légère augmentation du nombre d’enfants maltraites -18500- sur un nombre total de 86 000 enfants en danger.

Et encore, ces constats sont malheureusement bien en deça des réalités. Nous connaissons tous les chiffres en question. Ils parlent d’eux-mêmes, sans pour autant permettre de rendre compte du quotidien, ni des enfants atteints dans leur chair, leur esprit, par des adultes le plus souvent les référents de la cellule familiale ; ni des souffrances que chacun portera tout au long de sa vie d’adulte, à condition toutefois qu’il ait survécu.
Par conséquent, personne ne contestera qu’il faille encore et toujours chercher à améliorer le dispositif de recueil des données relatives à la maltraitance ; qu’il faille pour prévenir et traiter ces phénomènes savoir mieux repérer, permettre la production et la diffusion de références professionnelles.
Le dernier rapport en date, celui de Monsieur Naves, préconise pour parfaire les pratiques de la protection de l’enfance de « se donner les moyens de bien évaluer », en créant d’ici 2005, un véritable observatoire de la protection de l’enfance. C’est une suggestion intéressante du rapport mais non la seule.
D’autres solutions sont avancées, visant à rendre plus efficace l’action des multiples intervenants en faveur des familles et des enfants ou, destinées à renforcer les pratiques existantes.
Parmi les « fiches-actions » présentées figurent notamment le développement des structures d’accueil d’urgence pour les femmes isolées et les parents accompagnés d’enfants, le développement des capacités d’intervention des services de psychiatrie.
Par ailleurs, et c’est selon moi un point essentiel, dans ces conclusions Monsieur Naves rappelle que, si « les maltraitances dont souffrent les enfants sont issues d’actes répréhensibles…….la survenue de ces maltraitances est en fait trop souvent, le résultat de la conjonction de ces actes individuels et des dysfonctionnements d’un système : un système qui néglige la bonne circulation de l’information, qui ne réagit pas face à l’urgence, un système où il est indispensable de ne pas oublier qu’une famille a besoins d’un logement, que l’activité professionnelle des parents est structurante de leurs comportements et enfin, que la santé psychique est sortie du domaine tabou.

Autant de dimensions que le gouvernement se garde bien de mettre en perspective. L’appréhension de la problématique de la protection de l’enfance dans son ensemble supposant l’allocation aux professionnels de moyens adéquats. Cela aurait également pour conséquence d’obliger le gouvernement à repenser ses politiques publiques, alors qu’aujourd’hui, les options choisies vont dans le sens d’un recul de législation sociale, dans les domaines de l’emploi, du logement ou de la santé…

L’ODAS qui travaille sur les facteurs de danger, a mis l’accent, dans sa lettre de novembre 2002, sur le rôle essentiel des carences éducatives parmi ces facteurs et, sur le développement de la précarité comme risque expliquant en partie la légère augmentation du nombre d’enfants en risque.
Il en conclu que c’est bien au-delà de l’action sociale que se trouve la réponse préventive, dans la mobilisation de l’ensemble des politiques publiques…, dans la nécessité de ne pas négliger le soutien matériel aux familles.
Autant de considérations qui à l’inverse accentue encore davantage l’insécurité sociale en économisant sur le dos des plus démunis.
L’exposé des motifs de ce projet de loi peut être plein de bonnes intentions. Mais pourtant, tout démontre dans les choix du gouvernement que la protection de l’enfance n’est pas une question prioritaire.
La baisse des crédits inscrits dans la loi de Finances pour 2004 en faveur de la famille pour accompagner les parents dans leur rôle et en faveur de l’enfance le confirme.

Autre dimension occultée par le texte. Vous n’êtes pas sans savoir , monsieur le ministre, que beaucoup attendent du dispositif d’aide sociale à l’enfance qu’il gagne en cohérence, qu’il soit effectivement piloté et coordonné.
Même si le champ de la protection de l’enfance est déjà quasiment de la pleine compétence des départements, ne pensez-vous pas, Monsieur le Ministre, que l’étape que le gouvernement nous invite à franchir avec la décentralisation ou, plus exactement, le désengagement de l’Etat, nécessitait justement que dans ce domaine particulier l’Etat rappelle qu’il reste un « incitateur et un garant » ? (rapport Naves). Et pourquoi pas une loi cadre sur la protection de l’enfance comme le réclame les associations ?
Vous l’aurez compris, Mes chers collègues, nous ne saurions nous satisfaire de la seule création de cet observatoire, dont le champ d’investigation et les missions ne semblent pas de surcroît suffisamment large.
En effet, je regrette que ce texte ne s’attache pas à aborder la maltraitance en terme qualitatif, que évaluation du dispositif de protection de l’enfance ne soit pas rendu possible, nous déposons donc des amendements allant en ce sens.
Nous craignions fortement qu’en mettant les services de l’Etat dans l’incapacité d’assumer leur rôle, faute de moyens suffisants- je pense en particulier aux juges des enfants, aux pédopsychiatres, à la médecine scolaire, à la PJJ-le gouvernement casse les dynamiques actuelles, certes perfectibles, et qu’il décourage les professionnels.

Pour lutter efficacement contre les violences à enfants il convient aussi que les personnes qui ont des responsabilités en ce domaine, les médecins, qui peuvent être à l’origine des signalements, en sont dissuadé par le manque de protection contre d’éventuelles sanctions disciplinaires.
Enfin, et c’est aussi un point important sur lequel je reviendrai au cours de la discussion sur article, dans la mesure où nous avons déposé un amendement, je doute fort qu’en l’état, la rédaction nouvelle de l’article 2-3 du code de procédure pénale aboutisse effectivement à élargir les possibilités de constitution de partie civile par les associations, lorsque la victime est mineure.

La réponse que ce texte ambitionne d’apporter au phénomène complexe de l’absentéisme scolaire n’est ni plus complète, ni plus satisfaisante.
Là encore, que le gouvernement semble avoir lu trop rapidement, au risque de sauter les passages les plus positifs des rapports qu’il commande, en l’espèce celui de Luc Machard, sur les manquements à l’obligation scolaire.
Si, comme la grande majorité du milieu associatif, nous saluons l’abrogation du support législatif permettant de priver la famille de ses allocations pour absentéisme de l’enfant, nous n’en restons pas moins vigilants. Le gouvernement et sa majorité ayant la fâcheuse tendance à aborder de manière récurrente l’absentéisme scolaire par le prisme de la délinquance des mineurs et, à proposer en conséquence une sanction pénale à un problème qui révèle surtout un profond malaise de l’adolescence.
A la lumière des auditions que nous avons menées pour préparer ce texte, j’ai aujourd’hui la conviction que ceux qui hier soutenaient les conclusions du groupe de travail, principalement parce qu’elles appelaient à clarifier les responsabilités de tous les acteurs : établissements scolaires, famille….et, à graduer et mieux articuler les réponses, se sentent floués.
Seul le volet sanction est traité.

Le devoir d’école « qui s’impose aussi au système éducatif, mérite pourtant que l’on réfléchisse pour savoir si dans les conditions actuelles l’école est en mesure de remplir ses missions.
C’est un autre débat me direz-vous. Je pense au contraire, que toutes ces questions sont interdépendantes et qu’il est vain de vouloir lutter contre l’absentéisme scolaire si l’on ne prend pas la mesure des carences du système éducatif, qui laisse sortir de nombreux jeunes sans diplôme et sans perspectives d’avenir. Si l’on refuse d’admettre que le taux d’encadrement est trop faible, que les personnels administratifs, les assistantes sociales, les infirmières, sont partie intégrante du projet éducatif.

Concernant les deux autres volets du projet de loi :l’assouplissement des conditions de l’agrément des assistantes maternelles et l’expérimentation d’un nouveau mode de financement des services tutélaires, « la modestie » du texte pour reprendre les termes employés par notre rapporteur nous interroge, nous inquiète.
Vous tentez, Messieurs, de vous rassurer en considérant qu’il s’agit « d’un texte d’appel » et en souhaitant que les mesurettes « ne soient que les prémices de réformes plus ambitieuses ».
Nous craignons, quant à nous, que ce projet de loi, sans épuiser le sujet des réformes annoncées , tant sur le statut des assistantes maternelles que sur le métier de tuteur, vienne en recul, et amputer en quelque sorte les futures réformes d’ensemble.

Aux attente exprimées par une profession en quête de reconnaissance ; aux besoins des parents qui, faute de pouvoir librement choisir le mode de garde de leur enfant, jonglent au quotidien pour articuler au mieux leur vie familiale et professionnelle ; vous répondez non pas revalorisation du métier ou diversification de l’offre de garde mais, dégradation des conditions d’accueil des enfants, en terme de qualité et de sécurité.
Je vis cet assouplissement des conditions d’agrément comme une fuite en avant, risquée pour les enfants et, à terme, contreproductive pour promouvoir la profession d’assistante maternelle.

Après lecture avisée de ce texte et du PLFSS pour 2004, un constat s’impose. Le gouvernement ne cherche pas réellement à améliorer la situation des familles.
Des mesures centrées sur la petite enfance sont prévues. Pour autant, la solvabilisation de parents restera très inégale selon le mode de garde utilisé et le niveau des revenus.
Le gouvernement ne s’emploie pas à diversifier l’offre de garde. Il privilégie seulement les réponses individuelles, les modes d’accueil les moins coûteux (assistante maternelles, employée de maison) au détriment du développement, faute de moyens, d’équipements, de structure et de services de qualité dans le cadre du service public.

S’agissant enfin de l’expérimentation d’un mode nouveau de financement voulu par les associations tutélaires, je ne comprends pas plus votre précipitation. D’autant que, là encore, une grande réforme du métier de tuteur est en attente comme l’adaptation des mesures pour les rendre plus souples, moins privatives de liberté pour les majeurs protégés.

Nous sommes très conscients des enjeux de cette réforme en raison notamment du vieillissement de la population.
C’est pourquoi, il me paraît plus que regrettable que la première réponse qui soit envisagée soit la couverture financière de la tutelle , via l’expérimentation envisagée.

Pour conclure, mes chers collègues, permettez-moi d’espérer de ce débat qu’il éclaire sur les intentions du gouvernement et qu’il soit l’occasion d’aborder, dans la globalité, les questions posées.

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