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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Autoriser l’usage contrôlé du cannabis : une fausse bonne idée.

Par / 11 février 2015

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,

Le débat, suscité par la proposition de loi du groupe EELV, est un débat de société dont les enjeux de santé publique sont majeurs.

Rapporteure pour avis, de 2011 à 2013, des crédits de la MILDT (Mission Interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie), aujourd’hui rebaptisée MILDECA j’ai pu constater l’inefficacité de la politique de guerre aux drogues.
Elue de terrain, j’ai été et suis témoin, comme beaucoup d’entre vous, des dégâts occasionnés par la drogue dans un certain nombre de quartiers : escalade de la violence, trafics, réseaux qui dictent leur loi…

Ces constatations ont abouti à l’élaboration, en juillet 2012, d’une Charte intitulée ‘’Pour une autre politique des addictions’’ reposant sur 4 piliers : prévention, réduction des risques, soin et réduction de l’offre de drogues. Signée par près de 2000 personnes, elle a permis de formaliser, entre les principales fédérations et associations d’addictologie, une base commune de diagnostic, d’état des lieux et de recommandations, aboutissant à un consensus sur la dépénalisation de l’usage des drogues.

Pour les signataires, il faut en finir avec les dérives sécuritaires, une prévention lacunaire donc inefficace.

Cette proposition de loi répond-elle à ces demandes ?

Est-il juste de se focaliser sur le cannabis quand nombre d’autres addictions à des substances légales ou illégales font tout autant, si ce n’est plus de ravages ? J’aurais préféré, pour ma part, qu’on aborde la question des addictions de manière globale.
Mais nous ne nions évidemment pas le problème du cannabis : je citerai pour cela les chiffres de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies : en 2010 entre 1 et 2 millions de français consommaient régulièrement du cannabis. La consommation de cannabis, notamment chez les adolescents et les jeunes adultes, est donc un véritable problème de santé publique.
Nous pouvons souligner un certain paradoxe dans le fait que la France a l’une des législations européennes les plus répressives en la matière, et pourtant c’est le pays où la consommation des 15-24 ans est l’une des plus élevée d’Europe.

Selon la MILDT, 41,5% des jeunes de 17 ans et 32,8% des adultes de 18 à 64 ans ont expérimenté le cannabis, situant la France derrière le Danemark et devant les Pays Bas. Les fumeurs réguliers de cannabis représentaient eux 6,5% chez les jeunes contre 2,1% chez les adultes. La consommation de substance par les jeunes s’inscrit dans une démarche d’expérimentation et de socialisation.
Cependant, cette situation expose la jeunesse à une consommation sauvage qui touche les écoles et les quartiers et met les adolescents en relation directe avec les réseaux criminels.

Depuis, plus de 40 ans et la loi du 31 décembre 1970, la seule politique publique a été celle d’une surenchère répressive, qui n’a contribué ni à la diminution du nombre de consommateurs ni à celle des trafics, tout en encombrant les tribunaux et les prisons.
Je rappelle que selon l’article L 3421 – 1 du Code de la santé publique « L’usage illicite de l’une des substances ou plantes classées comme stupéfiants est puni d’un an d’emprisonnement et de 3 750 euros d’amende ».
L’usage est donc considéré comme un délit, alors même que dans d’autres pays où le cannabis est autorisé, le nombre de consommateurs est moins important qu’en France.

La pénalisation de l’usage de stupéfiants est une politique répressive qui se veut rassurante mais qui, dans les faits, ne traite pas le problème et coûte cher, 1 milliard d’euros par an !
Pire, la criminalisation des usagers fait obstacle à la protection de la santé en rendant plus difficile l’accès aux services de prévention et de soins, accroissant les prises de risques par la clandestinité.

Il est temps de modifier cette loi qui ne correspond plus aux réalités du terrain ! Pour ma part, après le travail que j’ai pu mener auprès des professionnels, je suis convaincue de la nécessité d’une politique de réduction des risques.
Car on le voit, les gouvernements successifs n’ont pas réussi à faire diminuer la consommation, ni davantage à enrayer le développement de l’économie alternative mafieuse engendrée par la production et la vente illégales.
Les quartiers sont gangrénés par ce phénomène qui constitue, pour les organisateurs et les intermédiaires, une source de revenus extrêmement importante. Tout un réseau est en place qui met à mal le mieux vivre ensemble, la sécurité, la tranquillité…. Les maires sont particulièrement impuissants et laissés bien seuls ! Il faut donc agir au plus vite car on voit bien que bon nombre de règlements de compte qui défraient la chronique sont liés à ces trafics.

Les pays qui se sont livrés à une véritable guerre contre la drogue, comme les Etats Unis, en reviennent.
Quant à la France, les politiques de prévention fragmentées, sans continuité, focalisées sur l’information et sur les produits, n’ont pas réussi à modifier les comportements. Il faut donc s’attaquer prioritairement à la mise en œuvre d’un véritable programme national de prévention.

Nous partageons le constat du groupe écologiste concernant les enjeux de santé publique et l’inefficacité d’une législation répressive. Nous sommes favorables aux actions d’information et de prévention en direction du public et notamment dans les établissements scolaires. Encore faut-il s’en donner les moyens, et pour cela arrêter de réduire les crédits de prévention des ARS, financer les associations qui militent en faveur de la prévention à la hauteur des actions à mener et redonner des moyens humains et financiers à la MILDECA. Permettez-moi de dénoncer une nouvelle fois la réduction de son budget pour 2015 qui s’inscrit, hélas, dans une longue suite d’affaiblissement de ses crédits !

La proposition de loi du groupe EELV pose donc les termes du débat mais en apportant une réponse, la légalisation du cannabis, qui est loin de faire l’unanimité.
Il n’est pas inutile, dans ce débat sur les drogues, de revenir à la définition d’un certain nombre de concepts.
Légaliser veut dire donner un cadre légal à quelque chose ou à un acte qui n’en avait pas. Cela signifierait, ici, substituer à la prohibition (qui est un interdit de toutes les étapes et modalités d’offre de la substance en dehors de certains usages médicaux), un système de contrôle par l’État de la production jusqu’à la vente, autrement dit ouvrir un accès légal à la substance.
Alors que le débat en France est tronqué, que nous ne parvenons pas à en faire un débat de fond qui échappe au sensationnel nourri de faits divers, la légalisation est-elle vraiment la réponse ?

En accord avec les signataires de la Charte, je pense, avec mon groupe, qu’il faudrait plutôt dépénaliser l’usage du cannabis, ce qui revient à supprimer la sanction pénale attachée à un comportement individuel, l’usage, la possession ou la détention pour usage personnel
La dépénalisation, qui se distingue de la légalisation, permet de libérer police et justice pour se concentrer sur les trafiquants et faciliter la prévention ainsi qu’une prise en charge des toxicomanes. La dépénalisation, contrairement à la légalisation, maintient l’interdit.

En effet, dépénaliser signifie renoncer à punir pénalement l’acte de consommer des stupéfiants. Cette dépénalisation peut être de niveaux différents. Elle peut aller jusqu’à une déjudiciarisation : ce n’est alors plus une infraction. Mais elle peut aussi modifier le niveau de l’infraction du délit à la contravention qui est l’infraction pénale la moins grave.
Je me permettrai de citer l’exemple du Portugal qui, depuis près de 15 ans, mène une politique de dépénalisation : l’achat, la détention et l’usage de stupéfiants pour une consommation individuelle ont ainsi été décriminalisés. Les résultats sont très probants avec une réelle baisse des consommations !

En tout état de cause, je suis convaincue qu’il faut faire appel à l’intelligence
collective, partager information, bilan, risques et échecs des politiques répressives.
Il faut poursuivre le travail pluridisciplinaire et complémentaire entre professionnels de santé, sociologues, magistrats, policiers, élu-es, citoyen-nes, usagers de drogues, afin d’aboutir à un grand débat public renseigné.

Nous nous abstiendrons donc sur cette proposition de loi, qui si elle va dans le bon sens en cherchant à modifier la règlementation de l’usage du cannabis en France, ne se dote pas du bon outil qui pour nous demeure la dépénalisation et la réduction des risques.

Je vous remercie.

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