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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce qui est historique, c’est votre acceptation, monsieur le ministre, du dogme patronal selon lequel il faudrait assouplir le droit du travail

Sécurisation de l’emploi : exception d’irrecevabilité -

Par / 17 avril 2013

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission des affaires sociales, madame et messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la transcription de cet accord national interprofessionnel nous est présentée par le Gouvernement comme étant historique.

En un certain sens, elle l’est, puisque jamais un Gouvernement de gauche, porté aux responsabilités par le souffle d’un peuple qui espérait le changement, n’aura autant menacé – malheureusement ! – le code du travail.

La presse économique et libérale, y compris internationale, ne s’y est pas trompée, puisque le Wall Street Journal lui-même affirmait dans ses colonnes, le lendemain de la signature de l’accord, que « le patronat français avait remporté une victoire historique ».

Ce qui est historique, ce ne sont pas les miettes des droits que l’on consent à accorder aux salariés – sur lesquels nous aurons l’occasion de débattre – ce n’est pas l’opinion des organisations syndicales, c’est votre acceptation, monsieur le ministre, du dogme patronal selon lequel il faudrait assouplir le droit du travail, ce qui revient, dans les faits à aggraver la précarisation du travail, réduire les salaires, et affaiblir les règles sociales, pour défendre l’emploi. Cette politique a été menée depuis des années, sur un thème cher aux patrons : « la flexibilité et les licenciements d’aujourd’hui feront les emplois de demain ». On en connaît malheureusement le résultat !

Si le droit du travail était aussi rigide que le laissent accroire les propositions contenues dans votre projet de loi, notre pays ne connaîtrait certainement pas un taux de chômage aussi important.

Les centaines de salariés licenciés chaque jour sont la triste preuve que les employeurs peuvent agir facilement. Prenons l’exemple de Sanofi, un groupe dont le chiffre d’affaires s’élève à 35 milliards d’euros, et dont le versement des dividendes connaît une augmentation de 45 %. Pourtant, Sanofi tente de supprimer plus de 800 emplois en France, dont 170 pour le seul pôle recherche et développement. Ce groupe fait le choix délibéré de licencier celles et ceux qui participent à l’innovation et qui pourraient créer les médicaments de demain.

C’est le choix du court terme et de l’actionnariat contre la vraie compétitivité et le respect des salariés.

Pour défendre cet accord, vous n’hésitez pas à dire de ce projet de loi qu’il est équilibré. Et vous rappelez à l’envi que trois organisations syndicales ont signé l’accord sur lequel il s’appuie.

Pourtant, celui-ci est faiblement majoritaire et n’a reçu le soutien ni de la première, ni de la troisième organisation syndicale de notre pays. Ce n’est tout de même pas anodin et cela devrait donner matière à réfléchir !

Ce rappel systématique, cette invocation à la signature de certaines organisations syndicales constitue clairement une tentative d’évitement de vos responsabilités. Pour notre part, nous ne nous y trompons pas et considérons que ce projet de loi est votre œuvre. À ce titre, vous en êtes comptables devant la représentation nationale, devant nos concitoyens, mais aussi devant les instances constitutionnelles, internationales et européennes, qui ne manqueront pas, le premier conflit venu, de censurer certaines mesures ou de condamner la France !

Votre responsabilité, monsieur le ministre, est double : responsabilité politique, qui devrait vous conduire à défendre les mesures pour lesquelles vous avez été élu et non celles qui furent imaginées par le gouvernement précédent ; responsabilité aussi d’élaborer des lois conformes à notre Constitution et aux engagements internationaux de la France.

Au titre des manquements à la Constitution, notamment, comment ne pas mentionner, non pas une disposition particulière, mais le fil conducteur même de ce projet de loi, que l’on retrouve dans les articles 10, 12 et 13, à savoir la réduction à néant du contrat de travail, ultime protection des salariés ?

Hier, la loi les protégeait contre les abus ou les mauvais coups du patronat. En 2003, puis en 2008, comme cela a d’ailleurs été rappelé, la droite a procédé à l’inversion de la hiérarchie des normes en prévoyant, contrairement au « principe de faveur » qui prévalait jusqu’alors, qu’une convention collective pouvait déroger au droit. Je me souviens, d’ailleurs, que les députés socialistes avaient déposé un recours devant le Conseil constitutionnel, contre la loi dite « Fillon I », celle de 2003, qui prévoyait qu’une « convention puisse déroger à une règle de droit même si elle était moins protectrice que la loi ». Les députés socialistes à l’origine de cette saisine défendaient alors le principe d’inconstitutionnalité de la loi Fillon en affirmant que « le principe de faveur ainsi bafoué avait valeur constitutionnelle ».

Or avec ce projet de loi, vous allez encore plus loin dans le détricotage du droit du travail. En effet, non seulement des accords collectifs défavorables aux salariés pourront l’emporter sur la loi, mais ils pourront également s’imposer aux salariés, puisqu’ils auront pour effet de suspendre les clauses figurant dans le contrat de travail.

La dernière protection, la dernière digue vient ainsi de tomber. Un salarié pourra voir sa rémunération réduite dans des proportions considérables, et ce sans son autorisation. Celui qui voudra s’y opposer sera licencié individuellement pour motif économique, même si plus de dix salariés refusent cette dégradation de leurs conditions de vie.

Vous faites comme si la volonté contractuelle exprimée par le salarié dans son contrat de travail valait moins que celle de son employeur. Ce dernier pourra toujours imposer ses vues, réduire son salaire, augmenter ses horaires de travail en se prévalant d’un accord collectif.

Avouez qu’il est tout de même curieux de prétendre sécuriser les parcours professionnels en créant une insécurité permanente pour les salariés, qui ne pourront plus demain s’opposer à la volonté patronale !

Les seuls à bénéficier de cette sécurité permanente, il faudra les rechercher du côté des donneurs d’ordres, qui profiteront ainsi de l’extension de leurs prérogatives. J’y vois d’ailleurs ici un premier motif d’inconstitutionnalité. Le principe d’égalité suppose, en effet, que chacun des contractants soit traité à égalité. Afin de renforcer ce principe, les législateurs ont même pris soin d’adopter des lois protectrices pour les salariés en considérant le lien de subordination et de dépendance économique des salariés vis-à-vis de leurs employeurs. Or ce projet de loi réduit leurs droits et fait sauter ce que le MEDEF appelle « les derniers verrous ». On ne peut être plus clair !

Car, en droit, la conclusion d’un accord fait naître des engagements réciproques. Il ne peut pas y avoir, d’un côté, de partie pour qui les engagements sont obligatoires, à savoir le salarié, lequel met sa force de travail à la disposition de l’employeur, et, de l’autre côté, le patron, qui pourrait décider de ne plus mettre en œuvre certains de ses engagements.

Ce projet de loi, c’est la sacralisation dans notre droit positif de la phrase entendue un jour ou l’autre par des milliers de salariés dans la bouche de leur patron : « Si cela ne te plaît pas, va voir ailleurs ! ». Et quand, demain, dans vos permanences, vous recevrez les cohortes de salariés licenciés, de salariés à l’avenir ruiné, il faudra les regarder droit dans les yeux et avoir l’honnêteté de leur dire que c’est pour leur bien que vous avez accepté d’entériner une loi qui prévoit que leur signature en bas d’un contrat de travail vaut moins que celle de leur patron qui les a licenciés, souvent même pour accroître les dividendes versés aux actionnaires.

Qui plus est, mes chers collègues, je voudrais soulever ici un second motif d’inconstitutionnalité que vous ne pouvez ignorer et qui est étroitement lié au précédent, le droit de tout un chacun de pouvoir bénéficier d’un cadre juridique sécurisé.

Déjà en 2003, alors qu’il était saisi par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale – dont son président, Jean-Marc Ayrault – de la constitutionnalité de la loi « relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi », le Conseil constitutionnel avait très clairement rappelé « que la remise en cause injustifiée des contrats légalement conclus méconnaissait en effet les exigences découlant des articles IV et XVI de la Déclaration de 1789, ainsi que, dans le domaine particulier de la participation des travailleurs à la détermination collective de leurs conditions de travail, celles découlant du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ». Il s’agit, d’ailleurs, là d’une jurisprudence constante du Conseil constitutionnel.

Ces décisions, mes chers collègues, doivent s’imposer à nous. La relation contractuelle, sans doute plus encore quand il s’agit d’un contrat aussi déterminant pour la vie des salariés que le contrat de travail, doit pouvoir reposer sur un double fondement : le principe légitime de confiance qui, sans être reconnu dans notre Constitution, irrigue tout notre droit, ainsi que le principe de sécurité juridique posé en ces termes dans l’article XVI de la Déclaration des droits de l’homme de 1789.

Or, en permettant à un employeur de modifier des éléments essentiels d’un contrat de travail sans l’autorisation expresse du salarié, comme l’organisation du temps de travail, la durée hebdomadaire ou la rémunération garantie aux salariés, ce texte méconnaît ce droit légitime à la sécurité juridique. J’insiste tout particulièrement sur ce sujet puisque votre projet de loi prétend précisément sécuriser les parcours professionnels.

Je regrette d’ailleurs, monsieur le ministre, qu’après l’élection de François Hollande à la présidence de la République vous ayez si vite oublié ce que vous défendiez vous-même. Saisissant le Conseil constitutionnel à propos de la proposition de loi Warsmann, les députés Sapin et Vidalies affirmaient dans leur saisine du Conseil constitutionnel : « en prévoyant qu’un accord collectif d’entreprise peut moduler la répartition du temps de travail, et ce sans modification du contrat de travail, c’est-à-dire sans l’accord de la personne concernée, le législateur porte nécessairement et manifestement atteinte à la liberté contractuelle de ces dernières. »

Vous ajoutiez alors, je vous cite sans cruauté, mais pour que chacun se souvienne pourquoi nos concitoyens ont préféré élire M. Hollande : « Les requérants tiennent néanmoins à préciser qu’ils ne font aucunement de la liberté contractuelle l’alpha et l’oméga des relations de travail, mais que, à tout le moins, cette dernière devrait primer sur l’accord collectif lorsque celui-ci est moins favorable au salarié que le contrat de travail. Ils sont ainsi particulièrement attachés au principe dit de faveur qui, sans que vous le lui ayez conféré de valeur constitutionnelle, ne constitue pas moins, selon vos propres termes, « un principe fondamental du droit du travail. »

En constatant l’écart qui existe entre vos déclarations d’hier et les options que vous défendez aujourd’hui, je me dis que la perte de confiance des Françaises et des Français dans la politique vient aussi de là !

Cette question est d’autant plus importante que les accords de maintien dans l’emploi prévus à l’article 12 sont, en réalité, sous un autre nom, les accords de compétitivité imaginés par M. Sarkozy et Mme Parisot. Ils soulèvent, là encore, une question fondamentale qui ne manquera pas d’intéresser le Conseil constitutionnel à l’occasion de la première question prioritaire de constitutionnalité, celle de l’intelligibilité de la loi.

La sécurité juridique est, en effet, un élément de la sécurité. Elle a, à ce titre, son fondement dans l’article 2 de la Déclaration de 1789. Dès 1999, le Conseil constitutionnel a tenu à affirmer que « l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi sont des objectifs de valeur constitutionnelle ». L’article 12, en autorisant l’employeur à mettre en œuvre des accords de compétitivité en cas de difficultés conjoncturelles ne remplit pas cette condition, la notion de conjoncture étant particulièrement floue. Je vous renvoie à la définition du Petit Larousse : « situation qui résulte d’un concours de circonstances ».

Et voilà le fondement juridique sur lequel des employeurs pourraient imposer des reculs sociaux et licencier les salariés qui les refusent ? Tout cela manque de clarté, et ce d’autant plus que demeure, à côté de cette notion de difficulté conjoncturelle, l’actuelle définition du licenciement pour motif économique.

Enfin, monsieur le ministre, mais surtout mes chers collègues du groupe socialiste, je vous invite à examiner de près l’article 13 relatif aux licenciements économiques et, plus spécifiquement, la procédure de contestation.

Le basculement étonnant de la juridiction civile vers la juridiction administrative n’est pas contraire à la Constitution. Cependant, cette mesure n’a d’autre finalité que de contourner des tribunaux civils de plus en plus enclins, vous le savez, à se ranger du côté des salariés et à contrôler l’existence réelle d’un motif économique. Le transfert vers la juridiction administrative aura comme premier effet d’effacer les jurisprudences les plus protectrices, c’est-à-dire les plus contraignantes à l’égard des patrons.

La loi que vous portez, monsieur le ministre, est, en fait, une loi d’amnésie sociale. Car, ne nous y trompons pas, les tribunaux administratifs s’en tiendront à la loi elle-même, et non son esprit. En effet, ils ne vérifieront pas la réalité du motif économique, tout simplement dans la mesure où il ne leur est pas demandé de le faire, la procédure d’homologation ne leur confiant pas cette tâche.

Et puis, ce qui pose problème d’un point de vue constitutionnel, c’est que la loi renvoie au degré de juridiction supérieur la charge de statuer en cas de silence de la juridiction inférieure.

Dès 1996, dans sa décision 96-373 DC, le Conseil constitutionnel affirmait le principe selon lequel la sécurité juridique d’une norme ne permet pas de limiter celle des particuliers.

Vous le savez, le Conseil constitutionnel veille aussi à harmoniser ses propres décisions avec celles qui sont rendues par la Cour européenne des droits de l’homme, notamment au respect de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme qui prévoit : « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable ». Je crois que celui-ci serait donc fondé à confirmer l’absence de base constitutionnelle à la procédure nouvelle que vous proposez ici.

Pour conclure, mes chers collègues, je m’adresse plus particulièrement à celles et ceux qui siègent sur les travées de gauche, nous avons une responsabilité commune, celle d’être fidèles à nos engagements et de construire une vraie politique de gauche pour laquelle les Français ont voté majoritairement. Car nous savons aussi que toute nouvelle désillusion ouvre un boulevard à l’extrême droite.

Le rejet de ce projet de loi, c’est un impératif social pour protéger les salariés des mauvais coups que leur prépare le patronat. C’est un impératif économique pour éviter de plomber plus encore le pouvoir d’achat, déjà en chute. C’est, enfin, un impératif démocratique incontournable dans la situation politique que nous connaissons aujourd’hui. C’est pourquoi je vous demande de voter en faveur de cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

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