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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Cette proposition de loi a pour objectif de permettre à celles et ceux qui le souhaitent de partir dignenement

Assistance médicalisée pour mourir -

Par / 25 janvier 2011

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme d’autres viennent de l’exprimer, je fais le vœu que le débat qui nous réunit aujourd’hui soit le plus apaisé possible, que de part et d’autre on évite les anathèmes, les amalgames grossiers, les raccourcis dangereux, et que l’on considère tous les intervenants, dans la pluralité de leurs propos et de leurs convictions, pour ce qu’ils sont : des femmes et des hommes ayant des positions personnelles en la matière et souhaitant les défendre.

Je voudrais d’ailleurs, avant d’entrer dans le vif du sujet, remercier chacun des membres de mon groupe pour avoir, durant nos propres échanges, donner corps à ce principe. Je voudrais les en remercier et leur dire que, par respect pour celui qu’ils m’ont témoigné, je comprends leurs questionnements et leurs doutes.

À vous tous, mes chers collègues, ainsi qu’à celles et ceux qui suivent aujourd’hui nos débats – ils sont nombreux, j’en suis certain –, je voudrais dire qu’en intervenant devant vous, je me fais seulement le porte-parole d’hommes et de femmes partageant certaines convictions, et non celui d’un groupe ou d’un parti.

C’est la raison pour laquelle je me retrouve dans les interventions ou les prises de position de certains de mes collègues du groupe UMP ou de l’Union centriste, avec qui nous sommes très souvent en opposition dès lors qu’il s’agit d’économie, de fiscalité, de politique des territoires ou de droits sociaux.

Naturellement, je me réjouis que la commission des affaires sociales ait rendu possible, et ce par une majorité importante de ses membres, l’examen de cette proposition de loi. Il s’agit d’un texte de consensus issu des trois propositions de loi initialement déposées, celle de M. Jean-Pierre Godefroy et d’une partie des membres du groupe socialiste, celle de M. Alain Fouché et celle que j’ai moi-même déposée, avec mon ami François Autain et près de dix-huit autres membres du groupe CRC-SPG.

L’adoption par la commission des affaires sociales de la proposition de loi que nous sommes appelés à examiner ce soir ainsi que le débat qui va suivre ne marqueront pas la victoire d’un camp sur un autre. Si nous avons été nombreux à nous réjouir du sort que la commission a réservé aux textes que nous avions déposés, c’est parce que, d’une part, la commission n’a pas entravé par son vote le droit des parlementaires à légiférer et que, d’autre part, elle a permis que soit abordé en séance publique un sujet aussi important pour chacun d’entre nous, quelle que soit notre position.

Mes chers collègues, c’est en républicain, en laïc et en citoyen que je m’exprime devant vous pour défendre cette proposition visant à inscrire dans la loi la possibilité pour celles et ceux de nos concitoyens qui, « en phase avancée ou terminale d’une affection accidentelle ou pathologique grave et incurable, [leur] infligeant une souffrance physique ou psychique qui ne peut être apaisée ou [qu’ils jugeraient] insupportable » voudraient, en pleine connaissance de cause, bénéficier dans des conditions très particulières, précises et encadrées d’une assistance médicalisée permettant, par un acte délibéré, une mort plus rapide que celle pouvant survenir naturellement et sans douleur.

Je veux m’en expliquer, d’abord en républicain.

Comme beaucoup d’entre vous, mes chers collègues, je suis attaché à notre République. Cet attachement est fondé sur un double pilier : d’une part, l’état de droit et, d’autre part, les principes propres à notre République, qui sont inscrits aux frontons de nos écoles et de nos mairies : liberté, égalité, fraternité.

Mon engagement en tant que militant politique et qui se poursuit aujourd’hui au Sénat a toujours été, et demeure, celui d’une œuvre législative respectant nos concitoyens et, devrais-je même dire, les plaçant au cœur de notre politique, au-delà de tout autre intérêt, fût-il commercial, économique ou politique. L’État de droit n’a de sens pour moi que si les lois servent à l’émancipation des femmes et des hommes, une émancipation qui n’est naturellement pas étrangère à la notion d’égalité.

Or plus personne ne l’ignore aujourd’hui, malgré les volontés affichées ou les déclarations péremptoires de certains, nous ne sommes pas égaux devant la mort, que celle-ci survienne naturellement ou qu’elle soit choisie. Car celles et ceux qui font, en pleine connaissance de cause, le choix de mettre médicalement un terme à leur vie et qui disposent tout à la fois des informations et des moyens financiers nécessaires peuvent s’offrir une mort choisie dans l’un des pays voisins du nôtre l’autorisant. L’expression « pouvoir s’offrir une mort choisie », je le sais, vous interpelle. Mais les témoignages multiples, médiatisés ou plus confidentiels l’attestent : il y a aujourd’hui, d’un côté, ceux qui disposent des possibilités techniques et matérielles de choisir une mort digne et rapide et, de l’autre, ceux qui, plus démunis, ne disposent pas de cette possibilité.

Pour ceux-là, le droit à une mort choisie s’apparente plus à un bricolage, composé d’attentes, de renoncements, de craintes ou de solutions violentes.

Ce n’est pas sans nous rappeler la situation que supportaient les femmes avant l’adoption – et dans les conditions que l’on connaît – de la loi du 17 janvier 1975 légalisant l’avortement, dite loi Veil, du nom de la ministre qui la défendit courageusement. Souvenons-nous qu’avant cette date l’avortement clandestin n’était pas sans risque. Ceux qui les réalisaient encouraient la peine capitale, et tout le monde se souvient du sort terrible qui fut réservé à Marie-Louise Giraud, jugée coupable d’avoir réalisé plusieurs avortements et qui fut décapitée en 1943. Les femmes prenaient de leur côté d’importants risques sanitaires et les décès post-avortement étaient nombreux.

Soixante-huit ans plus tard, d’importantes similitudes subsistent entre les deux situations. Même s’il est rare que les personnes qui optent pour une mort volontaire n’y parviennent pas, à quel prix le font-elles ? Elles le payent parfois d’une souffrance physique importante et souvent d’une souffrance morale que l’on a du mal à mesurer. Cette souffrance repose beaucoup sur le sentiment des personnes voulant être accompagnées dans une mort qu’elles ont choisie de réaliser un acte mal perçu par notre société, un acte si abominable aux yeux des autres et de la loi qu’il est réalisé dans la clandestinité et le secret et demeure interdit au point que ceux qui assistent les personnes désirant mourir encourent une peine criminelle pour assassinat.

C’est en laïc ensuite que je défendrai cette proposition de loi.

Bien évidemment, tous ceux qui s’opposent aujourd’hui à ce que soit légalisée l’assistance médicalisée à mourir ne le font pas sur des fondements religieux. À l’inverse, je sais pertinemment qu’il existe des croyants parmi ceux qui plaident en faveur d’une telle évolution législative. Mais je reconnais aussi parmi les associations qui s’opposent vigoureusement au droit à mourir dans la dignité les mêmes associations « pro vie » – comme si nous étions, de notre côté, des défenseurs de la mort – qui s’opposent au droit à l’avortement.

Ce sont, pour l’aide active à mourir comme pour l’avortement, les mêmes discours, selon lesquels ce serait nuire à la dignité humaine que de décider du moment de sa mort, une mort qui par nature ne peut être naturelle et que les femmes et les hommes ne pourraient que subir. Pour les tenants de ces discours, les êtres humains sont en quelque sorte extérieurs à leur mort, qui ne peut être programmée que par celui qu’ils vénèrent.

Entendant ces discours, je ne peux que me dire que notre pays, paradoxalement Terre des lumières après avoir été fille aînée de l’Église, a tout à gagner à ce que notre débat soit assis sur un principe simple : le corps des hommes n’appartient à aucune autre entité que l’homme lui-même, dans le respect des règles propres à garantir des protections collectives. (Mme Odette Terrade applaudit.)

M. Roland Courteau. Très bien !

M. Guy Fischer. Une propriété associée au principe d’inaliénabilité du corps humain qui, à juste raison, prévoit que si l’on peut décider en droit du sort que l’on veut réserver à son propre corps on ne peut pour autant, au nom d’un principe légitime de protection des droits collectifs, décider d’en faire commerce. Le corps de chacun est ainsi exclusivement partagé entre la volonté individuelle et les droits collectifs.

Cette question de la propriété abordée ici n’a pas pour objet de souligner certaines divergences. Elle nous renvoie toutefois à une autre question selon moi incontournable : « la législation relative à la vie doit-elle imposer une règle générale qui est bonne par définition ou bien doit-elle intégrer l’idée d’exception ? ».

À cette question, c’est en citoyen ou plutôt, devrais-je dire, en homme libre que je veux répondre.

Cette proposition de loi ne tend pas à faire de l’assistance médicalisée à mourir la seule mort possible. Elle ne tend pas à la généraliser ou à l’imposer à toutes et à tous. Elle n’a pour objectif que de permettre à celles et ceux qui le souhaitent de partir dignement. C’est-à-dire de partir avant que la souffrance physique ou psychique ne soit trop forte, avant que la maladie et les dégradations qui l’accompagnent l’emportent sur l’humanité des gens.

Il s’agit, comme le précise le journaliste et écrivain François de Closets, « d’offrir et non pas d’imposer un recours contre cette mauvaise mort. Non pas en prenant en charge les destins individuels, mais en permettant aux volontés de chacun de s’exprimer et d’être respectées ».

Certains y verront une œuvre libérale, au sens philosophique du terme. J’y vois personnellement une réponse humaniste et solidaire face à une situation que l’écrivaine Viviane Forestier a parfaitement décrite en ces termes : « Être devenu un lieu terrible pour soi-même, un enfer, une prison. Y être maintenu de force, enfermé sans espoir, alors qu’il serait possible d’en soustraire ceux qui le demandent, ceux qui en font le choix, tel est le sort auquel sont condamnés beaucoup de vivants ».

Mes chers collègues, le XXe siècle a été, en termes de droit individuel, de conquête des droits de l’homme sur lui-même, marqué par la reconnaissance – ô combien légitime – du droit des femmes à s’approprier leur avenir en décidant, avec les méthodes modernes de contraception le moment qu’elles estiment opportun pour donner la vie. Le XXe siècle leur a également permis de refuser une maternité qu’elle ne voulait pas.

C’est dans cette continuité que s’inscrit cette proposition de loi, à l’instar de la loi légalisant l’avortement, qui ne contraint personne à avorter mais qui élargit simplement le champ des libertés individuelles. Aucun médecin ne sera contraint de pratiquer un tel acte, soit parce qu’il transmettra le dossier de son patient à un confrère, soit parce que le patient pourra accomplir le geste salvateur lui-même dans un acte de suicide assisté. Cette proposition de loi donne la possibilité à celles et ceux qui le souhaitent, par goût de la vie, de la quitter sereinement.

Véronique Neiertz, ancienne secrétaire d’État aux droits des femmes, le dit avec ces mots, sobres et généreux : « C’est le droit de disposer de son corps sans avoir de permission à demander à personne et sans que cela puisse entraîner de sanction pour quelque soignant que ce soit. »

Mes chers collègues, je sais que cette proposition de loi peut susciter en vous nombre d’interrogations voire d’inquiétudes, mais, je le crois, l’examen des articles qui la constituent sera de nature à lever vos craintes tant ils sont protecteurs.

Pour conclure, je voudrais vous dire qu’il ne faut pas chercher à opposer sur ce sujet nos concitoyens. En l’état actuel de sa rédaction, la proposition de loi permet, pour reprendre les mots de Louis Bériot, que soit respectée l’idée selon laquelle la conception de l’existence ne doit pas être exclusive et que celles et ceux qui veulent choisir librement le moment de leur mort ne soient pas excommuniés.

Je vous rappelle que dans notre législation l’assistance au suicide reste pénalisée, soit par le biais de la non-assistance à personne en danger, soit par le biais de la fourniture d’un produit vénéneux. Le corps de Chantal Sébire a dû subir une autopsie et une enquête a été diligentée pour savoir qui lui avait fourni le produit.

Cette proposition de loi ne repose pas sur un projet de société. C’est en revanche un important débat dans notre société, et la différence n’est pas mince. Il ne s’agit pas de dessiner un modèle unique reposant sur un refus des soins palliatifs. Ceux-ci sont naturellement incontournables et nous n’imaginons pas – cette proposition de loi le prévoit clairement – qu’il puisse être satisfait à la demande d’un patient de disposer d’une assistance médicalisée à mourir sans que lui soient auparavant proposées des thérapeutiques destinées à éviter les souffrances.

Mais s’agissant de celles et ceux pour qui les soins palliatifs ne sont pas suffisants ou sont sans effet sur des douleurs plus lourdes encore que celles qu’ils ressentent dans leur chair – je pense aux douleurs psychiques –, il faut avoir le courage de les laisser partir, comme ils le souhaitent, comme ils le demandent.

S’agissant de celles et ceux pour qui, actuellement, la fin de vie passe d’abord par un refus de soins, puis un refus d’alimentation et d’hydratation, ce que l’on appelle la sédation, et qui s’accompagne d’interminables souffrances, d’une lente agonie, de l’attente pesante d’une libération tant espérée, il est de notre responsabilité, parce que nous souffrons quand les autres souffrent, de les aider à partir. Nous devons faire preuve du même courage que celles et ceux qui demandent à quitter cette vie en reconnaissant avec eux que « le prolongement de cette vie n’est pas une fin en soi et qu’il est honorable de savoir y mettre un terme ».

Pour toutes ces raisons, je vous invite avec conviction, avec courage et avec émotion à voter en faveur de cette proposition de loi qui, venant s’inscrire dans la continuité des lois réaffirmant les droits des patients et plus légalement les droits individuels, constitue une réponse, parmi d’autres, à celles et ceux qui souffrent.

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