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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Conclusions de la mission d’information sur la canicule

Par / 10 février 2004

par Michelle Demessine

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes cher(e)s collègues,

Avant toute chose, je tiens à me féliciter des travaux, importants, de la mission d’information tout en regrettant que le Sénat n’ait pu apporter un meilleur délai des éléments de réponse à nos concitoyens plongés dans l’inquiétude durant ce terrible mois d’août 2003.
Je tiens à rappeler que dès le 28 août, mon groupe déposait une demande de commission d’enquête auprès des services de la présidence.

Comme l’indique le rapport de la mission, les chiffres définitifs des décès dus à la canicule seront connus en avril 2004. Les 14.082 morts annoncées jusqu’à présent ne constituent toujours qu’un bilan provisoire.
Je cite ce chiffre d’entrée, car c’est la véritable catastrophe sanitaire qui s’est déroulée durant ces quelques nuits qui a fait prendre conscience aux autorités et à l’ensemble de la population de l’ampleur du phénomène climatique, mais aussi, de l’inadaptation de notre société à un tel événement.
Le 20 août, la France était sous le choc. Derrière ces sombres statistiques que j’évoquais, combien de drames, combien de souffrances se sont déroulés dans l’indifférence de zones urbaines ..

L’idée de carences de la société a fait son chemin et le consensus confirmé par le présent rapport s’est affirmé.
Mais cette vision du débat serait à mon sens bien superficielle et nécessite une réelle confrontation des idées.
Selon nous, la canicule de cet été 2003 a mis en évidence des choix politiques, des choix d’austérité qui ont eu pour la première fois et de manière aussi massive, des conséquences si dramatiques.
Le système de santé de notre pays va mal. Il est en crise et son fondement solidaire est en passe de voler en éclat.

La crise, sans commune mesure avec le drame du mois d’août relative aux urgences pédiatriques en novembre dernier et l’épidémie de légionellose qui seront actuellement dans le Nord-Pas de Calais, démontrent, de manière diverse, l’inadaptation de notre système de soins aux crises sanitaires.
Pour en revenir aux conséquences de la canicule, nul ne contestera la violence des circonstances climatiques exceptionnelles. Je noterai simplement que des spécialistes soulignaient depuis plusieurs semaines les risques de très forte chaleur durant la période estivale et que la presse quotidienne évoquait à force de dossiers et d’enquêtes, l’ampleur des chaleurs dès le mois de juillet.

M. Hubert FALCO lui-même rappelait dans un quotidien du 22 août, la publication d’une circulaire par ses services le 12 juillet pour prendre des mesures de prévention face au risque de canicule. Il évoquait même dans ce même article, un premier texte publié le 27 mai. M. FALCO, à trop vouloir prévenir toute critique sur l’absence remarquée pourtant par tous de réactivité gouvernementale durant les premiers jours d’août, démontre qu’au-delà du phénomène climatique, c’est bien notre système de prise en charge du vieillissement qui a été pris à défaut.
Les élans de M. FALCO qui pourtant évoquera la nécessité d’un plan MARSHALL pour les personnes âgées furent rapidement bridés par les autres membres du gouvernement et notamment par M. Jean-François MATTEI.
La gestion des moyens, centrale, fut éludée. Les effets du dogme de la réduction des dépenses publiques, la trop fameuse idée de la maîtrise des dépenses de santé, furent occultés.
M. le Ministre de la Santé l’a affirmé, il s’agit d’une catastrophe naturelle doublée d’une crise structurelle.

C’est cette thèse qui triomphera malgré le mot lâché par le Premier Ministre lui-même, le 23 août, évoquant « l’infarctus sanitaire » de la France.
Le temps ne doit pas effacer ce drame. Le 12 août, 2197 personnes sont mortes du fait de la canicule. Sur les 14.. recensées, 1293 avaient moins de 64 ans.
Il faut avoir discuté avec des personnels présents durant ces jours terribles pour comprendre en quoi l’absence de moyens, le manque de lits, le manque de personnels, de matériel ont pesé lourd dans un système où la gestion se fait de plus en plus à flux tendu, dans un système soumis de plus en plus à la loi du marché.

J’ai évoqué le personnel. Je tiens à saluer avec force le dévouement de ces médecins, infirmières, aides-soignants, qui, dans des conditions épouvantables, ont permis de sauver de nombreuses vies, ont pu aider des hommes et des femmes à finir leur vie dans un minimum de dignité.
Comment ne pas évoquer les conditions de travail extrêmement difficiles des personnels des maisons de retraite, qui eux aussi, ont dû faire face, avec des moyens souvent dérisoires.
J’insiste d’autant plus sur cet hommage, que je conteste les raisons invoquées par le gouvernement pour justifier l’injustifiable.
Mettre en cause les 35 heures -et le rapport malheureusement y contribue - relève de l’injure aux personnels.

Le fait d’avoir obtenu l’application de cette avancée sociale à l’hôpital est une justice pour des salariés qui figurent parmi les plus exposés et les moins bien payés au regard de la difficulté de la tâche. Insinuer que c’est la réduction du temps de travail qui serait à la source de la crise est inexact. C’est l’absence de politique de formation et d’embauche qui est à la source du manque de personnel. Les acteurs sociaux estiment à 50.000 le manque de personnel à l’hôpital.
Nous ne pouvons souscrire à la proposition du rapport qui propose d’introduire une sorte d’annualisation du temps de travail appliquée à l’hôpital en fonction des périodes de crise (pédiatrique l’hiver, gériatrique l’été).
Par ailleurs, comment ne pas souscrire à nombre d’analyse et de proposition de bon sens élaborées par la commission ?
Prenons la situation des personnes âgées dans notre pays. Chacun s’accordera qu’il n’est pas possible de rester les deux pieds dans le même sabot alors que de 900.000 personnes âgées aujourd’hui, cette population sera de 2 millions de personnes en 2020.

Le développement considérable du maintien à domicile constituera, pour les années à venir, un défi, pour éviter l’engorgement des institutions de retraite et des hôpitaux. Le rapport de mission propose en ce sens de développer le service des infirmières.
Avec quels moyens ? Et que proposez-vous pour démocratiser réellement le système de l’assistance à domicile ?
L’exemple de la maladie d’Alzheimer met en exergue les lacunes des propositions dont nous débattons aujourd’hui.

Chacun sait que cette maladie nécessite dans un premier temps un effort de surveillance et de stimulation intellectuelle que ne peut remplir une infirmière, ni même une aide ménagère. C’est un métier qui nécessite une formation adéquate et une rémunération à hauteur de la difficulté de la tâche.
Dans un second temps, le maintien à domicile des personnes sujettes à cette maladie exige la présence, de plus en plus longue, d’une auxiliaire de vie à domicile.
Si la personne concernée est seule, c’est l’évidence. Dans la réalité, le système est très coûteux et c’est le placement. Placement difficile car peu d’instituts sont adaptés encore aujourd’hui aux particularités de la maladie d’Alzheimer.
Rappelons que déjà aujourd’hui, 500.000 personnes en sont victimes. Il s’agit d’un problème majeur posé à notre société.

Si la personne a une famille, il est impossible de laisser à cette dernière l’énorme poids psychologique de la prise en charge d’une personne qui ne vous reconnaît pas, qui ne vous reconnaît plus. Cette prise en charge est également physique, car les malades deviennent totalement dépendants sur ce plan.
Je me suis permise de développer quelque peu cette question précise de la prise en charge de la maladie d’Alzheimer par notre société, car elle démontre le fossé entre la réalité d’une situation et les moyens propres.
Suite à la canicule, les professionnels de la prise en charge des retraités avaient demandé une aide urgente de 300 millions d’euros et à plus long terme, de 7 milliards d’euros.

Le gouvernement a accordé 40 millions d’euros.
Le gouvernement, ensuite, a proposé un plan « vieillissement et solidarité » prévoyant le déblocage de 9 milliards d’euros sur quatre ans. Mais cette somme sera consacrée à l’ensemble des personnes dépendantes, qu’elles soient âgées ou handicapées.
Nous sommes loin des 7 milliards demandés par l’amélioration de la prise en charge du vieillissement demandé par les professionnels.
Sur le rapport page 241 « Le plan vieillissement et solidarité devrait ainsi permettre de combler une partie des insuffisances de notre système ».
Nous ne sommes pas de cet avis. Nous sommes loin du compte.
Nous refusons d’autant plus ce plan gouvernemental qu’il s’appuie essentiellement sur la suppression d’un jour férié.

Ce sont encore une fois les salariés qui feront les frais d’une nécessaire solidarité.
Comment ne pas se souvenir que c’est Ernest-Antoine SEILLIERE qui, dès le 27 août, fut le premier à réagir à la proposition gouvernementale. Il s’écriait, en effet, je le cite, « formidable » avant de poursuivre « l’idée qu’on puisse se dire qu’on va régler des problèmes en travaillant plus est une grande première en France ».
La droite approuve toujours cette idée, faire travailler plus les salariés et éviter à tout prix que l’on s’attaque sérieusement au profit, même si M. FILLON, habilement, évoque une taxation du capital, limitée à hauteur de 1,2 milliard d’euros.
Déjà, en 1974, alors que M. RAFFARIN, présidait les Jeunes giscardiens, le Président de la République d’alors supprimait le 8 mai.

Tout au long de la lecture de ce rapport, j’ai été frappée par la justesse des observations et le décalage des mesures proposées avec les réalités.
Lorsque par exemple, la mission propose de confier aux CCAS un certain nombre de missions en cas de crise, les auteurs ont-ils en mémoire que lors du débat sur la décentralisation, un amendement déposé par le Rapporteur de la Commission des Lois, M. SCHOSTECK, et voté par la droite sénatoriale, remet en cause l’existence même des CCAS, soulevant un émoi chez nombre d’élus et d’usagers soucieux de l’action sociale des collectivités territoriales.
Plus généralement, la politique de décentralisation libérale qui retire à l’Etat la compétence première en politique de gérontologie, ne contredit-elle pas une volonté affichée de faire de la solidarité à l’égard des personnes âgées une cause nationale.
A ce sujet, comment ne pas noter que les effets les plus dévastateurs sur le plan humain ont eu lieu en zones urbaines, là où le mal-vivre domine, là où l’isolement est le plus grand.

Cette allusion aux zones urbaines me fait ouvrir une parenthèse qui aurait mérité un plus long développement, celui de l’environnement.
Contre la catastrophe écologique qui ont constitué les graves incendies de forêts, là encore, les propositions ne sont pas à la hauteur de l’enjeu, je pense notamment à l’absence de mesures beaucoup plus sévères à l’égard de la spéculation immobilière, au-delà de l’alerte écologique avec la surchauffe des eaux rejetées par les centrales nucléaires et au-delà, des grandes difficultés, ponctuelles, sur le plan climatique de notre agriculture, c’est le développement de la pollution en zone urbaine qui, à mon avis, n’a pas été assez approfondi comme cause en accompagnement de la chaleur et de l’utilisation de certains médicaments, de surmortalité.

Il faudra un jour engager un grand débat national sur ce point qui débouchera sur d’autres mesures sur la nécessité d’un grand plan pluriannuel de développement des transports urbains et sur une remise en cause réelle des pollutions industrielles.
Je m’étonne du silence sur l’existence d’un article intitulé « L’observatoire des changements climatiques » dont mon ami, Paul VERGES, est le président. Il est temps de donner à cette institution les moyens de fonctionnement pour anticiper au mieux les évolutions climatiques de notre planète.
Comment ne pas souligner l’opposition entre protection de l’environnement et loi de la concurrence, loi du marché.

La résistance farouche des Etats-Unis à l’application du protocole de Kyoto est à ce titre éloquente.
Les mesures locales de lutte contre la pollution et les effets du réchauffement seront utiles, mais elles seront forcément variées, si un grand combat à l’échelle de la planète ne se développe pas.
La canicule a tué cet été, entraînant un nombre de décès sans équivalent depuis la libération. Cette tragédie fit l’effet d’un électrochoc. La précarisation rapide de notre système de santé pourtant reconnu encore en 2000 comme le meilleur du monde, est apparue.
Je ne peux terminer cette intervention sans souligner le grand décalage entre ce rapport et les projets gouvernementaux en matière d’assurance maladie, en matière de protection sociale en général.

Quelle réponse apporte le gouvernement à cette dégradation de l’accès aux soins que l’ont soit jeune ou vieux ? (14% de nos concitoyens renoncent à se faire soigner pour des raisons financières et 30% de chômeurs) : déremboursement des médicaments, augmentation du forfait hospitalier et surtout, vaste projet de privatisation programmé de la sécurité sociale.
La proposition de loi que vient de déposer un nombre important de sénateurs de la majorité, relative à la création d’une assurance dépendance, apporte un éclaircissement éloquent au travail de la mission. C’est en préparant par le recours à des assurances privées à ces dépendances que l’on pourra éviter l’indignité lors de sa vieillesse.

Je trouve cette proposition particulièrement cynique. Ceux qui n’auront pas les moyens finiront dans des mouroirs, seuls les plus riches pourront jouir d’un certain confort jusqu’à leurs derniers instants.
Je refuse, avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, une telle démarche.
Une autre politique de protection sociale doit tourner le dos à celle qui, ces derniers mois, a entraîné la fermeture de lits, d’hôpitaux de proximité, a entraîné la diminution de l’APA et la suppression de crédits pour l’amélioration des maisons de soins et d’accueil à hauteur de 100 millions d’euros.

Nous proposons, je l’ai déjà dit, un effort de recrutement et de formation du personnel sans précédent, tant pour l’hôpital que pour les institutions.
M. FALCO avait raison avant de se déjuger : il faut un plan MARSCHALL.
Je propose la création d’un grand service public de maintien à domicile et de faire de l’APA une prestation sécurité sociale. Il faut rétablir les soins pour des malades atteints de maladies longues et coûteuses. Il faut aligner les remboursements des hospitalisations de longs séjours sur ceux des courts séjours.
Vous me direz, Mme DEMESSINE, vous êtes irréaliste. Comment financer ces projets généreux mais utopiques.

Deux chiffres mes chers collègues : taxer les revenus financiers des entreprises au même taux que les salaires dégagerait déjà 15 milliards d’euros. La suppression de la taxe sur les salaires acquittée pour les hôpitaux permettrait de créer 56.000 emplois.

Ce débat fondamental sur l’avenir de notre protection sociale est, en terme de fond, de celui relatif aux conséquences de la canicule.
La mission d’information n’a pas su, n’a pas voulu poser le problème en termes de choix de société. Nous le regrettons et c’est pourquoi, avec mon amie Evelyne DIDIER, nous nous sommes abstenues.

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