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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Décentralisation du RMI et création du RMA : motion

Par / 26 mai 2003

par Guy Fischer

Monsieur le Président,
Monsieur la Ministre,
Mes chers Collègues,

Promise par le Président candidat, annoncée par le Premier Ministre, dans sa déclaration de politique générale, la réforme du RMI est désormais lancée. L’objectif affiché est de dynamiser l’insertion professionnelle des allocataires du RMI, soit !

Nous pensons quant à nous, que vos intentions sont tout autres et que les risques sont forts pour que concrètement, ce texte conduise à fragiliser encore davantage les RMIstes, leurs familles.

Les deux mesures autour desquelles se structure votre projet de loi, Monsieur le Ministre, ne sont pas nouvelles. La droite a déjà lancé des « ballons d’essai », en 1988 tout d’abord lors de l’instauration du RMI, en proposant une gestion intégrale du dispositif par les départements.
En 2001 ensuite, lorsque la majorité sénatoriale a voté, à l’initiative de Messieurs Lambert et Marini, une proposition de loi visant à créer un revenu minimum d’activité, liant le versement de l’aide à une participation de la personne à une activité.

Il était question « d’inventer des mécanismes nouveaux pour mettre en relation le besoin de main d’œuvre exprimé par les entreprises et la ressource considérable en valeur et en compétence que représentent les personnes bénéficiant de minima sociaux ».
Bref, il s’agissait de faire payer par la collectivité publique une partie du salaire, comme le souhaitait depuis longtemps le Medef et, de demander une activité en contrepartie de l’aide reçue de la société.

En aucun cas il n’était question de permettre à tous ces allocataires, RMIstes notamment, de s’autonomiser, de sortir de toute forme d’exclusion en se réintégrant dans différents processus économiques et sociaux.
Aujourd’hui, le dispositif envisagé est certes différent dans ses modalités pratiques mais, Monsieur le Ministre, la philosophie est la même. Le parti pris pour aborder la question du RMI demeure flagrant : si non emploi il y a, il est volontaire ! La stigmatisation des RMIstes se trouve renforcée !

L’analyse de votre démarche faite par un journaliste du Monde (8 mai 2003) me paraît à ce titre très juste - « les deux textes s’inscrivent, peu ou prou, dans une même filiation idéologique et renvoient à la thèse - controversée - de la trappe à inactivité.
Mes chers collègues, nous ne sommes pas les seuls à penser que l’ombre du workfare à l’anglo-saxonne, qui peut être résumé en « travaillez en contrepartie de l’allocation que vous recevez », plane effectivement sur le présent texte.
Je vous invite tous à prendre connaissance des développements faits, sur ce point, par le rapporteur général du CERC.

Si, faute de temps, la Commission des Affaires sociales a procédé à très peu d’audition, il n’en demeure pas moins que les personnes entendues, ont apporté un éclairage de qualité et pertinent sur l’ambiguïté de certaines dispositions et sur les risques qui en découlent.
En l’occurrence, M. Michel Dollé, considère que « si le workfare n’a pas été, heureusement, retenu, il peut se réintroduire dans le concret et, notamment dans la formulation des « contrats d’insertion » et dans les modalités du revenu minimum d’activité ».
Le danger, c’est évidemment, que l’on s’écarte de l’esprit de la loi de 1988, de l’équilibre alors trouvé entre droit à revenu et implication effective dans une démarche d’insertion.
L’article chapeau de la loi relative au RMI , inspiré des principes constitutionnels tirés du préambule de la Constitution de 1946, pose que c’est l’incapacité de travailler qui fonde le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence.
Permettre qu’une personne puisse travailler sans acquérir des droits différés sur l’ensemble de la rémunération perçue n’est ce pas, de fait, lui faire rembourser par son travail l’allocation perçue ?

Or, cette restitution, cette contrepartie en temps de travail, non explicitement imposée mais bien présente, conduit à « inverser la relation entre activité ou travail et perception de l’aide »… ce qu’interdit justement « le principe constitutionnel figurant en amont du RMI », toujours selon Michel Dollé.

Monsieur le Ministre, mon collègue Roland Muzeau a eu l’occasion de le dire, bien au-delà de son contenu, votre projet de loi nous interroge sur sa philosophie, j’y reviendrai.

Il ne nous surprend pas dans la mesure où il est conforme à votre vision libérale et où il s’inscrit pleinement dans votre démarche continue de baisse du coût du travail, de réduction des dépenses de solidarité nationale.
Votre projet vient pourtant heurter, contredire les ambitions de Monsieur Raffarin, « d’une France porteuse d’un nouvel humanisme… », « d’une République en partage. »
S’agissant du nouvel humanisme, on ne peut pas dire que vous ayez fait, Monsieur le Ministre, de la lutte contre la précarité sociale votre priorité ! Au contraire.
Tous les choix que vous avez portés - assouplissement des 35 heures, de la loi de modernisation sociale ; fin des emplois jeunes ; décrochage du SMIC ; mise en place du contrat jeune en entreprise - ; l’orientation nouvelle que vous avez donné aux politiques publiques de l’emploi (temps partiel ; bas salaires) contribuent à abaisser encore davantage les normes d’emplois et à produire de nouveaux travailleurs pauvres. L’explosion de la précarité et des bas salaires, l’explosion des emplois atypiques fait l’actualité.

Que dire par ailleurs, de la volonté de notre gouvernement d’agir contre l’exclusion ?
Toujours pour aller dans le sens de l’opinion publique, les plus faibles d’entre nous, les mendiants, les prostituées, les gens du voyage ont été attaqués, stigmatisés.
Quant au programme national de renforcement de lutte contre l’exclusion présenté par Madame Dominique Versini, comparé aux plans précédents, le milliard d’Euros mobilisé par l’Etat, les collectivités et autres partenaires représente peu. D’autant que, la priorité donnée au logement, qui est le point noir majeur restera de l’ordre des bonnes intentions puisque les crédits de la politique de la ville, les aides de l’Etat au logement ne permettront pas d’améliorer substantiellement l’offre de logement.

S’agissant maintenant de « la République en partage, du renouveau de la démocratie sociale ».
Permettez-moi, mes chers collègues, de remarquer, qu’une fois de plus, sur ce texte, la méthode suivie par le gouvernement est bien différente.

Alors qu’il est quand même question de réformer en profondeur le RMI, ultime filet de protection sociale pour deux millions de personnes, en catimini, ou plus exactement, entre amis, Assemblée des Départements de France (ADF), un texte a été élaboré.
Il est tout à fait dommageable qu’aucune évaluation préalable, aucun bilan avantages/inconvénients du RMI 15 ans après n’ait été produit.
Dans ces conditions, il est abusif, Monsieur le Ministre, de justifier votre réforme par l’échec relatif du RMI et d’entretenir le mythe d’allocataires qui se complairaient dans l’assistance !
Il est simpliste de se contenter d’avancer la forte augmentation du nombre de bénéficiaires, le faible taux (50%) de contractualisation.
Je comprends toutefois que vous vous en satisfaisiez car à trop regarder, une autre lecture de la situation pourrait être faite impliquant la responsabilité de l’Etat notamment dans les réformes passées du système de protection du risque chômage, qui ne couvre plus aujourd’hui les risques nouveaux du marché du travail en pleine mutation (jeunes ; chômeur de longue durée ; activité réduite…).
Responsabilité des départements aussi qui, se sont impliqués différemment dans l’action d’insertion par choix politique mais aussi, en raison du contexte socio-économique, plus ou moins favorable.

L’objectivité plus grande du rapporteur quant à l’analyse des raisons expliquant que, malgré l’obligation légale, tous les bénéficiaires du RMI ne se soient pas engagés dans une démarche d’insertion sociale ou professionnelle, mérite d’être notée.
Vous imputez, Monsieur le Ministre, le faible retour à l’emploi avant tout à la faiblesse de la demande, montrant ainsi du doigt les « allocataires coupables » ; Monsieur Seillier considère lui, que « les carences du dispositif d’insertion expliquent pour partie les difficultés d’accès ou de retour à l’emploi des bénéficiaires du RMI ». Conviction que je partage.

Il n’en demeure pas moins que toutes les conséquences ne sont pas tirées. Les propositions d’amendements faites par la Commission des Affaires sociales ne viennent pas bouleverser l’économie générale du texte, dont les dispositions ne permettent absolument pas d’améliorer le contenu des contrats d’insertion et risquent même, à l’inverse de l’objectif recherché, d’exclure les publics les plus fragilisés, de les sanctionner.

Pressé d’agir, non pas pour améliorer le sort du million d’allocataires du RMI qui vivent ou, plutôt survivent pour plus d’un tiers de cette seule ressource, notamment en envisageant pour ces demandeurs d’emplois d’augmenter le niveau du RMI, mais pour répondre aux « Français d’en bas », ceux qui vivent mal de leur travail, vous avez non seulement négligé cette étape d’évaluation, anticipé une réforme, alors qu’un rapport sur les minima sociaux est attendu mais également, complètement évincé de la réflexion, du travail préparatoire, l’ensemble des partenaires concernés - associations bien sûr mais aussi, les bénéficiaires eux-mêmes. Seule l’ADF et encore pas tous les membres susceptibles d’être intéressés, a été associée à l’élaboration du dispositif !

Permettez-moi, Monsieur le Ministre, de déplorer cette procédure.
Les associations regroupées dans le réseau Alerte, qui ont découvert votre texte la veille de son adoption en Conseil des Ministres, vous ont publiquement demandé un délai supplémentaire afin de permettre une réelle discussion sur ses dispositifs.
Je regrette profondément que vous n’ayez pas accepté de reporter l’examen du projet de loi d’autant, qu’a priori, l’inscription à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale serait repoussée à la rentrée.

Comme sur le dossier des retraites, nous pensons qu’il convient d’aborder l’ensemble des questions posées, de porter au débat public tous les éléments. Mais surtout, qu’il convient de ne pas faire de la « division » de nos concitoyens un principe.
Or, en l’espèce, vous tentez d’opposer les Français qui ne tirent pas de revenus suffisants de leur temps partiel, de leur mission d’intérim, tous les précaires du marché de l’emploi aux RMIstes, exclus eux pour diverses raisons, aux Français d’en dessous du seuil de pauvreté.
Dans un contexte économique déjà très dégradé, alors que les chiffres du chômage sont à la hausse, que les licenciements économiques et fermetures d’entreprises foisonnent, vous ambitionnez de conditionner plus strictement le versement du RMI à un résultat en terme d’insertion. Le piège va vite se refermer sur les allocataires du RMI les plus fragiles.

C’est en tenant compte de votre état d’esprit, des choix faits par ailleurs par le gouvernement, en matière de politique économique et sociale, fiscale aussi, je pense en particulier à l’allègement de l’ISF, que nous avons apprécié le contenu de ce projet de loi.
Résultat de tant de précipitation, le dispositif proposé apparaît inabouti, inadapté, dangereux et témoigne de votre méconnaissance des publics auxquels pourtant il est destiné.

Concernant tout d’abord le RMA, le moins que l’on puisse dire c’est que ce nouveau contrat, qui vient s’ajouter au panel déjà très large de contrats aidés, est très loin de satisfaire. Sauf peut être du côté des employeurs qui bénéficieront, indiscutablement « d’une aide substantielle, permettant de réduire significativement les coûts salariaux ». Je me contente là de citer Monsieur le rapporteur.
Quant à elles, les associations sont unanimes à considérer que ce projet est « trop rigide et trop précaire » (Martin Hirsch-Emmaüs), que c’est « un mauvais CES ».

Quelle que soit la « bonne volonté de la Commission des Affaires sociales » qui tente d’assouplir autant que faire se peut le dispositif en donnant au passage des gages aux professionnels de la lutte contre l’exclusion, ce projet de loi permettra demain, l’embauche de « trois RMIstes pour le prix d’un smicard » comme l’a justement titré Libération le 8 mai dernier - ce qui n’est pas de nature, loin s’en faut, à améliorer la situation de l’ensemble des salariés mais à tirer encore plus vers le bas les petits salaires.
Concernant ensuite le RMI, les questions soulevées sont nombreuses et d’importance.

Le RMI, prestation de solidarité, trop conditionné est laissée à la seule responsabilité des Présidents de Conseils généraux, restera-t-il un droit garanti ou, deviendra-t-il un droit local ; les modalités actuelles de la décentralisation ne permettant pas d’assurer l’égalité et la solidarité ?
Comment s’articulera cette compétence transférée avec les politiques de l’emploi, de la formation professionnelle faisant, elles, intervenir l’Etat, les régions ?
Quels sont les termes exacts des transferts financiers ?
Qu’adviendra-t-il de la personne à la fin du RMA ?
La tonalité assez critique du rapport de la Commission des Affaires sociales, les nombreux amendements déposés, n’apaisent pas nos craintes, au contraire.

Cela confirme que le débat qui s’ouvre ne saurait suffire à lui seul à combler les insuffisances, les oublis du texte.
Nous ne refusons pas le débat, nous pensons seulement qu’il ne doit pas être tronqué.

Afin de laisser à chacun le temps nécessaire à l’évaluation du dispositif actuel du RMI, à la concertation avec l’ensemble des parties prenantes et à la réflexion sur les moyens d’améliorer les perspectives d’insertion sociale et professionnelle des bénéficiaires du RMI, nous vous invitons à voter cette motion de renvoi du projet de loi à la commission des Affaires sociales.

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