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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Hôpital, patients, santé et territoires

Par / 12 mai 2009

Monsieur le Président,
Madame la Ministre,
Mes chers collègues,

Il faut reconnaître au moins un mérite au projet de loi « Hôpital, patients, santé, territoires », y compris dans sa version de la commission, celui d’éclairer les précédentes réformes menées par vos prédécesseurs en matière de santé, Madame la Ministre.

On peut même aller jusqu’à dire que c’est ce texte qui leur permet de trouver une cohérence puisque, désormais, tout converge vers la privatisation de notre système de santé.

Cette vision marchande de la santé n’est pas la nôtre. Elle a beau être conforme aux préconisations des institutions européennes et dans la logique du Traité de Lisbonne. Elle n’en est pas moins inacceptable.
Nous récusons cette subordination de la santé à l’économique car, partout où elle est mise en œuvre, elle se révèle discriminatoire dans l’accès aux soins et préjudiciable à leur qualité.

Pour illustrer cette politique, on cite souvent les Etats-Unis, qui, en consacrant 16% de leur produit intérieur brut à la santé, laissent 41% de leur population mal ou non assurés n’ayant pas du tout ou difficilement accès aux soins.
Et ce n’est pas le moindre des paradoxes de constater qu’au moment où les Etats-Unis prennent comme modèle notre système de santé pour réformer le leur, nous sommes en train de nous inspirer du leur pour réformer le nôtre.

Cette remise en cause de notre modèle a déjà eu et aura des conséquences désastreuses sur l’hôpital public.
Les réformes incessantes dont il a été l’objet ces dernières années ont accru ses difficultés, comme si le gouvernement misait sur sa disparition prochaine au profit du secteur commercial.
Il est vrai que le gouvernement est allergique aux services publics en général et ne manque pas une occasion d’apporter sa contribution à la campagne de dénigrement dont l’hôpital public est l’objet.
Le Président de la République est allé jusqu’à l’accuser injustement de dilapider chaque année 64% des dépenses de santé alors qu’en réalité, il n’en représente que 34%.

Aujourd’hui, l’hôpital va mal, il est en état de sous financement chronique, affaibli et déstructuré. Ses personnels en nombre insuffisant sont démoralisés au moment où se profilent les vagues de licenciements par milliers.

La sécurité et la qualité des soins ne sont plus garanties et, paradoxalement, ce projet est muet sur son mode de financement qui est pourtant la principale cause de la crise sans précédent qu’il traverse.

La tarification à l’activité a déstabilisé l’hôpital public. Il a généré une course aux recettes et un tri des patients, instaurant entre le secteur commercial et le secteur public une concurrence meurtrière pour ce dernier, obligé de prendre en charge toute l’année, 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, tous les patients qui se présentent, alors que le secteur à but lucratif peut choisir ceux d’entre eux qui sont les plus rentables.

Votre texte, Madame la Ministre, n’apporte aucune solution à tous ces problèmes. Au contraire, il les aggrave.

Il supprime purement et simplement le service public hospitalier. Le bloc de mission de service public est décliné en une multitude de missions parmi lesquelles le secteur privé à but lucratif peut choisir de n’exercer que les seules rentables.

Les activités privées à l’hôpital, régulièrement dénoncées comme contraires à l’éthique et qui, depuis leur instauration en 1958, perturbent l’organisation des services là où elles existent, ne connaîtront plus aucune limite puisque le texte organise l’entrée des médecins libéraux à l’hôpital.

Certes, dans certaines spécialités, l’hôpital manque de médecins, mais doit-on pour autant chercher à s’attacher leur service au prix fort, alors qu’il serait plus rationnel et plus simple d’éviter la fuite vers le secteur commercial des praticiens hospitaliers, en particulier les jeunes, en améliorant leurs conditions de travail et de rémunération, notamment en ce qui concerne les retraites ?
L’instauration par ailleurs à l’hôpital d’un intéressement aux bénéfices risque de provoquer des conflits d’intérêt préjudiciables aux patients et à la cohésion des équipes médicales.

Enfin, le terme d’hôpital, sans doute trop connoté à vos yeux, Madame la Ministre, est remplacé par celui, plus neutre, d’établissement de santé. Ce glissement sémantique est tout sauf anodin : il anticipe sur la finalité ultime de votre réforme et la privatisation totale ou partielle du secteur public hospitalier.

Le projet de loi organise en toute logique cette mutation : il étend les techniques de gestion de l’entreprise à l’hôpital au mépris de la spécificité de ses missions et de son fonctionnement, comme si l’activité de soins était une activité mercantile banale, les patients des clients, comme si leur santé pouvait se négocier en parts de marché.
Les élus sont refoulés des instances de décision, le conseil d’administration remplacé par un conseil de surveillance, et le corps médical tenu en lisière. Le directeur devient le seul patron qui peut décider de tout, y compris du projet médical d’établissement contre l’avis des professionnels de santé.

Heureusement, sous la pression de la rue, comme cela est déjà arrivé par le passé, vous avez dû reculer et le texte a été amélioré sur ce point.

Comme vous avez dû aussi reculer sur la mise en place de la convergence tarifaire public-privé en la reportant à 2018. Je ne comprends d’ailleurs pas pourquoi vous ne la supprimez pas complètement.

Ce texte permet aussi la constitution de communautés hospitalières de territoires dont on peut craindre que l’objectif ne soit pas seulement la recherche d’une meilleure satisfaction des besoins de santé de la population concernée, ma collègue Annie David reviendra plus en détail sur ce sujet.

Venons-en aux agences régionales de santé, les ARS.

C’est en 1993 qu’apparaît pour la première fois l’idée de la création des ARS dans le rapport « santé 2010 » du commissariat au plan.

Depuis lors, il semble que l’on ait hésité sur le contenu à leur donner et le rôle qu’elle devait jouer dans cette improbable décentralisation sanitaire, sans cesse annoncée, jamais réalisée. Les textes adoptés par la suite ne brillent pas par leur cohérence : alors que la loi du 23 février 2005 sur le développement des territoires ruraux est d’inspiration nettement décentralisatrice, le dispositif du 4 mars 2002 amendé par les lois Douste-Blazy et Mattei de 2004 relève plutôt d’une déconcentration technocratique.

Ce projet de loi procède de la même démarche, qui consiste à déresponsabiliser les politiques en confiant à des experts non soumis au contrôle démocratique le pouvoir que devraient normalement exercer les élus.

Il va aggraver l’imbroglio administratif actuel qui caractérise l’organisation de notre système de santé.

Il y a trop de textes et de règlements, d’agences et d’institutions de toutes sortes. J’en ai dénombré dans le seul domaine de la santé pas moins d’une vingtaine.
Ce processus d’« agencisation » de l’Etat auquel ce projet donne un coup d’accélérateur, loin de simplifier le système, risque de le rendre plus opaque encore. Ma crainte est qu’il donne naissance à un monstre bureaucratique ingérable, complètement déconnecté des réalités.

La rédaction de l’article 26, amendée par la commission, ne me rassure pas. Il apparaît que ces agences sont moins destinées à veiller à la satisfaction des besoins de santé de la population de la région dans le respect pour chacun d’une égale accessibilité tarifaire et géographique aux soins, que de faire respecter l’objectif national de dépenses d’assurance maladie - l’ONDAM - établi en fonction de critères essentiellement économiques.

A cet effet, les ARS seront dirigées par un superpréfet nommé en conseil des ministres qui, hors de tout contrôle démocratique, arrêtera le projet régional de santé, nommera et révoquera les directeurs d’hôpitaux publics, qui pourront désormais venir du secteur marchand avec leur salaire, quel qu’il soit, et y retourner sans contrainte.
Le directeur général de l’ARS pourra réduire unilatéralement certaines dotations financières dont bénéficient les hôpitaux publics, au risque de porter atteinte à la qualité et à la sécurité des soins qui y sont délivrés.
Il aura aussi la responsabilité de la gestion des risques qui relevait jusque là de l’assurance maladie, contrairement à ce que l’on observe dans la plupart des pays européens qui opèrent une séparation entre régulation du système et organisation de l’offre de soins. L’assurance maladie devient aussi en quelque sorte une filiale de la holding « Agences régionales de santé ».
Cette concentration en une seule main de tous ces pouvoirs a pour seul objet d’assurer la maîtrise comptable des dépenses de santé. C’est la raison pour laquelle nous ne pouvons y souscrire.

En outre, l’identité sanitaire fortement marquée des agences fait craindre aux acteurs du secteur social et médico-social une prise en compte insuffisante de leurs besoins spécifiques.

A cet égard, la modification du nom de l’ARS adoptée par la commission est un signal particulièrement bienvenu que va sûrement apprécier le monde associatif.
En revanche, la suppression des comités régionaux d’organisation sociale et médico-sociale (CROSMS), qui traduit la volonté du gouvernement de renforcer le pouvoir des ARS au détriment des représentants des associations, est unanimement condamnée. C’est pourquoi nous proposons un amendement les rétablissant.

Il nous apparaît en effet indispensable de maintenir le seul organisme consultatif régional pluriel dans sa composition, capable d’avoir une vision prospective globale des besoins en matière d’équipements et de services sociaux et médico-sociaux.

Par ailleurs, le transfert aux ARS de compétences dévolues auparavant aux départements et à l’échelon local est potentiellement source de conflits ou de confusion.
Ainsi en est-il par exemple de la programmation. Commente articuler le schéma régional médico-social de l’ARS avec le PRIAC (programme interdépartemental d’accompagnement des handicaps et de la perte d’autonomie) - qui est un programme interdépartemental - et le schéma élaboré avec le conseil général, qui lui est départemental ?
C’est une des questions parmi beaucoup d’autres que suscite cette réforme et auxquelles ce projet de loi ne répond pas. C’est l’une des raisons pour lesquelles les associations demandent à être consultées pour la rédaction des décrets, souhaitant être considérées comme de véritables acteurs et non pas comme de simples prestataires de service.

En ce qui concerne maintenant les soins de premiers recours, si l’on peut sans difficulté souscrire à la définition qui en est donnée, on peut déplorer l’absence de mesures concrètes susceptibles de répondre aux deux problèmes majeurs du moment que sont les dépassements d’honoraires et les inégalités territoriales en matière d’offre de soins.

On ne saurait se contenter de formules incantatoires, comme celle utilisée dans l’intitulé du titre II - « l’accès de tous aux soins de qualité » -, qui ne correspondent plus à la réalité. Ce principe, qui est l’un des fondements de notre système de santé, a été mis à mal.

La multiplication des franchises et contributions forfaitaires diverses est responsable de la détérioration du taux moyen de prise en charge des soins de ville qui se situe au dessous, à 60%, auquel il faut ajouter les dépassements d’honoraires en ville qui s’élèvent en moyenne à 8% des dépenses présentées au remboursement, dont seulement une partie est prise en charge par les assurances complémentaires.
Sur certaines catégories de soins, pour certaines spécialités, dans certaines zones, cette moyenne est d’ailleurs très largement dépassée. En établissements de santé commerciaux, le montant des dépassements peut atteindre plusieurs centaines, voire plusieurs milliers d’euros.
Malgré la CMU-c et l’ACS, il reste encore 8% d’assurés sans couverture complémentaire, et la crise aidant, il n’est pas exclu que le mouvement de « démutualisation » qui a commencé à se manifester se développe. Le nombre de personnes confrontées à des dépenses qu’elles ne peuvent supporter et qui sont contraintes à renoncer aux soins risque d’augmenter. 39% des Français sont aujourd’hui dans cette situation alors qu’en 1999, ils n’étaient, si je puis dire, que 25%.
Par ailleurs, les inégalités de répartition des médecins entre régions, et au sein même des régions entre les départements, les communes, les quartiers, sont parfois flagrantes.

Devant une situation qui ne cesse de se dégrader, la seule politique du gouvernement consiste à éviter à tout prix de s’opposer à la profession, à remettre à plus tard - à 2013, et pourquoi pas 2018 ?- les quelques mesures qui auraient pu constituer un début de politique volontariste en matière d’accès aux soins et je déplore que notre commission n’ait pas supporté les quelques avancées que l’Assemblée nationale avait fait sur ce point. Elle a supprimé l’article L. 6161-4-1 du code de la santé publique qui garantissait une proportion minimale d’actes facturés sans dépassements d’honoraires dans un établissement de santé commercial.

C’est regrettable car il existe en matière d’accès aux soins au moins un dossier en friche qu’il faudrait traiter de toute urgence, celui de la médecine libérale.
Il faut en effet tirer les conséquences de l’échec qui solde 5 années de fonctionnement d’un système conventionnel à bout de souffle. L’enlisement des négociations sur le secteur optionnel entamées il y aura bientôt 5 ans en est la preuve la plus accablante. Mais il s’est montré tout aussi incapable de régler le problème des zones sous-médicalisées et celui de la permanence des soins.

S’arquebouter comme vous le faites, Madame la Ministre, sur la liberté d’installation des médecins libéraux, même lorsqu’elle s’exerce au détriment du patient, ne peut constituer à elle seule une politique, les droits des patients sont aussi intangibles que la liberté des médecins. Il arrive même que l’une doive s’effacer devant les autres, notamment pour les missions de service public.

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