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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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La finalité de la directive de 1996 demeure, à savoir organiser la concurrence des travailleurs entre eux

Lutte contre le dumping social et la concurrence déloyale -

Par / 6 mai 2014

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, alors que, le 16 avril dernier, le Parlement européen adoptait la directive d’exécution sur le détachement des travailleurs, l’Assemblée nationale adoptait de son côté la proposition qui nous est soumise aujourd’hui et qui a en quelque sorte vocation à anticiper sur cette directive.

La volonté du Gouvernement de ne pas attendre l’adoption d’un projet de directive ayant fait l’objet, une première fois, d’un carton jaune par les députés du Parlement européen, est légitime. Elle est même compréhensible, tant la question du détachement des travailleurs européens et le dumping social qu’il entraîne inquiète nos concitoyens.

Pour autant, anticiper n’est pas nécessairement innover ; d’aucuns considèrent déjà, et nous en sommes, tout comme le juriste Hervé Guichaoua, que cette proposition de loi ainsi que la directive d’exécution ne vont pas suffisamment loin pour être réellement efficaces, car elles ne constituent en rien une remise en cause de la directive de 1996, la finalité de cette dernière, à savoir organiser la concurrence des travailleurs européens entre eux, n’étant nullement abandonnée.

Ainsi, comme vient de le rappeler M. Vanlerenberghe, chaque année, entre 200 000 et 300 000 salariés d’autres pays membres de l’Union européenne viennent travailler en France pour des salaires inférieurs à ceux que perçoivent les salariés nationaux et auxquels s’appliquent des cotisations sociales nettement inférieures. La différence est importante puisqu’elle atteindre, voire dépasser 30 %.

C’est donc un véritable dumping social que l’Europe organise, que la directive d’exécution et que cette proposition de loi encadrent, sans pour autant jamais la remettre en cause.

On pourrait même dire qu’il s’agit d’une directive perdants-perdants si elle ne faisait pas quelques gagnants : certains employeurs, peu scrupuleux, à savoir les mêmes qui, aujourd’hui, exigent du Gouvernement encore plus de cadeaux, encore moins d’impôts, encore moins de cotisations sociales.

La question que nous sommes amenés à nous poser aujourd’hui en examinant cette proposition de loi est simple : sera-t-elle de nature à remédier à cette situation ? La réponse ne peut que nous laisser perplexes dans la mesure où la directive de 1996 demeure en l’état.

Pourtant, voilà quelques années, sur l’initiative de notre collègue Catherine Tasca, la Haute Assemblée avait adopté une position beaucoup plus audacieuse en débattant d’une proposition de résolution qui demandait au Gouvernement la révision de la directive de 1996 et la modification des traités.

Certes, la présente proposition de loi tend à responsabiliser le donneur d’ordre dans le cas où l’employeur du salarié appliquerait à ce dernier une rémunération inférieure à celle prévue par la loi. Bien sûr, cette mesure est positive, mais pour autant que l’on accepte, ce qui n’est pas notre cas, que la concurrence entre travailleurs européens puisse continuer à s’organiser autour d’un différentiel des cotisations sociales.

Toutefois, ce n’est pas notre seule critique qu’appelle de notre part cette proposition de loi, puisque celle-ci se contente de rappeler que le travailleur détaché doit être rémunéré au SMIC. Or certaines entreprises ayant recours ponctuellement à des travailleurs détachés ou certaines conventions de branche prévoient pour les salariés nationaux des rémunérations minimales supérieures au SMIC. Sur ce point, la proposition de loi est silencieuse, de sorte que la concurrence entre salariés français et salariés détachés pourra jouer à la fois sur les cotisations et sur la rémunération versée aux salariés.

Le texte demeure également silencieux sur une autre fraude, massivement pratiquée, qui consiste pour certains employeurs à déduire du salaire qu’ils versent des sommes exorbitantes au titre des frais de logement, de transport ou d’alimentation dont ils assument théoriquement la charge. Naturellement, en la matière, les contrôles de l’administration du travail seront indispensables. Mais sans doute aurait-il fallu explicitement viser ces cas pour renforcer les sanctions.

Sans doute faudrait-il aussi, monsieur le ministre, conforter réellement l’inspection du travail tant en accroissant ses effectifs, reconnus comme trop faibles par nombre de commentateurs, qu’en renforçant leur indépendance, à l’inverse des mesures réglementaires prises par le Gouvernement.

Par ailleurs, les auteurs de la proposition de loi entendent lutter contre ce que l’on appelle les « entreprises boîtes aux lettres », qui constituent un véritable fléau. Mes collègues du groupe CRC et moi-même souscrivons pleinement à cet objectif, même s’il nous semble qu’il aurait été possible d’être beaucoup plus ambitieux en la matière. Nous défendrons d’ailleurs un amendement tendant à préciser qu’un salarié ne peut jamais être placé en situation de détachement dans son pays d’origine. Cette précision nous semble être de nature à éviter certains abus, les entreprises parvenant à concilier hauts niveaux de formation, de compétence, de qualification et très faibles rémunérations.

Nous aurions également souhaité que cette proposition de loi renforce nettement les sanctions à l’encontre des employeurs qui ne respecteraient pas des règles sociales déjà très légères. Je vise explicitement le non-paiement des cotisations sociales à l’URSSAF et à Pôle emploi. Dans de tels cas, il nous est apparu souhaitable que la loi prévoie un mécanisme d’information à destination du donneur d’ordre, à charge pour lui d’obtenir et de transmettre la preuve que son sous-traitant a effectivement régularisé sa situation. Dans le cas contraire, l’entreprise donneur d’ordre aurait dû être tenue responsable solidairement de cette fraude.

Vous le voyez mes chers collègues, nos réserves sur cette proposition de loi sont assez importantes. Elles le sont d’autant plus que nous sommes opposés, depuis l’origine, à la directive de 1996.

Pour autant, le groupe communiste républicain et citoyen agira, comme toujours, de manière responsable au moment de se prononcer sur cette proposition de loi. Bien que nous puissions considérer qu’elle manque parfois de vigueur et qu’elle ne constitue pas réellement la remise en cause que nous espérions du dumping social européen organisé par la directive de 1996, nous ne nierons pas les progrès qu’elle comporte.

Dans un autre domaine, s’inspirant de ce qui existe dans le secteur du transport aérien, une « liste noire » des personnes morales ou physiques condamnées pour des infractions constitutives de travail illégal à 15 000 euros d’amende au moins serait élaborée et publiée sur internet. Là encore, la mesure est positive, bien qu’elle n’ait en réalité qu’une portée assez limitée. Sans doute aurait-il été plus efficace de prévoir qu’une entreprise inscrite sur cette liste noire ou les dirigeants d’une telle entreprise ne soient plus autorisés à détacher des travailleurs en France. Pour le moins, ces entreprises devraient être automatiquement privées de la possibilité de répondre à des marchés publics.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, telles sont, en substance, les critiques que nous pouvons formuler sur les insuffisances de cette proposition de loi. Celle-ci apporte toutefois des garanties nouvelles, modestes mais réelles, pour les salariés. C’est pourquoi le groupe CRC votera en faveur de cette dernière, désireux qu’il est de protéger les salariés, même partiellement. Dans notre esprit, c’est une forme d’encouragement à aller beaucoup plus loin, en France comme à Bruxelles, pour ouvrir enfin le chantier de l’harmonisation sociale au sein de l’Union européenne.

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