Affaires sociales
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Le gouvernement refuse de faire le lien entre formation initiale et formation continue
Formation professionnelle -
Par Brigitte Gonthier-Maurin / 21 septembre 2009Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Annie David ayant précédemment exposé la position de notre groupe sur ce projet de loi, je voudrais, quant à moi, exprimer le profond regret, d’ailleurs partagé par nombre des intervenants auditionnés, que ce projet de loi n’ait pas fait le lien entre formation initiale et formation continue. Dès lors, comment prétendre mettre en place un véritable droit à la formation tout au long de la vie ? Comment rendre cette formation efficace si, simultanément, n’est pas posée la question de son articulation avec une orientation et une formation dès le début du parcours ?
Vous me répondrez qu’il y avait l’ANI ! Le travail issu des négociations entre organisations syndicales et patronales, concrétisé par la signature de l’ANI en janvier dernier, est un acte important de compromis social que l’on doit évidemment prendre en compte. Mais il ne constitue par pour autant un horizon indépassable. Notre rôle de parlementaires est de l’enrichir.
Il aurait fallu élargir davantage nos auditions, réfléchir à la construction d’un système cohérent et complémentaire avec tous les acteurs de la formation initiale et continue.
Notre rapporteur a bien tenté de pallier cet écueil, mais par la seule voie du développement de l’apprentissage, sur lequel je reviendrai.
Trop peu d’occasions nous ont été offertes depuis deux ans de confronter nos conceptions respectives de la formation initiale, alors même que les réformes engagées à l’école et à l’université sont légions et ne font pas consensus.
Pourtant, un chiffre, au moins, aurait dû nous obliger à mener cette réflexion : 150 000 jeunes sortent du système scolaire sans diplôme ni qualification. Bien sûr, il ne s’agit pas de sombrer dans la seule visée utilitariste, donc de court terme, de la formation, qu’elle soit initiale ou continue.
L’article 1er de ce projet de loi, relatif à la définition même de la formation professionnelle tout au long de la vie, fixe l’objectif « de progresser d’au moins un niveau de qualification au cours de sa vie ». C’est certes mieux que la version initiale du texte, mais cela manque d’ambition.
Nous proposons que cet article fasse mention des personnes sorties du système scolaire sans diplôme ni qualification professionnelle, celles-là même qui, tous les rapports le soulignent, sont les plus éloignées de la formation alors qu’elles en auraient le plus besoin.
C’est pourquoi nous croyons que l’idée d’un droit à la formation initiale différée avait toute sa place dans ce texte. L’ANI, dans son article 16, en avait d’ailleurs tracé une première ébauche à destination des salariés.
M. Guy Fischer. Très bien !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pour nous, il s’agit non pas de renoncer à l’ambition du plus haut niveau de formation initiale pour tous, mais bien de créer l’opportunité d’une deuxième chance, que l’État se doit de garantir et où l’éducation nationale doit d’ailleurs prendre toute sa place. C’est le contraire du renoncement et du désengagement de l’État.
C’est la raison pour laquelle l’idée d’un droit à la formation initiale différée me paraît plus positive que l’extension des écoles de la deuxième chance.
La formation professionnelle doit en effet se concevoir sur la base d’une formation initiale solide et réussie, en lien avec le lycée et l’université, s’appuyant sur une éducation nationale à la hauteur des ambitions d’une grande nation.
À ce propos, je tiens à redire avec force que la généralisation du baccalauréat professionnel en trois ans est une erreur. Les expérimentations l’ont d’ailleurs montré : près de 50 % des lycéens concernés ne parvenaient pas jusqu’au diplôme et sortaient alors du système scolaire sans qualification.
Ainsi, loin de revaloriser cette filière qui scolarise tout de même un jeune sur trois, une telle décision, à laquelle s’opposent toujours les acteurs concernés, va tout au contraire l’appauvrir puisque c’est un mode de remédiation important qui se trouve ainsi compromis.
Le texte issu de la commission spéciale fait une large place à l’apprentissage. Si celui-ci constitue une voie réelle d’insertion pour des jeunes, comment ne pas voir qu’il demeure encore grandement l’apanage d’une orientation par l’échec ?
Car indissociablement de la formation se pose la question de l’orientation. Le projet de loi, dans sa version initiale, était terriblement muet sur le sujet. Les avancées adoptées par la commission spéciale méritent d’être soulignées.
Le droit pour toute personne à être « informée, conseillée et accompagnée en matière d’orientation professionnelle » est désormais inscrit au sein même du chapitre du code du travail consacré aux « objectifs et contenu de la formation professionnelle » : c’est un symbole fort ! Mais la loi doit aussi se donner les moyens de le concrétiser. Elle souffre, à cet égard, d’une nouvelle défaillance.
Nous défendrons de nouveau la création d’un grand service public de l’orientation tout au long de la vie.
Se posera, bien sûr, la question des conseillers d’orientation psychologues. Le Gouvernement organise, de fait, leur disparition. Le sentiment répandu de leur relative inutilité est, à mon sens, le fait de perceptions biaisées ; j’y reviendrai lors de nos débats.
Enfin, l’orientation doit devenir une préoccupation principale réelle et non plus simplement nominale du système éducatif, tant initial que continu. Sinon, comment sortir de la spirale destructrice de l’orientation par l’échec, qui ajoute aux inégalités sociales les inégalités scolaires ?
Cet objectif implique de s’inscrire dans une ambition émancipatrice qui implique le développement de l’autonomie des individus et l’élévation de leurs connaissances, c’est-à-dire un haut niveau de culture pour tous.
La formation initiale doit permettre de transmettre des outils intellectuels donnant la possibilité d’avoir prise sur le monde grâce à sa compréhension. À mon sens, c’est l’inverse du socle commun des compétences, socle minimaliste qui distingue le minimum pour tous et le supplément pour quelques-uns.
À titre d’exemple, les enseignements artistiques sont progressivement diminués ; je pense, notamment, au cas de l’enseignement professionnel où les heures ont été divisées par deux.
Quand à la formation continue, une étude de 2006 du Centre d’études et de recherches sur les qualifications, ou CEREQ, montre que, entre 1975 et 2005, deux fois plus de salariés ont bénéficié d’une formation payée par l’employeur. Mais, durant la même période, la durée moyenne des formations a été divisée par deux et on a observé une diminution de près de la moitié du pourcentage de ces formations donnant lieu à une reconnaissance par diplôme ou qualifications, donc ayant un impact sur le salaire.
C’est cette vision utilitariste de la formation, tant initiale que continue, qu’il faut stopper.