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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Les gens du voyage

Par / 2 février 2000

par Danielle Bidard-Reydet

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’Etat, mes chers collègues, dans l’impossibilité de venir devant vous aujourd’hui,
Mme Odette Terrade m’a demandé de vous présenter tout à la fois ses excuses et son intervention.
Près de trois cent cinquante années séparent le premier dispositif relatif aux gens du voyage du texte que nous examinons aujourd’hui. C’est en effet l’ordonnance de Colbert de 1662 qui définissait comme délit le nomadisme, l’oisiveté et l’errance.

Tout au long de ces trois siècles, la législation a certes évolué, mais les pratiques et les mentalités sont encore trop souvent empreintes d’un jugement négatif à l’égard des personnes itinérantes. Il y a, bien entendu, la peur de ce qui est différent, la méconnaissance des autres, mais également une certaine jalousie d’un mode de vie qui rime avec absence de contraintes, liberté totale et irresponsabilité.

Les situations de tension dans notre pays témoignent bien de la nécessité de faire évoluer les mentalités afin que le libre choix de vie de chacun soit respecté. Comme vous le déclariez, monsieur le secrétaire d’Etat, c’est " une affaire de cohérence avec les valeurs dont nous nous réclamons ", valeurs inscrites sur le fronton de nos édifices : liberté, égalité et fraternité.
Ces situations de tension témoignent également de la nécessité de faire évoluer la loi, d’abord pour des raisons de justice sociale, d’égalité de traitement, mais également, j’en suis persuadée, parce que la loi contribue, dans bien des domaines, à faire évoluer les mentalités.

Monsieur le secrétaire d’Etat, vous avez certes la charge de ce projet de loi, mais cette question relève également de la compétence de plusieurs autres ministères : ceux de la justice, de l’intérieur et de l’emploi et de la solidarité.
La diversité de la réalité des gens du voyage exigerait des mesures dépassant le cadre de cette loi car elles ne relèvent pas du strict domaine de l’accueil et du stationnement.

Je pense avant tout à l’obligation pour les gens du voyage de posséder et de présenter tous les trois mois un carnet de circulation, alors que la plupart d’entre eux sont de nationalité française. Cet élément a d’ailleurs été évoqué précédemment.
La loi du 3 janvier 1969 instituait le rattachement administratif sur une commune donnée, qui entraîne des conséquences importantes pour de nombreux actes de la vie quotidienne, notamment le mariage, le devoir fiscal, l’aide sociale ou le service national.

J’ai en mémoire le témoignage d’un membre de la communauté du voyage s’exprimant à un colloque à Bourg-en-Bresse. Il faisait part de l’atteinte à la dignité que ce carnet de circulation représentait pour lui. (Murmures de protestation sur les travées du RPR.) Il disait simplement combien il se sentait un " sous-citoyen " par rapport au reste de la population. Comment ne pas le comprendre !

M. Dominique Braye. A Vernouillet, ils sont fichés !

Mme Danielle Bidard-Reydet. La loi, dans ce domaine, doit évoluer.

M. Dominique Braye. Et ceux qui ne respectent pas la loi, qu’en fait-on ?

Mme Danielle Bidard-Reydet. Le débat doit avoir lieu, le plus largement possible.

Pour ce qui concerne les aides sociales, autre domaine qu’il convient de faire progresser,...

M. Dominique Braye. L’enfer est pavé de bonnes intentions !

Mme Danielle Bidard-Reydet. ... mon groupe aura l’occasion d’intervenir ultérieurement sur l’article 6.
Aujourd’hui, sur le plan législatif, la référence est la loi du 31 mai 1990. Ce texte comportait des avancées non négligeables. Tout d’abord, il mettait en place les schémas départementaux prévoyant les conditions d’accueil spécifiques des gens du voyage, en ce qui concerne le passage et le séjour, en y incluant les conditions de scolarisation des enfants et les conditions d’exercice d’activités économiques. De surcroît, il prévoyait que toutes les communes de plus 5 000 habitants réservent des terrains aménagés à cet effet. Seule cette obligation rendait possible l’interdiction de stationnement des gens du voyage sur le reste du territoire communal, par le maire.

Le texte avait pour défaut majeur de ne prévoir ni obligation, ni sanction, ni délai. Aujourd’hui, nous pouvons dire que cet appel à la bonne volonté n’a pas suffit.

M. Hilaire Flandre. C’est bien de le reconnaître !

Mme Danielle Bidard-Reydet. Des chiffres déjà cités montrent les difficultés d’application de ce texte.
La première difficulté réside, comme je viens de le dire, dans l’absence de contrainte et de délai. Cela est à mettre en parallèle avec une réelle pénurie de terrains pour certaines communes ou avec d’autres motifs.
Nous constatons, dix ans après l’adoption de la loi de 1990 et son fameux article 28, monsieur le secrétaire d’Etat, un très grand déficit en ce qui concerne le nombre d’aires d’accueil. Il en résulte une très forte pression sur les communes qui, dotées d’un équipement, se sentent pénalisées alors qu’elles ont joué le jeu, et cela dissuade encore davantage les communes les moins coopérantes.
Aussi était-il nécessaire de mettre en oeuvre un outil législatif pour contraindre ces dernières à agir. Nous saluons donc votre initiative, monsieur le secrétaire d’Etat.

M. Patrick Lassourd. Vive la liberté !

Mme Danielle Bidard-Reydet. Le présent projet de loi vise à une cohabitation harmonieuse de toutes les catégories de la population, sur l’ensemble du territoire national. Ce texte tend à créer les conditions d’un équilibre satisfaisant entre, d’une part, la liberté constitutionnelle d’aller et de venir, l’aspiration légitime des gens du voyage à pouvoir stationner dans des conditions décentes et, d’autre part, le souci, également légitime, des élus locaux d’éviter les installations sauvages qui occasionnent des difficultés de coexistence avec leurs administrés.

Cet équilibre entre droits et devoirs est de la responsabilité de l’Etat, en partenariat avec les collectivités locales, les gens du voyage et les populations sédentaires concernées.
En ce qui concerne les conditions de vie décentes auxquelles les gens du voyage doivent avoir droit, comme toutes les autres catégories de la population, ne conviendrait-il pas, à l’identique de ce qui se produit pour le logement traditionnel, de fixer non seulement les normes d’hygiène, de sécurité, de confort, mais également les normes de compatibilité avec leur activité professionnelle, souvent le ferraillage, qui devraient être prises en compte lors de la réalisation des aires d’accueil ? Il conviendra de veiller à ce que les décrets d’application prennent effectivement en compte l’ensemble de ces problèmes ainsi que la question des lieux d’implantation devant offrir un cadre de vie de qualité.
Enfin, s’agissant du pouvoir des maires de lutter contre les stationnements illicites, la loi de 1990 permettait déjà au maire d’interdire, par arrêté, le stationnement des caravanes sur le reste du territoire de sa commune, dès lors que celle-ci satisfaisait aux obligations de l’article 28. La jurisprudence a d’ailleurs confirmé ces données.

Toutefois, de nombreux maires qui ont satisfait à l’obligation de construction d’aires d’accueil font état, à juste titre, de délais trop longs entre le signalement d’un stationnement illicite et le départ des personnes ayant commis l’infraction. Ce projet de loi devrait corriger ces anomalies, tout d’abord parce qu’il aura comme conséquence directe l’augmentation significative du nombre d’aires, mais également parce qu’il renforce le dispositif existant en confiant au juge judiciaire l’ordonnance de l’évacuation des terrains, y compris sur le domaine public, et en rendant possible l’exécution " au seul vu de la minute ".

Au-delà de la réalisation des aires d’accueil, l’évolution du mode de vie nécessite une diversification des réponses. Outre les 100 000 gens du voyage déjà sédentarisés, 70 000 peuvent être considérés comme semi-sédentarisés puisqu’ils aspirent à rester plusieurs mois dans un même lieu. Cette tendance à la sédentarisation correspond bien entendu à la disparition de nombreuses activités traditionnelles des gens du voyage. Le choix d’une vie totalement itinérante,
semi-sédentarisée ou sédentarisée appartient à chaque individu. Toutefois, la loi se doit d’appréhender toutes ces réalités afin d’y apporter des solutions efficaces.
La commission des lois de la Haute Assemblée a adopté un amendement visant à prévoir l’élaboration d’un schéma national dans le cadre de rassemblements traditionnels ou occasionnels.

Si ces grandes migrations entraînent des déplacements d’une ampleur particulière soulevant des problèmes spécifiques, elles ne constituent néanmoins que des déplacements ponctuels. Or, ce sont les déplacements plus fréquents que les maires doivent gérer au quotidien. De plus, le paragraphe IV de l’article 1er répond, me semble-t-il, à la nécessité de coordonner, à l’échelon de la région, les travaux d’élaboration des schémas départementaux. Enfin, il nous paraît que le schéma national éloigne des lieux de décision les problèmes rencontrés sur le terrain par les élus locaux.
Permettez-moi, monsieur le secrétaire d’Etat, mes chers collègues, d’aborder une autre facette de la vie en caravane.

Nous assistons au développement du mode de vie, ou plutôt de survie, dans des caravanes, voire des camions ou des voitures, à défaut de pouvoir se loger dans un appartement. (Exclamations sur les travées du RPR.)

M. Bernard Murat. Ils ne veulent pas y aller !

Mme Danielle Bidard-Reydet. Toutes ces personnes vivent dans une très grande précarité, en dessous du seuil de pauvreté.

M. Dominique Braye. Merci la gauche !

Mme Danielle Bidard-Reydet. Leurs candidatures à un logement sont rejetées par tous les bailleurs sociaux.

M. Dominique Braye. Merci la gauche !

Mme Danielle Bidard-Reydet. Ces personnes doivent-elles être assimilées aux gens du voyage ? Ne conviendrait-il pas plutôt, dans nos politiques d’accompagnement social, d’appréhender cette réalité de très grande exclusion ?

La loi d’orientation relative à la lutte contre les exclusions devait résoudre une partie de ces situations.

M. Dominique Braye. La fracture sociale s’accroît chaque jour, mais la cagnotte augmente !

Mme Danielle Bidard-Reydet. Or, dans les faits, il n’en est rien. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le secrétaire d’Etat, ce que le Gouvernement compte faire pour s’attaquer à ce phénomène qui, me
semble-t-il, s’amplifie ?

M. Dominique Braye. La cagnotte serait bienvenue !

Mme Danielle Bidard-Reydet. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe communiste républicain et citoyen approuvent globalement le projet de loi qui nous est soumis. Nous formulons néanmoins quelques remarques, qui prendront la forme d’amendements afin d’enrichir le texte, et quelques réflexions, que nous souhaitons verser au débat.

Le principe d’une large consultation à l’échelon départemental nous agrée.

M. Dominique Braye. Vous avalez tout !

Mme Danielle Bidard-Reydet. Il faut cependant que la commission comprenant, notamment, des représentants des communes concernées et des représentants des gens du voyage ait de réels pouvoirs de proposition et d’intervention, au-delà du rôle consultatif que lui attribue l’article 1er.

En ce qui conerne la question du financement, je note avec satisfaction que le projet de loi contient des dispositions financières substantielles à la charge de l’Etat, pour le financement de l’investissement et pour la compensation des charges de fonctionnement. Toutefois, les départements et les communes y contribueront de façon importante, ce qui provoque, avec raison, beaucoup d’inquiétude parmi les maires.

Aussi, nous proposons au Sénat de déplafonner l’aide de l’Etat, afin que celle-ci corresponde effectivement à 70 % des dépenses réelles engagées par les collectivités locales pour la mise en place d’aires de stationnement.

L’article 7 instaure une majoration de la population prise en compte au titre du calcul de la dotation globale de fonctionnement, des dotations de solidarité ou du fonds de péréquation. Ne serait-il pas envisageable de prévoir également une prise en compte du nombre d’emplacements réalisés, au même titre que le nombre de logements sociaux, par exemple, pour la répartition des dotations de solidarité ?

Les membres du groupe communiste républicain et citoyen soutiennent toutes les mesures permettant de concilier le droit à un habitat adapté et la libre circulation des personnes dans un rapport équilibré entre les droits et les devoirs de chacun. C’est, nous le pensons, l’esprit qui a présidé à l’élaboration de ce texte, que nous soutenons.

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