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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 : exception d’irrecevabilité

Par / 14 novembre 2005

Monsieur le Président,
Monsieur Le Ministre,
Mes chers collègues,

Pouvons-nous encore, en cette fin d’année de soixantième anniversaire de la sécurité sociale, affirmer que la Nation garantit la protection de la santé à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs pour reprendre la formulation du 11ème point du préambule de la Constitution ? On peut raisonnablement en douter.

En 30 ans, le taux de couverture de soins par les régimes de base obligatoires s’est lentement dégradé pour passer de 90% en 1975 à 76% aujourd’hui. 17 plans successifs, pas plus le vôtre que ses prédécesseurs, ne sont parvenus à restaurer notre système de protection sociale dans la plénitude de ses fonctions et dans le respect de ses équilibres financiers, c’est dire s’il y a lieu d’être inquiet : votre politique n’a rien résolu. La nouveauté de votre plan venant après la réforme des retraites, c’est qu’il a mis en place les outils permettant désormais la privatisation de notre système de santé. En effet, l’étroitesse du taux d’évolution quadriennal des dépenses d’assurance maladie proposé dans les annexes de ce projet de loi rend inéluctable l’intervention du comité d’alerte créé par la loi d’août 2004 et non moins inéluctables les mesures de déremboursement qu’il sera amené à préconiser. La réduction du périmètre des soins pris en charge par les régimes obligatoires de base qui en résulte sera relayée par un transfert vers les assurances complémentaires, pour ceux du moins qui en auront les moyens, et le plan Hôpital 2007, et celui qui lui succédera bientôt viendra compléter le dispositif.

Ce faisant - mais qu’il y a-t-il d’étonnant à cela - vous vous inscrivez délibérément dans la logique néo-libérale de l’intégration économique européenne qui, à chacune de ses étapes, a eu des conséquences de plus en plus négatives, notamment en matière sociale.

L’idée que les politiques sociales ne sont que du seul ressort national apparaît de plus en plus comme une fiction. La France est ligotée par ses engagements européens. Pour satisfaire aux critères de convergence et au pacte de stabilité, elle doit présenter un programme pluriannuel de maîtrise des comptes reposant sur la baisse des cotisations et des dépenses sociales.

Cette politique a été clairement condamnée par les Français lors du référendum du 29 mai dernier. Dans ces conditions vous comprendrez, Monsieur le ministre, que après avoir fait campagne pour le non au référendum, nous ne pouvons accepter de soutenir une politique qui combine la désindustrialisation, le chômage, les profits boursiers et le démantèlement de l’Etat social.

Nous ne pouvons accepter d’abandonner aux acteurs économiques des institutions européennes la responsabilité de définir les orientations en matière sociale fondées sur la privatisation et la mise en concurrence de nos systèmes de retraites et de santé, ce qui n’est un gage, ni de justice, ni de générosité.

Ce projet de loi de financement de la sécurité sociale s’inscrit dans la continuité de la réforme 2004 et poursuit la remise en cause de l’égalité d’accès aux soins sans lequel il serait illusoire de prétendre qu’on peut durablement sauvegarder la santé de tous.

Les participations ou contributions forfaitaires que le gouvernement multiplie font peser sur les patients une charge croissante de plus en plus difficile à supporter.
La dernière en date est particulièrement scandaleuse et injuste, c’est sans doute la raison pour laquelle vous en avez si longtemps différé l’annonce, parce qu’elle porte sur des actes lourds qui ne sont jamais dispensés à la demande des patients et qui résultent toujours d’une prescription médicale.

L’effet cumulatif de toutes ces contributions peut être dissuasif et conduire les personnes les plus pauvres à renoncer aux soins. Ce faisant, non seulement on prend des risques en matière de santé publique, mais on quitte le champ de la solidarité pour entrer dans une logique assurancielle où l’on sera d’autant mieux soigné que l’on disposera de ressources plus importantes.

Pour ne prendre qu’un exemple, une coloscopie sous anesthésie générale avec hospitalisation laissera à la charge du patient une somme totale de 33 euros. Ramenée au salaire moyen, c’est plus que ne peut supporter un grand nombre de nos concitoyens.

Le Conseil constitutionnel avait pourtant rappelé, dans sa décision sur la loi du 9 août 2004, les limites de l’institution de forfaits en matière de santé : ils ne sont valables que pour autant que le montant de la participation des assurés sociaux « soit fixé à un niveau tel que ne soient pas remises en cause les exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 » ?

Or, la solidarité entre les assurés n’est plus garantie lorsqu’elle est subordonnée à la souscription d’une assurance complémentaire, surtout lorsque les cotisations s’envolent sous l’effet de votre politique. C’est le langage que tiennent tous les représentants des caisses complémentaires, quels qu’ils soient et, quoi que vous en disiez quand vous vous autorisez à vous exprimer en leur nom, sans qu’elles vous aient mandaté pour le faire. J’aurais plutôt tendance à me fier à leurs déclarations plutôt que de vous croire.

L’aide à l’accession à une complémentaire de santé ne saurait nous satisfaire et les dispositions contenues dans ce projet pour son extension n’y changeront rien. Selon nous, les soins utiles et nécessaires, après avoir été définis dans des conditions impartiales, doivent être pris en charge intégralement par la collectivité pour assurer, non plus en théorie mais dans les faits, l’égal accès de tous à des soins de qualité.

Non seulement, Monsieur le Ministre, vous ne respectez pas ce principe fondamental de la sécurité sociale, mais encore vous n’atteignez pas les objectifs que vous vous êtes fixés.

La maîtrise médicalisée, qui devait modifier les comportements tant des prescripteurs que des assurés, sur laquelle reposait la réforme, peut être en effet d’ores et déjà considérée comme un échec : le dispositif du médecin traitant rate sa cible en s’avérant à la fois onéreux et complexe ; il est loin de remporter l’adhésion des médecins généralistes. Une majorité d’entre eux estime qu’il n’est pas applicable et qu’il ne permettra pas la maîtrise des dépenses de santé.

Le dossier médical personnel est mal engagé, le rapport de la commission des finances du Sénat est suffisamment explicite pour que je n’ai pas besoin d’insister, si ce n’est pour rappeler que la création de ce DMP devait faire économiser à l’Assurance maladie à partir de 2007, 3 milliards d’euros par an. Vous vous êtes bien gardés de nous le rappeler.

L’échec de cette politique fondée sur la modification des comportements des acteurs du système de soins, parfaitement analysé dans le dernier rapport de la cour des comptes, aurait dû conduire le gouvernement à plus de circonspection. Or, il n’en est rien puisque les partenaires conventionnels viennent de signer 2 nouveaux accords de bon usage des soins.

Quant au ralentissement de la hausse des soins de ville, dont il faut noter qu’il avait commencé avant que la réforme de l’assurance maladie soit entrée en application : il est sans doute abusif de lui en imputer l’entière responsabilité.

D’autant que, on le sait, il s’agit souvent d’un effet psychologique éphémère qu’on a observé dans un passé récent, à quatre reprises, et qui s’est traduit par une stabilisation des déficits à chaque fois : en 1991 avec la création de la CSG, en 1993 avoir la loi Teulade, en 1999 avec le Plan Juppé et en 1997 avec le Plan Aubry.

Les experts de la CNAM se sont penchés sur ce phénomène, évoquant « des moments de mobilisation collective- (en tout cas d’interrogations fortes - autour de réformes qui apparaissaient urgentes en raison de déséquilibres financiers qui faisaient peur ». Cette modération de la dépense relevait d’un facteur psychologique lié à un effet d’annonce, il s’agirait alors moins d’une maîtrise médicalisée que d’une maîtrise politique des dépenses de santé.

Il faut d’autant plus être prudent que la moindre progression des soins de ville est liée à une chute impressionnante des dépenses d’indemnités journalières qui a commencé dès 2003, bien avant l’application de la réforme. Elle est liée beaucoup plus à la démographie de la population active, à la conjoncture économique (les indemnités journalières étant inversement proportionnelles au nombre de chômeurs) et au renforcement du contrôle des caisses, qu’à une modification du comportement des médecins.

En réalité, on le constate aisément, la stabilisation du déficit à 11 milliards 9 (record historique de 2004 égalé en 2005) provient moins d’un changement de comportements que d’une augmentation des prélèvements (CSG et droits des tabacs pour l’essentiel).

Enfin, comment ne pas réagir devant l’insincérité flagrante du présent projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 ? La ficelle est trop grosse ici, pour ne pas encourir le reproche d’inconstitutionnalité.

Certes, le Conseil constitutionnel considère que le grief d’insincérité est inopérant devant lui. Il a cependant plusieurs fois rappelé qu’il lui appartient néanmoins de « vérifier qu’en l’état des données disponibles, le Gouvernement, auteur du projet de loi n’a pas eu l’intention de fausser les grandes lignes des équilibres financier qu’il appartient à la loi de financement de dégager ».

Or, ces équilibres ont été sciemment faussés, notamment par les déclarations du Gouvernement. J’en citerai plusieurs exemples :

1) S’agissant de l’évolution des dépenses d’assurance maladie, le Gouvernement n’avait-il pas annoncé lors de la réforme de l’assurance maladie l’équilibre des comptes pour 2007 ? Un an après, constatant que c’est irréalisable, il propose sans plus d’explications un retour à l’équilibre en ...2009, sans que cet échéance paraisse plus crédible : le taux d’évolution de l’ONDAM retenu pour les quatre années à venir est volontairement sous-évalué, alors qu’il n’est pas indiqué les moyens utilisés pour financer les déficits des exercices 2007, 2008 et 2009 chiffrés à 7,9 milliards d’euros, alors que le recours à la CADES - et il faut s’en féliciter - si commode pour résorber les déficits jusqu’en 2006, ne sera plus possible.
Comment ne pas réagir également lorsque le Gouvernement soutient que les prévisions d’évolution de l’ONDAM pour 2005 seront respectées ? Cette affirmation se réfère à la valeur de l’ONDAM et non à son pourcentage ; elle ne tient pas compte des transferts de charge qui ont conduit à une révision à la baisse de l’ONDAM initial de 2004 (de quelques 800 millions d’euros !) sur lequel étaient basées les prévisions de l’ONDAM 2005 : l’évolution en termes de dépenses monte ainsi à 3,8% au lieu des 3,2% annoncés. En tout état de cause, avant de crier victoire, le gouvernement devrait méditer sur les derniers résultats connus. Fin septembre, les dépenses d’Assurance maladie avaient progressé de 4,3% depuis le début de l’année.

2) Quand les chiffres fournis par la Cour des comptes, la Commission des comptes de la sécurité sociale et le Gouvernement ne correspondent pas, on est en droit de se demander si les impératifs posés par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 18 décembre 1997 sont respectés : en effet, dans son contrôle, le Conseil s’attache à préserver la qualité du travail législatif et à protéger les prérogatives de la représentation nationale « en s’assurant que les informations fournies au Parlement ne sont ni incomplètes, ni mensongères ».
Tel n’est pas le cas en l’espèce. C’est plutôt le règne de la confusion et de l’approximation. J’en prendrai deux exemples :
- le déficit 2004 de la sécurité sociale pour le régime général est évalué par la Cour des comptes à 13,2 milliards d’euros alors que, selon le Gouvernement, il ne serait que de 11,9 milliards. Si on y inclut le besoin de financement du FSV et du FIPSA, on arrive à un déficit cumulé de 14,2 milliards.
- deuxième exemple : les créances des régimes sur l’Etat, qui s’élèveraient, au 31 décembre 2004, à 1,942 milliards pour la Cour des comptes et 1,515 milliards pour le Gouvernement et à 1milliard pour la CCSS.
Cette distorsion des chiffres, due notamment à un périmètre des enveloppes de l’ONDAM que la Cour des comptes qualifie elle-même d’insincère (avec des imputations contestables évaluées à 11%), est d’autant plus préoccupante que cette dernière a été choisie par la loi organique pour certifier l’ensemble des comptes à partir de l’exercice 2006, c’est à dire en 2007.

3) Insincérité encore, s’agissant des prévisions de recettes :
La compensation des exonérations n’est pas assurée. La pérennisation du transfert de recettes à la sécurité sociale n’est pas un gage pour l’avenir (alors que les députés ont refusé de circonscrire à la loi de financement les décisions d’exonération) et ne résout pas la question des créances sur l’Etat de la sécurité sociale. A ce sujet, on rappellera qu’on ne dispose toujours pas d’évaluation de l’impact de ces mesures sur l’emploi.
Quant à la situation des fonds concourrant au financement de la sécurité sociale - mais peut-être vaudrait-il mieux parler de « fonds concourrant à son déficit » - le Gouvernement la traite avec désinvolture... en les ignorant. L’Etat ne respecte plus le droit en violant délibérément l’article L 135-3 du code de la sécurité sociale qui stipule que : « les recettes et les dépenses de ces fonds doivent être équilibrées dans des conditions prévues pas les lois de financement de la sécurité sociale ». Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce projet ne prévoit rien.

Comme vous le voyez, Monsieur le Ministre, il y a là matière à fonder cette motion de renvoi pour exception d’irrecevabilité présentée par les membres du groupe communiste, républicain et citoyen et moi-même. C’est pourquoi nous vous demandons de l’adopter et de déclarer irrecevable ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

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