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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Lois de financement de la sécurité sociale : question préalable

Par / 24 mars 2005

par Roland Muzeau

Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,

C’est avec un certain étonnement que nous avons pu lire dans le rapport de M. Vasselle sur ce projet de loi que, désormais, la loi de financement de la sécurité sociale « n’alimenterais plus les craintes d’une étatisation de la sécurité sociale formulée à son encontre lors de son institution ». Selon ce même rapport « les partenaires sociaux se sont trouvés renforcés par le nouveau pilotage de la protection sociale instauré en 1996 : le parlement se prononce sur les grandes enveloppes mais la « démocratie sociale » est pour sa part confortée par l’introduction des conventions d’objectifs et de gestion (COG) qui ont consacré le passage d’une gestions sous tutelle à une gestion partenariale sur laquelle tout le monde s’accorde désormais ». Bref, pour la commission des affaire sociale, « le bilan des lois de financement est très largement positif »...

Permettez nous de ne pas savourer le même engouement pour la loi de financement de la sécurité sociale... Après quelques années de répit, dues à la relance de l’activité économique entre 1997 et 2001, la protection sociale se retrouve de nouveau, et singulièrement depuis 2002, dans une situation financière préoccupante, puisque tout a basculé dans le déficit.

Je me permets de vous rappeler que le régime général connaissait un déficit de 3,4 Mds d’euros en 2002 et il est de 14 milliards cette année ! Pour la branche maladie, vous avez pris le pouvoir avec un déficit de 6,1 Mds d’euros, il est désormais passé à 13.2 Mds cette année. En somme, depuis votre arrivée, le déficit du régime général a pratiquement quintuplé et celui de la branche maladie doublé.
Or face à cette situation pour le moins critique des recettes, vous persistez à invoquer les économies sur les dépenses au détriment des assurés sociaux : économie sur les ALD : 800 millions ; économie sur les arrêts de travail et les indemnités journalières : 300 millions ; économie sur les remboursements des médicaments : 700 millions ; économies sur le remboursement des consultations médicales : 1 milliard et demi ; économie sur l’hôpital de 850 millions, et ainsi de suite...

Enfin, en plus des exonérations de cotisations sociales, soit 2 à 3 milliards d’euros par an, l’Etat doit plus de 4 milliards aux caisses de sécurité sociale.
En effet, comment ne pas rappeler, et cela ne fait pas nécessairement la une de l’actualité de parlementaire, que la traduction concrète des dernières lois de financement et des réformes dont elles constituent la mise en musique, c’est la hausse de la CSG, qui touche des millions de Français de diverses catégories ? Pour les salariés comme pour les retraités, c’est la réduction des remboursements et la forfaitisation prétendument pédagogique, du coût de la médecine de ville au travers du paiement d’un euro par visite. Soit si vous aimez les pourcentages, un déremboursement de 14%. Comment ne pas également souligner que, sur le plan strictement comptable et financier, l’accroissement des difficultés de la protection sociale va de pair avec la montée en puissance des recettes fiscales affectées à son financement ?

Alors que la dette de la sécurité sociale avoisine 33 milliards d’euros, calée à 50 milliards d’euros si l’on englobe les années 2005 et 2006, les dispositions diverses de trésoreries s’inscrivent dans ce schéma. Elles se bornent à un renforcement de la répression - glissement de compétence, en matière de recouvrement, de l’ACOSS vers les URSAFF - et à une intransigeance dans les contentieux. A quoi il faut ajouter un renforcement des pouvoirs de contrôle sur les assurés sociaux bénéficiant de prestations dans les établissements de santé, au moyen d’une redéfinition pratique du rôle des caisses nationales de sécurité sociale, telle que l’a envisagé le projet de loi de réforme de l’assurance maladie.

Il n’y a donc pas là de quoi se réjouir et féliciter un système d’une obscure complexité, qui s’est construit dans le mépris des principes démocratiques pourtant au cœur de la sécurité sociale, et qui n’arrive en rien à endiguer le déficit de notre protection sociale.

Car depuis 9 ans, les critiques formulées à l’encontre des LFSS on été nombreuses.
Ainsi, à cause de ce système, la consultation des caisses nationale de sécurité sociale est devenue purement formelle : les critiques et les propositions des conseils d’administration ne sont plus jamais pris en compte.
Par ailleurs, les prévisions faites par les LFSS sont souvent irréalistes, et ne sont pas étayées par des éléments précis. Nous en donnerons deux exemples, lors du PLFSS 2003, la prévision de croissance du PIB était mensongèrement annoncé à 2,5% alors que le « consensus des économistes » était alors de 1,3% (on sait désormais que la croissance a finalement été quasi nulle) ; ou encore lors de l’élaboration du PLFSS 2005, la prévision d’ONDAM de 3,2% n’a été étayée par aucun élément précis concernant les effets de la loi du 13 août 2003.

La transparence des comptes n’existe que dans les discours. Si la commission des comptes de septembre de chaque année fournit des comptes prévisionnels par branche à législation constante, il est actuellement impossible de disposer de comptes prévisionnels intégrant les dispositions de la loi de financement de la sécurité sociale votée par le parlement.
La situation des fonds de financement n’est pas traitée. On a vu ainsi, notamment à la suite des modifications de la clé de répartition de la CSG, le fonds de solidarité vieillesse passer d’une situation d’excédent à un actif net négatif, sans que la question de son équilibre financier ne soit jamais traitée...

Ces nombreuses critiques ne sont que le reflet de problèmes plus fondamentaux sur lesquels ce projet de loi reste silencieux : l’absence de réelle politique publique de la santé et l’absence de démocratie sociale. Or il ne faut pas rechercher dans ce projet de loi - qui affiche, je cite « donner plus de cohérence, de crédibilité et de sens aux lois de financement de la sécurité sociale » - une quelconque réponse à ces problèmes.

Ainsi ce projet de loi inscrit la nécessité aux PLFSS à venir de s’adapter aux « cycles économiques ». Cela en dit long sur la politique de santé que compte mener le gouvernement. Permettez moi de vous citer l’expert en politiques publiques Bruno Palier qui résume justement les enjeux de ce type de réforme : « La prise en compte des débats internationaux montre par ailleurs que les réformes actuelles, marquées par le développement des mécanismes marchands au sein des systèmes de santé, ne sont pas seulement dictées par les conséquences des évolutions technologiques (...) et démographiques (...). Elles sont aussi motivées par des préoccupations de politique économique qui visent à mettre les systèmes de santé hérités des Trente Glorieuses keynésiennes en conformité avec les nouvelles politiques macroéconomiques, fondées sur l’orthodoxie budgétaire, la centralité des mécanismes de marché et l’impératif de compétitivité. »

Cela semble assez bien définir l’action du gouvernement qui en guise de politique de santé publique, procède sur le plan comptable et financier, à l’augmentation des prélèvements sur les ménages et la réduction de la quotité des remboursements. Cette politique gestionnaire se concrétise d’ailleurs particulièrement dans la procédure d’alerte mise en place dans le cas ou les dépenses fixées par l’Ondam ont franchis le seuil des 0,75%. L’absurdité de cette volonté de restreindre la dépense publique à tout prix, vient d’ailleurs d’éclater au grand jour.

Ainsi, la communauté hospitalière (la Fédération Hospitalière de France, la fédération des établissements hospitaliers et d’assistance privés, la fédération nationale des centres de lutte contre le cancer, les Conférences de directeurs et de présidents de commission médicale d’établissement de centre hospitaliers et de centre hospitaliers universitaires) s’est servie pour la première fois de cette procédure d’alerte sur les dépenses d’assurance maladie, non pas pour faire rentrer « l’Ondam dans le droit chemin » mais pour alerter l’opinion publique de l’impossibilité de continuer à fonctionner normalement avec un budget aussi misérable. Les organismes hospitaliers expliquent en effet que l’enveloppe dévolue pour 2005 aux hôpitaux en progression de 3,6% par rapport à 2004 met, selon eux, les établissements dans une « situation intenable » dès lors que la progression de leurs besoins a été évaluée à un minimum de 5%

Bref, la logique comptable qui est à l’œuvre ne fait qu’accentuer la rupture progressive du lien entre, d’une part, le lieu de création de richesses, l’entreprise, et, d’autre part, la sécurité sociale ne conduisait in fine à cette dégradation. Une véritable réforme de la protection sociale doit recouvrer, de manière évidente, d’autres caractéristiques.
Du point de vue institutionnel, ce projet de loi entérine une sophistication approfondie du contrôle technocratique accentué par les dernières réformes telles que le renforcement des directeurs d’agences régionales d’hospitalisation, la création de la Haute autorité de santé et in fine de la négation des droits de la représentation nationale, celle-ci n’étant habilitée qu’à observer cette montée en puissance de la technocratie sociale...

Comment ne pas regretter, encore et toujours, que la démocratie sociale soit autant en panne qu’il y’a 20 ans ? Voilà 20 ans que les assurés sociaux eux-mêmes, premiers concernés par le devenir de notre système de sécurité sociale, sont exclus de toute possibilité de dire leur mot, parce qu’on n’a plus, depuis cette date, organisé d’élections aux conseils d’administration des caisses au prétexte que celles-ci étaient irréalisables. Pourtant on organise bien des élections à la MSA qui se déroulent normalement comme l’on prouvé les dernières de janvier 2005. Ce qui est réalisable pour certains serait donc irréalisable pour d’autres ?

A notre sens, une réelle réforme de l’organisation des loi de financement de la sécurité sociale rééquilibrerait les dispositifs de gouvernance au profits des conseils d’administration des caisses nationales de sécurité sociale, en particulier en renforçant leurs prérogatives et en asseyant leur légitimité par le retour à l’élection de ses représentants, c’est-à-dire les représentants des assurés sociaux et des allocataires. Il n’y a nulle trace de telles dispositions dans le présent projet, ou doit on voire alors un « renforcement du rôle des partenaires sociaux » avancé imprudemment par le rapporteur ?

Plus que jamais, notre protection sociale est à la croisée des chemins. Tout ce qui a été fait concourt à dégrader le lien entre la population et le système de protection sociale, noyant ses fondements humanistes et solidaires dans une logique comptable, fortement individualiste, source de nouvelles inégalités dans l’exercice des droits constitutionnels à la santé, à la protection de l’enfance et de la famille, à celle des personnes âgées. Plusieurs propositions qui, si elles étaient adoptées, changeraient fortement la donne et feraient reculer la logique d’étatisation en marche depuis trop longtemps.

Ainsi, la loi organique devrait prévoir une négociation interprofessionnelle obligatoire entre les organisations syndicales et patronales portant sur le financement de la sécurité sociale, concernant à la fois sur la structure et sur les taux de prélèvement affectés à la sécurité sociale et aux fonds de financement. La co-élaboration des lois de financement de la sécurité sociale serait en effet un gage de démocratie sociale. Or, vu le rôle qui a été assigné aux conseils d’administrations des différentes caisses - désormais conseils d’orientation - on est loin du compte.

S’agissant des ressources de la protection sociale, cette réforme du financement de la sécurité sociale devrait sortir de manière déterminée des politiques de fiscalisation des ressources aujourd’hui largement développées et dont le « pendant » est in fine l’abaissement des garanties collectives.
C’est en ce sens qu’il est grand temps de penser à une réforme du financement de la protection sociale tendant notamment à la modulation des cotisations perçues à partir de l’entreprise et favorisant la création d’emplois et de richesses au détriment des stratégies fondées sur la recherche de la rentabilité financière de court terme, dont les dégâts sociaux sont à l’origine d’une bonne part des recettes insuffisantes de notre protection sociale. C’est l’explosion de la précarité et du nombre de travailleurs pauvres ! En cette période de relative incertitude économique, la qualité de notre système de sécurité sociale est déterminante pour renforcer et consolider le lien social, prévenir les exclusions et assurer, pour chacun, le plein exercice de ses droits.

C’est de tels paramètres qu’une réforme des lois de financement de la sécurité sociale devraient prendre en compte et non pas uniquement des impératifs comptables et budgétaires. En l’absence d’une telle réflexion et pour ces raisons, nous estimons qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur ce projet de loi

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