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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Lutte contre les discriminations

Par / 9 avril 2008

Ce projet de loi aurait pu fournir l’occasion d’un grand moment pour notre pays, que nous aurions pu doter d’outils juridiques performants au service des milliers de nos concitoyennes et concitoyens victimes de discriminations diverses mais toujours douloureuses. Chaque jour, des dizaines d’entre eux ou d’entre elles se voient refuser un poste en raison de leurs origines, des dizaines peinent à se loger faute d’avoir le bon nom de famille ou se voient refuser l’accès à des lieux de festivité en raison de leur couleur de peau. Des centaines de nos concitoyens ne peuvent progresser dans l’entreprise à cause de leur engagement syndical. Tant d’autres s’entendent dire que l’expérience acquise au cours des quinze dernières années est incompatible avec le poste proposé ! Et combien ne peuvent obtenir un prêt en raison de leur état de santé, combien ne sont pas embauchées car elles sont des femmes, ou à des salaires inférieurs, après des questions relatives aux projets de maternité ?

Ce débat aurait pu fournir l’occasion d’un bilan des textes existants. En matière d’emploi, les inégalités persistent, qui devraient inciter le Gouvernement à mieux appliquer les dispositions en vigueur. C’est d’ailleurs l’une des recommandations de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes.

La liste des discriminations est longue, d’autant plus que l’État y participe. Je pense notamment à la non équivalence de certains diplômes de médecine, dénoncée par la Halde, mais que votre Gouvernement a refusé de lever lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008. Je pense aussi au droit de vote des résidents extracommunautaires régulièrement installés en France, toujours exclus du processus démocratique. Ils participent à la vie de la société civile, mais perdent leur droit lorsqu’il s’agit de choisir un exécutif local. Pourtant, un candidat à l’élection présidentielle s’est déclaré favorable à leur vote. Bien qu’il ait affirmé : « je dis ce que je fais et je fais ce que je dis », il a oublié cette promesse une fois élu !

Ce que je viens de décrire ne provient pas de mon imagination, mais d’une enquête réalisée en France sous l’égide du Bureau international du travail et de la Direction de l’animation, de la recherche et des études statistiques (Dares) entre fin 2005 et mi-2006. Remise en mars 2007, elle nous apprend que : « près de quatre fois sur cinq, un candidat à l’embauche d’origine hexagonale ancienne sera préféré à un candidat d’origine maghrébine ou noir ». On peut regretter que les recommandations de la Halde et du Bureau international du travail, consécutives à cette étude, n’aient pas toutes été suivies par le Gouvernement.

En 2006, la Halde a reçu 4 000 réclamations, un nombre impressionnant mais qui sous-estime la réalité. Comment pourrait-il en être autrement, quand l’existence de cette autorité est largement méconnue, quand ses missions et ses moyens ne lui permettent pas de satisfaire les attentes ? Selon son rapport pour 2006, 35 % des réclamations étaient liés à l’origine, 16 % à l’état de santé, 6 % à l’âge, 5 % au sexe et 3 % à l’activité syndicale des intéressés. Le champ des discriminations est donc vaste. Il est également évolutif, avec l’émergence de nouvelles formes ou l’accroissement, par exemple, du harcèlement au travail. Cette évolution a été notée par M. Schweitzer, président de la Halde, qui a souligné « l’importance des réclamations portant » sur ce harcèlement, qu’il provienne de l’employeur ou des collègues. Votre texte reste muet quant aux recommandations de la Halde sur ce sujet !

Puisque les discriminations évoluent, notre législation doit en faire autant. Tel n’est manifestement pas le cas. Les sanctions de la Commission européenne sont là pour nous le rappeler, avec deux mises en demeure, un avis motivé, puis un ultimatum. Dans son rapport, Mme Dini a noté : « le texte vise donc avant tout, de l’aveu même du Gouvernement, à mettre la France à l’abri de ces procédures judiciaires ». L’objectif n’est pas contestable, mais il ne saurait être légitimement le seul. Votre transposition minimaliste manque d’ambition, car ce texte n’est que la conséquence de l’ultimatum européen. En commission, Mme Létard a dit que la transposition devait éviter de nouvelles sanctions contre la France, alors qu’elle prend la présidence de l’Union européenne. Bref, il faut sauvegarder les apparences. Peu importent les huit ans de retard, ce qui compte, c’est d’être prêt le jour J, lorsque tous les regards seront braqués sur notre pays ! Peu importe alors que ni les associations, ni les organisations syndicales n’aient été consultées, alors que leurs représentants auraient pu apporter aux rédacteurs du texte un peu du vécu des milliers de nos concitoyennes et concitoyens pour qui la discrimination est une souffrance quotidienne. Peu importe si cette transposition se superpose aux textes existants, alors que la délégation aux droits des femmes et à l’égalité entre les hommes et les femmes déplore que ce dispositif ajoute à la complexité juridique, dans un domaine où il est pourtant indispensable qu’il soit compris par les justiciables.

La délégation invite le Gouvernement à mieux harmoniser les critères de discrimination utilisés en droit français, qu’ils soient ou non issus des règles européennes. Je partage l’opinion de Mme Hummel : la solution retenue par le Gouvernement est sans doute la plus rapide et la plus prudente, mais il reste à rendre la lutte contre les discriminations plus accessible et plus compréhensible par les victimes.

Que la cause en soit l’urgence ou le manque de concertation, le Gouvernement se contente d’une transposition a minima, bien qu’elle ne soit pas systématiquement rigoureuse. Ainsi, la définition européenne du harcèlement sexuel n’est pas intégralement reprise, ce que je regrette.

Les gouvernements disposent d’une certaine latitude, puisque l’article 6 précise : « Les États membres peuvent adopter ou maintenir des dispositions plus favorables à la protection du principe de l’égalité de traitement que celles prévues dans la présente directive ». De plus, vous disposiez de quelques mois : vous auriez donc pu enrichir votre texte, par exemple pour conforter la Halde, étoffer ses missions, accroître ses ressources ou établir des représentations régionales. A ce propos, je déplore la censure de la commission des finances sur mon amendement tendant à créer des délégations régionales de la Halde : je ne pourrai pas le défendre tout à l’heure. On ne trouve rien non plus sur l’égalité professionnelle, malgré l’accablant rapport récemment publié par le Conseil économique et social, où il apparaît que les femmes demeurent moins bien payées que les hommes, qu’elles occupent des postes plus flexibles et plus précaires.

Je regrette que vous ayez utilisé le mot « race », qui laisse supposer l’existence de races, cette idée au nom de laquelle tant de crimes ont déjà été commis.

En l’état, ce texte ne résoudra pas les difficultés que rencontrent nos concitoyens. Il sera d’autant moins efficace que votre majorité a réduit de trente à cinq ans les délais de la prescription civile. J’ai entendu les propos de M. Hyest à ce sujet, mais le délai de cinq ans est trop bref. « Ce que je donne d’une main, je le reprends de l’autre », a fortiori lorsque l’article premier hiérarchise de fait les discriminations.

Pour que ce projet de loi soit créateur de droits, le groupe CRC a déposé un certain nombre d’amendements. Notre position finale sera déterminée par le sort que vous leur réserverez.

EXPLICATION DE VOTE

Ce projet de loi ne sera pas, je le crains, à la hauteur des attentes et des enjeux. Nous aurions aimé voter une loi ambitieuse, claire et utile à ceux qui sont susceptibles de l’invoquer devant nos juridictions. A ce sujet, je suis d’accord avec Mme Gauthier lorsqu’elle évoque la nécessaire remise à plat de nos législations, afin d’offrir une plus grande stabilité juridique à nos concitoyens, avec une définition unique, dans nos différents codes : code du travail, code civil et code pénal. Notre groupe a déposé des amendements en ce sens, visant à codifier ces dispositions. Vous les avez malheureusement écartés, nous condamnant à en débattre ultérieurement. Vous ignorez ainsi une des leçons de cette morale que vous voulez remettre en vigueur dans notre enseignement et d’après laquelle il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même.

Monsieur Hyest a dit, ne pas comprendre pourquoi la Commission avait condamnée la France. Si la France a été condamnée, c’est que les objectifs visés par la directive n’ont pas été atteints. ll manquait par exemple l’assimilation du harcèlement à de la discrimination, et l’assimilation de l’injonction de discriminer à une discrimination. Et je crains fort que la transposition actuelle ne soit toujours pas suffisante : vous avez refusé les amendements intégrant dans notre droit interne les deux définitions de harcèlement préférant en faire une définition unique. Dans la définition du harcèlement, le recours au verbe « subir » en lieu et place de « survenir » n’est pas satisfaisant. Si le verbe « subir » est adéquat pour la discrimination sexuelle, il ne permet pas de traduire le harcèlement sexiste, qui est plus le fait d’une ambiance que d’une personne. Le verbe « survenir » aurait été préférable. Le recours à deux définitions par les directives dont l’une utilise le verbe « subir » et l’autre le verbe « survenir » était donc plus adéquat que la fusion que vous avez opérée.

Je regrette aussi que vous ayez persisté à recourir au mot « race » qu’aucun argument politique ni scientifique ne justifie. Et quand bien même, notre droit doit dire des vérités que la science ne dit pas.

Enfin, je regrette encore que ce projet de loi poursuive dans la triste et dangereuse hiérarchisation qui n’aura pour effet que d’amoindrir le niveau de protection de nos concitoyens, en différenciant leurs droits. Et je ne parle même pas des discriminations que vous avez préféré balayer d’un geste de la main. Cette hiérarchisation créera davantage d’instabilité et d’iniquité dans les décisions, quand justement l’objectif des directives était d’offrir un outil utile. Notre devoir de parlementaire est de légiférer en pensant d’abord à ceux à qui la loi pourrait servir. Il ne s’agit donc pas de faire une loi pour éviter à la France d’être condamnée dans un recours contre elle devant la CJCE, mais pour que cette loi protège les faibles contre les forts et l’intérêt collectif contre les intérêts privés.

Et ce qui paraissait au début comme de la précipitation dans la rédaction, témoigne en fait d’une volonté politique réelle. La Halde à été saisie pour avis en novembre 2007, et vous avez ignoré certaines de ses recommandations, qui restent toujours lettre morte. Mon groupe a déposé des amendements visant à renforcer cette Haute autorité ; vous ne les avez pas retenus. Il ne s’agit donc pas de précipitation, mais d’une réelle volonté politique. Vous voulez vider les directives de certaines dispositions. Non que vous ne vouliez pas lutter contre les discriminations, mais votre conception des discriminations n’est visiblement pas la nôtre. Je pense au refus de prendre en compte l’état de santé et les handicaps, pour ne pas remettre en cause certaines pratiques, particulièrement dans l’accès aux services bancaires et assurantiels. Je pense encore avec colère à votre conception de l’école qui ne doit pas, selon vous, former à la mixité et apprendre à vivre ensemble. Je crois également que les employeurs se réjouiront de cette transposition a minima, qui ajoute des définitions à des définitions, sans cohésion et sans instruments coercitifs supplémentaires : je pense par exemple au renforcement des missions de la Halde, à la création d’un délit d’entrave. Je regrette d’ailleurs que l’un de nos amendements visant à instaurer une délégation de la Halde dans chaque région ait été rejeté sur le fondement de l’article 40. Il s’agissait pourtant là d’une proposition de bon sens, visant à satisfaire les promesses du gouvernement précédent qui s’était, par la voix de Mme Nelly Olin, engagé à créer 26 délégations régionales. Nous les attendons toujours.

Mon groupe m’a mandatée pour un vote d’abstention mais, personnellement, je serais presque tentée de voter contre ce texte.

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