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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Médiateur des enfants

Par / 9 novembre 1999

par Odette Terrade et Guy Fischer

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il nous est proposé aujourd’hui d’approuver une proposition de loi adoptée il y a maintenant un an par l’Assemblée nationale. Reprenant une suggestion de la commission parlementaire relative à la situation des droits de l’enfant en France, cette proposition de loi vise à créer un médiateur des enfants.

Calquée sur le modèle du médiateur de la République, cette institution aura pour mission de défendre et de faire prospérer les droits de l’enfant, en particulier à l’égard des administrations.

Mes collègues du groupe communiste républicain et citoyen et moi-même, nous approuvons sans réserve une telle démarche, qui va dans le sens des évolutions contemporaines en faveur des droits des enfants. Ces évolutions délaissent, fort heureusement, de plus en plus l’image de l’enfant
" objet de droits " au profit d’une appréhension plus positive et plus dynamique de l’enfant a " sujet de droits ".

L’enfant est aujourd’hui à la fois un
" sujet de protection ", pour reprendre le terme de la sociologue Irène Théry, mais aussi un " citoyen en devenir " auquel il convient de donner les moyens d’être acteur de son autonomisation.

Cette double perception de l’enfant trouve son expression dans les modifications législatives de la dernière décennie. Ces nouvelles dispositions ont en effet progressivement consacré la possibilité pour l’enfant de faire entendre sa voix dans les procédures le concernant, qu’il s’agisse de l’autorité parentale, avec la loi de juillet 1987, du placement en détention provisoire, avec les lois de juillet 1987 et de 1989, ou de l’enregistrement télévisuel du témoignage d’un enfant abusé sexuellement, avec la loi de juin 1998. Nous espérons que cette évolution se poursuivra.

Le rapport de Mme Dekeuwer-Defossez sur la rénovation du droit de la famille ouvre sur ce point de nouvelles perspectives, en suggérant notamment que l’enfant soit, par principe, entendu dans les procédures de divorce. Nous espérons que la prochaine refonte du droit de la famille amplifiera ce mouvement et consacrera une meilleure prise en compte des intérêts de l’enfant.

La Convention internationale des droits de l’enfant, signée à New York le 20 novembre 1989, a marqué de façon forte le début de la prise en compte législative de cette nouvelle perception de l’" enfant citoyen ".

A l’occasion du dixième anniversaire de cette convention, nous pouvons revenir sur les objectifs annoncés, mais aussi sur les efforts qui restent encore à faire pour les atteindre. En effet, la conquête des droits de l’enfant, y compris en France, est loin d’être achevée.

Nous pouvons ainsi constater que les réalités de la vie ne correspondent pas toujours aux droits proclamés. On peut bien entendu citer la maltraitance dont souffrent des milliers d’enfants et le triste record que détient la France pour les suicides des jeunes. Mais force est également de constater que l’égalité des chances devant le système éducatif reste fréquemment théorique, qu’un tiers des enfants ne part jamais en vacances et que tous n’ont pas un accès satisfaisant aux services de soins.

La misère économique, on le sait, laisse de nombreux enfants à la lisière de la société et de l’accès aux droits. S’agissant plus précisément de la médecine scolaire, comme vous le savez peut-être, les médecins scolaires sont aujourd’hui en grève pour réclamer des postes supplémentaires. Comment peut-on fêter en grande pompe la convention des droits de l’enfant et accepter parallèlement qu’il n’y ait seulement qu’un médecin scolaire pour 7 000 élèves ?

Par ailleurs, il convient de noter que la proposition de créer une institution indépendante chargée des droits de l’enfant a la faveur d’une large majorité des Français. Ainsi, selon un sondage UNICEF-Le Monde, publié ce week-end, que vous avez cité, madame la ministre,
91 % des adultes sont favorables à la création d’une telle institution qui serait susceptible de suggérer des modifications législatives en faveur des jeunes.

Deux questions se posent cependant quant à la création d’un médiateur des enfants.

En premier lieu, on peut se demander en quoi la médiation institutionnelle peut contribuer à concrétiser et pérenniser les principes énoncés dans la convention internationale des droits de l’enfant.

Ce mode alternatif de règlement des conflits n’est certes pas familier à notre tradition juridique. Néanmoins, la France s’y est ralliée de bon coeur, d’abord dans les relations entre l’administration et les administrés et, plus récemment, dans le domaine pénal ou social.

Dans le domaine des droits de l’enfant, il me semble que la médiation a un rôle particulier à jouer.

D’abord, au regard de son objet même,
" mettre d’accord, concilier, voire réconcilier des personnes ", la médiation contribue à " pacifier " les relations sociales. Cette dimension nous apparaît essentielle, comme le soulignait mon collègue M. Bernard Birsinger à l’Assemblée nationale. Les enfants pourront ainsi faire " l’apprentissage d’une dimension importante de la citoyenneté, le refus de l’arbitraire, le refus d’une violence faite par la collectivité à un individu ou un groupe d’individus " par des voies autres que conflictuelles.

Ensuite, le médiateur peut être un bon vecteur de changement des mentalités. L’une des missions qui lui incombera sera en effet d’assurer la promotion des droits de l’enfant et d’organiser des actions d’information.

Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que certains pays européens se sont déjà dotés de cette institution afin d’assurer une meilleure défense des droits de l’enfant.

Dans cet esprit, nous étions invités par le Conseil de l’Europe à adopter une telle démarche. La résolution n° 1121 en date du 1er février 1990 incitait en effet les Etats membres à " nommer un médiateur spécial pour les enfants, qui pourrait les informer de leurs droits, les conseiller, intervenir et éventuellement ester en justice des poursuites en leur nom ". La proposition de créer une institution chargée spécifiquement des droits de l’enfant semblait ainsi recueillir la plus grande unanimité.
Pourtant, dès lors qu’il s’est agi de la
" mettre en musique ", des divergences profondes sont apparues, de même que des interrogations sur l’opportunité de mettre en place une médiation spécifique aux enfants.

En fin de compte, deux conceptions radicalement différentes dans leur principe et leurs conclusions s’affrontent. Elles ne sont que la reprise d’un débat de fond qui s’était déjà exprimé lors de la signature de la convention, en 1989.

Pour les uns, la question des droits de l’enfant ne doit pas être séparée " du tout " que constitue celle des droits de l’homme. Les droits des enfants ne sont qu’un des aspects des droits de l’homme et ils ne doivent pas faire l’objet d’un traitement spécifique.

Telle est la position de la commission des lois du Sénat, qui se réclame de la commission consultative des droits de l’homme. Tout en affichant une adhésion au principe du médiateur des enfants, la commission nous propose... de ne pas en créer ! L’institution qu’elle vise n’aurait de médiateur des enfants que le nom, puisque, organiquement rattachée au médiateur de la République, elle n’aurait pas d’autonomie propre.

Pour les autres, dont nous sommes, la question des droits de l’enfant relève d’une problématique spécifique. Il convient, pour l’appréhender, de mettre en place une institution spécialement et exclusivement chargée de cette question, un véritable
" porte-parole " des enfants dans lequel ils sont susceptibles de se reconnaître.

C’est à cette condition, croyons-nous, qu’ils pourront se sentir réellement " citoyens " en devenir, car écoutés et relayés. Cette dimension essentielle serait opportunément renforcée par une ouverture de la saisine aux associations créées par et pour les enfants. Nous pensons en particulier aux associations de lycéens et de collégiens. Nous avons d’ailleurs déposé des amendements en ce sens.

Cette approche nous semble confortée par le sondage publié dans Le Monde qui nous montre combien les enfants ont une approche spécifique de leurs droits, différente, en décalage avec celle de leurs parents.

Reste à demander si, comme l’ont soutenu certains, le " défenseur des enfants "
- M. le président Fabius nous suggère de le nommer ainsi pour éviter toute confusion - ne risque pas d’entrer en concurrence avec le médiateur de la République.

D’une part, médiateur des enfants et médiateur de la République opéreront dans des champs d’actions différents : les enfants pour l’un, les adultes pour l’autre ! D’autre part, des passerelles, des modes d’information réciproques ont été prévus pour prévenir des saisines concurrentes. Les médiateurs se communiqueront les réclamations qui entreraient dans le domaine de l’autre. De plus, le médiateur des enfants informera le médiateur de la République des dysfonctions constatées.

Les deux médiateurs ont donc vocation à être complémentaires et non concurrents !

En proposant de rattacher le médiateur des enfants au médiateur de la République, la commission des lois dénature complètement l’esprit du texte. Sous prétexte de " faciliter et hâter sa création ", elle nous propose en réalité de la brader. Vous comprendrez, au vu de ces observations, que les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen se prononceront contre les propositions de la commission. Nous choisissons au contraire de soutenir le texte qui nous est transmis par l’Assemblée nationale.

Je souhaiterais enfin exprimer le voeu que le médiateur des enfants contribue effectivement à une meilleure application de la convention de New York. Cela a été rendu possible grâce à une proposition de M. Bernard Birsinger à l’Assemblée nationale, par une référence directe à ce texte majeur.

La jurisprudence de la Cour de cassation, qui refuse, sans distinction aucune, le caractère auto-exécutoire des dispositions de cette convention, est tout à fait dommageable à l’extension des droits des enfants.

Mme Claire Brisset, membre de l’UNICEF, nous expliquait pourtant, il y a un an, que, grâce à la convention de New York, les enfants sortaient enfin du ghetto où les avaient confinés des siècles de
" minorité ". Nous sommes certainement nombreux à partager ce point de vue.

Avec cette proposition de loi relative au médiateur des enfants, nous avons aujourd’hui, mes chers collègues, la responsabilité de mettre en place un dispositif qui y contribuera, à condition de ne pas le dénaturer comme le propose la commission des lois. C’est en tout cas ce que nos concitoyens attendent.

Explication de vote

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à l’issue de la discussion de la proposition de loi tendant à instituer un médiateur des enfants, nous voudrions, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, exprimer notre grande déception.

Il nous était proposé de créer un porte-parole des enfants en qui ils pourraient se reconnaître, qu’ils pourraient s’approprier réellement : il aurait été " leur " médiateur.

Il leur est refusé par la majorité sénatoriale. Celle-ci a adopté, en effet, la position de la commission qui, en rattachant l’institution au médiateur de la République, lui refuse, en fin de compte, son autonomie : le médiateur des enfants restera un " mineur " sous tutelle, une autorité de second rang, comme nous le disait Mme la ministre tout à l’heure.

Nous le déplorons fortement. L’apprentissage de la citoyenneté et de l’autonomie par les enfants nécessite que l’on entende leur voix en tant que telle, dans sa spécificité, et non au travers du prisme des adultes.

Ma collègue Dinah Derycke rappelait que, si la fonction du médiateur de la République et celle du médiateur des enfants sont comparables, leur nature et le public qu’elles concernent sont fondamentalement différents.

Faute de prendre cette dimension en compte, nous risquons de créer une institution " mort-née ". Le texte a été vidé de sa substance.

Le groupe communiste républicain et citoyen votera contre le texte ainsi modifié par la majorité sénatoriale.

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