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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Modernisation sociale : nouvelle lecture

Par / 26 juin 2001

par Roland Muzeau

Monsieur le président, madame la secrétaire d’Etat, mes chers collègues, à compter de cet après-midi, nous examinons en deuxième lecture le projet de loi de modernisation sociale après son passage à l’Assemblée nationale, où une majorité de députés a oeuvré non seulement pour rétablir l’essentiel des dispositions supprimées ou dénaturées par la majorité sénatoriale, mais également pour améliorer et compléter les mesures contenues dans le titre II, lequel concerne notamment la prévention des licenciements économiques.

Dès la première lecture au Sénat, au regard des annonces concomitantes de plans de licenciements dits « sociaux » par de grandes entreprises françaises - pourtant saines, mais appliquant froidement les décisions stratégiques de leur groupe attaché à l’axiome selon lequel les marchés exigent une rentabilité minimale des capitaux investis de 15 % -, de fermetures de sites, de licenciements prononcés sans renfort médiatique et sans accompagnement social dans les moyennes et petites entreprises, les parlementaires communistes avaient abordé le débat avec des intentions combatives, des exigences plus fortes pour assigner à la loi d’autres objectifs.

Contrairement à la droite, qui s’emploie à relayer, une fois encore, les propos et les convictions libérales du MEDEF, partisane de la soft Paw, nous pensons que le recours à la loi est opportun et nécessaire. Les experts et consultants auprès des comités d’entreprises « constatent chaque jour combien la loi est inadaptée au fonctionnement actuel de l’économie et incapable de protéger les salariés contre l’emballement actuel des licenciements ».

Je fais miens les propos tenus dans Le Monde par Patrick Caspar, président du cabinet d’expertise comptable Anadex, et par Claude Jacquin, Charles Michaloux et Jean-Philippe Sennac, respectivement directeur général adjoint, P-DG et directeur du groupe Aprime, dénonçant « les restructurations injustifiées, erronées ou surdimensionnées et l’inégalité, voire l’absence de couverture du plan social, véritable sinistre social ».

Pourquoi le législateur, garant tout de même de l’intérêt général, devrait-il se contenter, lorsqu’il intervient, de prendre en compte les seules exigences d’adaptation des entreprises alors même que les salariés aspirent légitimement, surtout quand il en va du devenir de leur emploi, à disposer d’un certain nombre de garanties, de droits d’intervention pour discuter des choix de l’entreprise, être en mesure de s’y opposer, de les contester ?

Avant tout, ce que veulent les salariés de Lu, de Danone, de Marks & Spencer, de Pechiney, de Motorala, d’AOM, de Delpny, de Philips, de Bull, de la Verrerie de Givors, du groupe Devanlay Lacoste, que nous avons rencontrés, c’est pouvoir véritablement influencer, et pas seulement à la marge, les décisions unilatérales des chefs d’entreprises, des actionnaires.

C’est aussi et surtout qu’enfin on arrête de considérer les salariés qui, pourtant, sont une richesse, comme une simple variable d’ajustement dans une économie capitaliste mondialisée, où le poids des actionnaires, les volontés des marchés financiers l’emportent.

Nos concitoyens, largement solidaires de la révolte des salariés sous le coup de licenciements injustifiés - les manifestations de Calais, de Paris en témoignent - rejettent cet état de fait présenté comme inéluctable et, tout naturellement, se sont tournés vers le politique, attendant de lui des réponses fortes sans que pour autant les entreprises puissent s’exonérer de leurs responsabilités.

Les résultats du sondage réalisé par l’institut BVA pour le journal l’Humanité sont éloquents.

Pour 76 % des Français, licenciements et profits sont incompatibles ; les pratiques érigeant la création de valeur en objectif unique doivent être combattues.

Henri Sterdyniak, économiste à l’observatoire français des conjonctures économiques, signataire de l’appel à manifester à Paris le 9 juin dernier, résume très bien la problématique.

Je le cite : « Les actionnaires engrangent des rendements fabuleux quand ça va bien. Mais, dans le cas contraire, ils refusent d’assumer les dégâts sociaux. Les salariés supportent tous les coûts de la guerre économique. [...] Toute la collectivité subit les conséquences de ce coût humain, alors que l’entreprise peut y être totalement indifférente. L’ensemble de ce coût assumé aujourd’hui par l’Etat, le travailleur ou la collectivité territoriale doit être supporté par l’entreprise et les actionnaires. Il est donc normal de faire pression sur les entreprises par la loi. »

Considérant que la réponse apportée par le Gouvernement à travers les amendements présentés à l’Assemblée nationale en deuxième lecture n’étaient pas à la hauteur des enjeux, se contentant de renchérir le coût des licenciements, de les accompagner en se concentrant sur le traitement social des restructurations envisagées, le parti communiste a été à l’initiative d’un report du vote sur l’ensemble du texte.

Les quinze jours ont été mis à profit pour réfléchir, consulter et s’accorder sur le degré de l’évolution envisagée pour notre droit positif en matière de licenciements économiques abusifs.

Lors d’une seconde délibération, l’adoption de nouveaux amendements gouvernementaux sous-amendés par les députés communistes a permis au texte de bouger.

Les garanties nouvelles ainsi apportées sont autant de points d’appui pour les salariés et les organisations syndicales pour agir, proposer des solutions alternatives, contester les choix.

La première modification importante porte sur la définition des licenciements économiques.

A quelques mots près, la nouvelle définition reprend un amendement soutenu en première lecture par le groupe communiste républicain et citoyen au sein de la Haute Assemblée.

Jusqu’à présent, aux termes de la rédaction précédente, un licenciement économique pouvait résulter « notamment de difficultés économiques ou de mutations économiques » ; l’adverbe « notamment » permettait aux entreprises de rentrer sans mal dans le cadre législatif, alors même que le licenciement était justifié par la seule exigence des actionnaires d’une plus confortable rentabilité.

Désormais, les causes sont au nombre de trois : « des difficultés économiques sérieuses n’ayant pu être surmontées par tout autre moyen », « des mutations technologiques mettant en cause la pérennité de l’entreprise », « des nécessités de réorganisation indispensables à la sauvegarde de l’activité de l’entreprise » et non de la sauvegarde de la compétitivité telle qu’entendue actuellement par le juge.

Autre évolution marquante : non seulement le comité d’entreprise pourra formuler, dans le cadre de la procédure de consultation prévue au titre IV du code du travail concernant le projet de restructuration, des propositions alternatives, mais il pourra aussi saisir un médiateur tiers à l’entreprise en cas de divergence importante et, de surcroît, il pourra exercer un droit d’opposition pour suspendre le projet de restructuration, qui peut d’ailleurs être l’objet d’un recours devant le juge des référés.

Même si elles sont limitées, nous apprécions positivement les réponses apportées, qui ont fait l’objet, notamment de la part de la droite et du MEDEF, d’un virulent rejet.

Pour autant, nous n’entendons pas nous laisser aller à un quelconque triomphalisme, surtout lorsque l’on sait que, sur les 200 000 entrées à l’ANPE par an pour licenciement économique, seules 15 % d’entre elles résultent d’un plan social !

C’est pourquoi, madame la secrétaire d’Etat, nous serons très attentifs aux suites concrètes qui seront données aux annonces qui ont été faites pour « aller plus loin encore dans la démocratie sociale ».

Il convient, en effet, d’ouvrir la réflexion sur la place des salariés dans les entreprises, leur représentation dans les organes de direction, mais également, sur le renforcement des représentants des salariés dans l’entreprise, l’implantation d’organes consultatifs et les règles de la négociation collective.

Conscients des limites des dispositions anti-licenciements, nous en apprécions cenpendant toute la portée.

Et si les articles 29 A à 34 bis du présent projet de loi étaient vides de sens, dénués de toute portée juridique, pourquoi avoir, messieurs, développé autant d’énergie pour faire barrage à leur discussion ?

Vous n’allez pas jusqu’à reprendre à votre compte les arguments développés tant par les députés de droite que par le MEDEF, qui considèrent les dispositions incriminées comme trop lourdes, compliquant à outrance la vie de l’entreprise, freinant l’embauche, bien qu’en première lecture vous ayez rejeté pour les mêmes motifs, des dispositions beaucoup moins normatives.

Vous en appelez, aujourd’hui, à la nécessaire consultation des syndicats et des partenaires sociaux.

Cette soudaine sollicitude ne trompe personne.

Cela fait plus d’une semaine que vous manoeuvrez pour que le Sénat n’examine pas ces dispositions, qui, contrairement à ce qui est avancé, ne se contentent pas uniquement de reprendre la jurisprudence existante, mais « réduisent sérieusement les marges de manoeuvre des entreprises ». Je me contente, en l’occurrence, de reprendre le titre d’un article paru le 14 juin dans Les Echos.

Après les vaines tentatives du groupe du RPR, en conférence des présidents, pour reporter l’inscription de ce projet de loi à l’ordre du jour, la commission des affaires sociales a fait savoir que les dispositions incriminées devaient faire l’objet d’une étude plus approfondie, et leur examen a été renvoyé au mois d’octobre.

Alors que les salariés attendent une application rapide de la loi de modernisation sociale, vous usez d’artifices pour empêcher l’adoption des dispositions relatives aux licenciements, dispositions insupportables à vos yeux, l’« ordre économique exigeant un droit infiniment plus simple », disait un député de l’opposition à l’Assemblée nationale.

Nous déplorons cette situation, qui nous conduit à débattre d’un texte amputé de ses articles 29A à 34 bis, que nous jugions essentiels.

Pour autant, le projet de loi de modernisation sociale ne se réduisant pas à ce seul volet « licenciements », nous participerons de manière active à l’examen des autres dispositions, facteur, elles aussi, de progrès social.

Concernant tout d’abord la réponse juridique apportée au problème du harcèlement moral au travail, je me réjouis des apports de l’Assemblée nationale, qui permettent de définir cette notion, de réaffirmer la nécessité d’exécuter le contrat de travail de bonne foi et la responsabilité du chef d’entreprise pour prévenir de tels actes répréhensibles.

Les solutions proposées, largement inspirées des textes réprimant le harcèlement sexuel, sont de nature à prévenir de tels agissements grâce à l’intervention des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, des inspecteurs du travail et, dans les cas les plus graves, à les réprimer.

Sur le point particulier de la sanction pénale, dont nous défendons le principe, je crains, comme le note M. le rapporteur, qu’un « clivage fort » ne puisse être dépassé.

Sur d’autres volets du texte, la limitation de l’emploi précaire notamment, je crains également que nous ne puissions nous entendre. Contrairement à vous, nous ne pouvons nous satisfaire de voir les CDD et l’intérim exploser, alors que la croissance, riche en emplois, ne permet pas de faire progresser les emplois stables, à durée indéterminée et à temps plein.

Pour manifester notre volontarisme en ce domaine, sans reprendre l’ensemble des amendements soutenus en première lecture pour lutter contre les recours abusifs à ces emplois, nous défendrons un amendement visant à mieux définir la notion de surcoût d’activité.

Concernant le volet formation professionnelle, comme le note très justement notre rapporteur, Mme Bocandé, « une divergence majeure sépare encore les deux assemblées sur le dispositif de validation » des acquis de l’expérience. Pour notre part, nous tenons à l’esprit des dispositions gouvernementales, nous refusons les qualifications ou les certifications « maison ».

S’agissant des retraités, des personnes âgées ou des personnes handicapées, plusieurs dispositions que nous avons portées sont à noter.

Je me félicite de l’abrogation de la loi Thomas sur les fonds de pension, bien évidemment, de l’amélioration du statut d’accueillants familiaux et de la prise en charge par l’Etat et par l’employeur des accessoires nécessaires aux travailleurs handicapés en ateliers protégés.

En revanche, je déplore que l’Assemblée nationale soit revenue sur le principe de l’abandon du recours sur succession après versement de l’allocation compensatrice de tierce personne en cas de retour à meilleurs fortune des personnes handicapées. Nous interviendrons pour rétablir une certaine égalité de traitement entre les bénéficiaires de l’APA et ceux de l’allocation compensatrice.

Si le projet de loi améliore sensiblement notre système de santé, nous demeurons, madame le secrétaire d’Etat, fortement préoccupés par la situation des hôpitaux.

Les personnels hospitaliers s’inquiètent actuellement des conditions dans lesquelles seront mises en place les 35 heures.

Vous vous êtes engagés à créer des postes, ce qui est nécessaire si, effectivement, nous cherchons à améliorer la qualité du service public.

Pouvez-vous également vous engager à prendre en compte la spécificité du travail hospitalier pour que le passage aux 35 heures ne s’accompagne pas de pertes d’acquis en termes, notamment, de repos, de décompte du temps de travail, ou d’un accroissement insupportable de la charge de travail des agents ?

J’ai récemment attiré votre attention sur la situation dramatique des services des urgences dans les Hauts-de-Seine.

Les demandes des personnels en grève dénonçant des conditions d’accueil déplorables des patients et la suppression de lits sont identiques sur l’ensemble du territoire. Ils réclament avant tout des effectifs supplémentaires paramédicaux et médicaux et, en fait, une meilleure reconnaissance des emplois publics.

Quelles réponses êtes-vous en mesure d’apporter ?

Un sondage récent réalisé par IPSOS, à la demande d’un collectif regroupant vingt-quatre associations de malades, de personnes handicapées, d’usagers, témoigne du souci des Français de voir enfin aboutir le projet de loi de modernisation du système de santé.

Nous avons refusé de valider les amendements tirés de la proposition de loi de M. Huriet visant à indemniser les victimes d’aléas thérapeutiques, au motif que cette question devait être abordée de manière plus globale à l’occasion de la réforme du système de santé, mais également parce que le problème de l’indemnisation des personnes affectées par le virus de l’hépatite C n’était pas traité.

Madame la secrétaire d’Etat, pouvez-vous nous donner des dates et l’assurance que ce projet de loi sera effectivement examiné dès la rentrée par l’Assemblée nationale ?

Alors que des traitements existent aujourd’hui pour l’hépatite C, pourquoi ne pas s’engager dans la voie d’un dépistage massif ?

En deuxième lecture, le groupe communiste républicain et citoyen a déposé sur l’ensemble du projet de loi une dizaine d’amendements. Je n’en dresserai pas la liste.

Pour terminer, je me contenterai de souhaiter que certaines propositions, notamment celles qui concernent les techniciens de laboratoires hospitaliers, les conducteurs ambulanciers et la médecine du travail, reçoivent un écho favorable de la part du Gouvernement. Mes collègues ne manqueront pas d’intervenir sur ces sujets au cours de la discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)

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