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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Réduction négociée du temps de travail

Par / 2 novembre 1999

par Guy Fischer et Nicole Borvo

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dix-huit mois après l’entrée en vigueur de la loi du 13 juin 1998 qui a permis de relancer le processus séculaire et continu de la réduction du temps de travail, nous engageons à nouveau le débat sur un projet phare de la gauche plurielle visant à généraliser et à mettre en oeuvre, à compter du 1er janvier 2000, l’abaissement effectif à 35 heures par semaine de la durée légale du travail.

Depuis des années, le mouvement syndical, les salariés étaient porteurs d’une telle revendication.
Conçue non seulement comme un moyen efficace de lutter contre le chômage, la réduction du temps de travail doit être aussi et avant tout un facteur d’amélioration des conditions de travail, de bien-être, de meilleure maîtrise du temps. Certains, résolument hostiles par principe à cette idée novatrice pour l’évolution de notre société, considèrent que la réduction du temps de travail est " en train de développer dans le pays la culture de la paresse " ! Je n’invente rien, ces propos ayant été tenus par un député ! Les chômeurs, les salariés précaires à temps partiel, les cadres apprécieront !
D’autres, conscients que les entreprises ne peuvent faire l’économie d’une réflexion globale sur leur organisation, se servent de la réduction du temps de travail comme d’un alibi pour aménager le temps de travail, le moduler, l’annualiser, en somme le " flexibiliser ".

" Librement négociée, associée à une souplesse indispensable de l’économie ", telles sont les conditions posées à la réduction du temps de travail ! Oui aux conditions nouvelles de disponibilité quasi permanentes imposées aux salariés, aux amplitudes horaires débridées, aux heures supplémentaires non payées ; le tout sans garanties ni contreparties réelles !
Je rappellerai qu’actuellement près d’un salarié sur deux travaille le samedi, régulièrement ou non ; un travailleur sur quatre serait contraint de travailler le dimanche.

En fait, aucune réflexion d’envergure, aucun dialogue sur un projet commun de développement ne viennent contrarier l’objectif de baisse du coût du travail ; il s’agit le plus souvent, et en s’appuyant sur un volant de main-d’oeuvre précaire non négligeable, d’optimiser les marges en produisant en flux tendu.
Ces dernières années, les entreprises ont usé de l’excuse du chômage de masse, de la concurrence pour obtenir toujours plus de déréglementation, de flexibilité. Au sein d’une même entreprise se côtoient de plus en plus des salariés à temps plein, à temps partiel, en pluri-activité. Consécutivement à l’intensification du travail, les souffrances tant physiques que mentales font des ravages. Pour autant, cette souplesse prétendument nécessaire a-t-elle engendré de l’emploi stable et correctement rémunéré ? Certainement pas !

Entre 1993 et 1997, la part de l’emploi temporaire - contrats à durée déterminée et intérim - a représenté 87 % de la croissance en emploi. La précarité a explosé. Le rapport capital-travail s’est profondément dégradé. La masse salariale n’a cessé de baisser.

L’étude annuelle de l’INSEE sur les
" revenus et patrimoines des ménages ", publiée en octobre, est riche d’enseignements sur le niveau de vie des personnes payées au SMIC : ainsi, 63 % de ces salariés ont perçu, en fait, au titre de 1996, moins que l’équivalent d’un SMIC annuel imposable. Le temps partiel, les périodes d’inactivité en sont la cause.

Voilà le résultat de votre laissez-faire, de votre positionnement sur un registre ultra-libéral !

La croissance en emplois était finalement inexistante, et toute négociation était jusqu’à ces dernières années bien souvent impossible, voire dans l’impasse.

Contrairement à vous, nous pensons qu’une action volontariste est plus que justifiée dans le domaine de l’emploi et que c’est à la loi d’impulser, de fixer un cadre, un socle solide de droits et de garanties servant en l’espèce d’appui, de levier aux négociations des 35 heures.

Plus généralement, nous attendons de l’Etat qu’il intervienne pour réguler la sphère économique.

L’annonce simultanée faite, début septembre, par le groupe Michelin d’un nouveau plan de restructuration prévoyant à la clé la suppression de 7 500 emplois en Europe et d’excellents résultats a évidemment suscité une vive indignation, de fermes condamnations.

Mais au-delà, à nouveau, des questions de fond ont été pointées concernant les conséquences de la mondialisation, l’efficacité des fonds publics distribués, la pression insupportable des marchés financiers et les mécanismes possibles de régulation.

Malgré la baisse des chiffres du chômage, l’amélioration notamment de l’emploi des jeunes et des chômeurs de longue durée, ce dont nous nous réjouissons, des conjonctures mondiale et nationale plus favorables, la rentrée sociale est marquée par des inquiétudes fortes.

Pour y répondre, les parlementaires communistes ont rappelé l’urgence de réformes législatives visant non seulement à lutter contre le développement du travail précaire mais aussi à s’attaquer aux licenciements économiques.

Le débat en deuxième lecture, à l’Assemblée nationale, sur la deuxième loi relative à la réduction négociée du temps de travail a permis d’apporter un début de réponse, notamment avec l’adoption de l’amendement Michelin.

Le traitement que vous réservez à cette disposition - la suppression - les commentaires qu’elle suscite de la part de la majorité de la commission des affaires sociales du Sénat témoignent que, pour certains, les licenciements sont un mal nécessaire !

A l’inverse, nous comptons saisir toutes les opportunités pour que cette disposition soit non pas une simple réponse de circonstance, mais un prélude à une réforme de la procédure des licenciements économiques.

Je rappelle que nous avons déposé une proposition de loi visant à prévenir les licenciements, en faisant réellement de ces derniers un ultime recours pour l’employeur et en renforçant notamment les droits des comités d’entreprise et des syndicat ; cette proposition de loi se nourrit des avancées de la jurisprudence en ce domaine.

Pour en terminer sur ce point - mais j’aurai l’occasion d’y revenir lors de l’examen de l’article 15 - j’attire l’attention du Gouvernement sur le fait qu’il serait dangereux, sous couvert de sécurisation juridique, de permettre le contournement des obligations auxquelles les employeurs sont tenus de par la loi du 27 janvier 1993 ou des jurisprudences Framatome et Majorette. Qu’il s’agisse d’un licenciement économique direct ou détourné, la règle qui doit demeurer est celle de l’élaboration d’un plan social, du contrôle par les représentants du personnel et par le juge en amont.

Les exigences sociales réalistes et légitimes, exprimées notamment à l’occasion de la manifestation du
16 octobre dernier, rappellent combien il est impérieux que le Gouvernement continue de se servir de différents leviers pour combattre le chômage.

Aujourd’hui, l’aberration, ce ne sont pas les 35 heures, comme se plaisent à le rappeler inlassablement le MEDEF ou certains parlementaires de droite, qui jurent de défaire cette loi dès qu’ils en auront l’occasion. L’aberration, c’est le non-emploi, le sous-emploi, les millions de chômeurs, les journées de travail
" à rallonge ", les semaines " marathon " ! L’aberration, c’est le développement de la précarité, de la grande pauvreté, de la misère. L’aberration, c’est cette France duale qui se construit sous nos yeux.

Je partage pleinement le point de vue de M. Cazettes qui, concernant le rassemblement organisé par le MEDEF, a dit y retrouver " des accents archaïques de l’époque du début du siècle, quand il s’agissait d’interdire le travail de nuit des enfants ".

Les parlementaires communistes ont fait le choix des 35 heures, ils ont été à l’origine de cette problématique et l’ont portée.

Nous partageons les ambitions, les enjeux de cette loi qui doit permettre de créer ou de préserver des emplois stables pour donner tout son sens à l’objectif du plein emploi, de dégager du temps libre pour les salariés - du temps réellement maîtrisé pour les loisirs, la famille, la vie associative - et d’améliorer les conditions de travail en réorganisant celui-ci au sein de l’entreprise, tout en permettant la promotion de l’égalité professionnelle et des droits des salariés.

Après un an d’application de la première loi sur la réduction du temps de travail, des accords de branche et d’entreprise extrêmement divers ont été conclus en fonction des réalités et des rapports de forces existants. Ce qui a pu être accepté dans une branche, dans le cadre d’accords souvent minoritaires, voire très minoritaires - comme pour la banque ou la chimie - a souvent été rejeté dans biens d’autres.

L’étude de la direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques, la DARES, annexée au bilan et au rapport d’analyse du ministère de l’emploi et de la solidarité, révèle qu’une fois sur deux, en cas d’accord, la modulation des horaires est la monnaie d’échange du passage aux
35 heures.

Cette augmentation des amplitudes horaires, cette souplesse accrue qui va de pair avec des postes à temps partiel et des bas salaires ont fait irruption dans les entreprises et dans des secteurs précédemment peu coutumiers de cette organisation du travail. En revanche, là où ces modalités s’appliquent déjà, les négociations sur les 35 heures ont permis de réduire et de mieux planifier ces dernières.

L’accord dans le textile, signé par tous les syndicats en octobre 1998, en témoigne. Il nous enseigne aussi que, dans un secteur dit " sinistré ", des avancées peuvent être obtenues et qu’il est possible, même dans des petites entreprises, d’avoir une vraie réduction du temps de travail avec maintien des rémunérations et création d’emplois ! Il s’agit donc de négocier.

Le MEDEF fait de la résistance, comme vous, messieurs de la majorité sénatoriale, qui mettez tout en oeuvre pour vider de son sens la réduction du temps de travail.

Quant à nous, nous avons travaillé pour enrichir le texte proposé par le Gouvernement, voire en infléchir l’équilibre.

Notre intention n’est pas de corseter, de durcir le texte, mais tout simplement de réaffirmer et renforcer des garanties légales afin d’assurer une négociation plus équilibrée.

Pour que cette revendication sociale majeure des salariés soit effectivement facteur de progrès tant économique que social et soit réellement à la hauteur des attentes des Français, les parlementaires communistes ont amendé ce texte.

Concernant les modalités sociales de passage aux 35 heures, nous avons fait un certain nombre de propositions visant toutes à ce que la réduction du temps de travail soit la plus riche possible en emplois et la moins propice à la flexibilité.

Certains points du texte ont évolué en ce sens. Je pense notamment à l’intégration des temps de pause, d’habillage et de repas dans le temps de travail effectif lorsque les salariés demeurent à la disposition de l’employeur, ou encore à la majoration de 50 % des heures supplémentaires dès la quarante-troisième heure au lieu de la quarante-septième heure, comme le prévoyait initialement le texte.

Par ailleurs, dans le cadre de la modulation, un délai de prévoyance et une consultation du comité d’entreprise ont été instaurés.

L’abattement de 30 % des charges sociales pour le temps partiel sera supprimé en 2001, mais les aides restent acquises pour les contrats en cours.

Un dépassement régulier des horaires de travail prévu dans le contrat à temps partiel pourra entraîner sa révision.

Sur le SMIC, enfin, les salariés des entreprises nouvelles pourront bénéficier du SMIC réévalué à condition qu’un accord soit signé. Toutefois, à défaut, ils en seront exclus.

Nous n’entendons pas ici minimiser les améliorations sensibles apportées au texte. Par nos amendements et nos interventions, nous ciblerons toutefois les points qui demeurent insuffisants ou qui appellent des précisions. C’est ainsi que mon amie Nicole Borvo interviendra spécifiquement sur le problème des cadres.

Nous insisterons également sur la question de l’application de la réduction du temps de travail dans la fonction publique, sur la période transitoire qui joue contre l’emploi, sur les dangers de la banalisation de la modulation et de l’annualisation du temps partiel - que certains décrivent comme un choix assumé par une majorité de femmes ! - mais aussi sur le SMIC, la formation professionnelle et la sécurisation juridique.

Je tiens à m’arrêter sur les ajouts importants apportés à l’article 11 concernant le financement.

Sur des points sensibles tels que la subordination des aides à un engagement de création ou de préservation de l’emploi, ou encore les droits nouveaux dans le contrôle de l’utilisation des aides et le suivi des engagements pris dans les accords, il était capital que le texte initial évolue. Nous nous en réjouissons.

Depuis quelques jours, il est acquis que les organismes sociaux ne contribueront pas à financer les 35 heures. C’est aussi un pas positif ! Toutefois, la question essentielle du choix opéré privilégiant la baisse du coût du travail reste posée. Nous avancerons notre proposition d’un financement alternatif favorisant l’emploi et les dépenses de formation.

Nous verrons, tout au long des débats, que les solutions que vous préconisez tendent toutes à promouvoir des outils de flexibilité tels que la modulation, le travail à temps partiel ou le compte épargne temps et à valider, comme le demande le MEDEF, les clauses illégales des accords conclus en application de la première loi.

A l’évidence, votre état d’esprit est beaucoup plus tourné vers la déréglementation et le démantèlement du code du travail que vers la construction au service du progrès social.

Vous laissez le champ libre aux négociations, tout en écartant le principe majoritaire !

En supprimant treize articles - tout ce qui concerne la réduction du temps de travail ! - vous faites de ce projet de loi un texte sur la réorganisation du travail, sur la flexibilité, en fait un texte de déréglementation, sans oublier de revendiquer allégements et exonérations sans conditions au nom du " toujours
plus " !

Vous comprendrez que nous ne pourrons que nous opposer vivement à un tel texte et voter contre un projet de loi complètement dénaturé.

Mme Nicole Borvo. Pour moi, réduire la durée légale du travail, c’est tout à la fois s’inscrire dans le sens de nouveaux progrès sociaux et se donner des moyens, parmi d’autres, de créer des emplois, donc de lutter efficacement contre le fléau du chômage. C’est en réalité reconnaître que les énormes gains de productivité des vingt dernières années doivent enfin profiter aux salariés et à l’emploi, alors qu’ils ont surtout contribué ces dernières décennies à l’accumulation d’énormes profits.

Dire, comme nous l’avons entendu ici, que réduire la durée du travail en France est une aberration dans le contexte européen relève du seul positionnement idéologique. En effet, les comparaisons entre pays européens doivent prendre en compte l’ensemble des paramètres : niveau de salaires, statut de la formation, démographie, heures supplémentaires, structure de l’emploi, niveau de qualification, etc. Par ailleurs, interdire les 35 heures pour ces raisons, ce serait nier toute possibilité de progrès social dans le cadre national - n’est-ce pas, monsieur Gournac ? - et toute perspective d’harmonisation par le haut des règles européennes. En outre, vous le savez, les 35 heures sont à l’ordre du jour dans plusieurs pays européens !

M. Alain Gournac. Ah bon ?

M. Jean-Luc Mélenchon. Eh oui !

Mme Nicole Borvo. Mais là n’est pas votre souci, puisque la majorité sénatoriale a transformé le projet de réduction du temps de travail en projet relatif à la flexibilité et à l’abaissement du coût du travail ! Curieux retour des choses !

Selon nous, ce projet de loi doit au contraire servir de point d’appui pour que des négociations débouchent sur l’amélioration de la vie des salariés et sur des créations d’emploi.

C’est dans ce sens que les députés communistes ont soutenu des modifications du projet de loi initial en première lecture, et c’est la raison pour laquelle nous continuons d’être partisans d’inscrire dans la loi des dispositions plus étendues et plus contraignantes.

Ainsi, la loi devait s’appliquer à tous les salariés. Guy Fischer a parlé de la fonction publique. Je veux insister ici sur la situation des cadres.

Je vous ai bien entendue, madame la ministre, mais force est de constater que, en l’état actuel du texte, les cadres apparaissent comme les délaissés du projet de loi, comme le ressentaient en tout cas 70 % d’entre eux selon une enquête effectuée par la SOFRES en septembre dernier.

M. Alain Gournac. Oui !

Mme Nicole Borvo. En effet, le dispositif prévu pour les cadres dans le projet de loi repose sur l’idée d’une différenciation d’une grande partie des cadres par rapport aux autres salariés.

Or, toutes les enquêtes récentes montrent au contraire que, depuis les années quatre-vingt-dix, les cadres ont tendance à se rapprocher des autres salariés ou, autrement exprimé " qu’un divorce s’est opéré entre les cadres et leur entreprise depuis 1990 ".

Liaisons sociales a publié, en septembre, un dossier tout à fait intéressant que vous avez sans doute tous lu. Ce dernier montre que l’augmentation du chômage des cadres, le sentiment d’insécurité, la déqualification des jeunes diplômés et le fait d’être tenus à l’écart des décisions ont amoindri le lien de fidélité qui les unissait à leur direction.

L’évolution s’est accélérée dans la dernière période. En septembre 1999, 73 % des cadres estiment qu’ils doivent bénéficier des 35 heures au même titre que les autres salariés, 23 % étant d’un avis contraire, alors qu’en janvier 1998 60 % des cadres pensaient que les 35 heures " allaient rendre plus difficile l’organisation de leur travail ".

Cela va de pair avec le fait que 81 % des cadres jugent leur charge de travail trop lourde en permanence - 11 points de plus qu’en 1992 - et que 8 cadres sur 10 disent vouloir consacrer plus de temps à leur vie privée et familiale. C’est une autre vision de l’entreprise que celle qu’on a entendue ici. (M. Alain Gournac s’exclame.)

Il est temps de prendre en compte cette réalité.
Or, le projet de loi distingue entre trois catégories : les cadres dirigeants, les cadres assimilés aux non-cadres et les cadres " au forfait ". Le texte actuel vise à introduire pour la première fois dans la loi une différenciation de régime social selon les fonctions exercées par les intéressés.

Aujourd’hui, les dispositions sur la durée du travail s’appliquent à tous les salariés, et même si les 39 heures ne s’appliquent pas aux cadres au forfait, ces derniers sont soumis aux durées maximales quotidiennes ou hebdomadaires, ce que l’inspection du travail peut faire appliquer.

Certes, je ne méconnais pas le détournement de la loi ; mais justement, la dégradation des conditions de travail fait apparaître que, à l’heure actuelle, environ un tiers des cadres dont le travail varie de 50 à 60 heures par semaine perçoit, de fait, un salaire au taux horaire du SMIC.

Mme Danielle Bidard-Reydet. Eh oui !

Mme Nicole Borvo. La nouvelle loi va-t-elle perpétuer ces situations, les encourager ou, au contraire, les décourager ?

En distinguant une catégorie de cadres pour laquelle l’employeur peut échapper aux durées maximales horaires, catégorie au demeurant assez floue, la loi encourage les employeurs à y faire entrer beaucoup de monde et, ainsi, à détourner les contraintes de la durée légale pour plusieurs millions de salariés.

La plupart des organisations syndicales représentatives chez les cadres s’accordent pour critiquer ce dispositif.

Je voudrais insister encore sur le fait que ce dispositif est particulièrement discriminant pour les femmes.

De façon générale, les femmes sont les premières pénalisées par l’accroissement de la flexibilité du travail. C’est la raison pour laquelle nous avons souhaité que cette deuxième loi des 35 heures n’ouvre pas la porte à une aggravation de la flexibilité, mais au contraire qu’elle la limite.

En France, comme le montre une enquête parue aujourd’hui dans le quotidien Le Parisien , les femmes veulent à la fois des enfants et une carrière professionnelle ; si ce n’est pas vrai partout, cela l’est en tout cas dans notre pays ! C’est une bonne chose, car les enfants sont notre avenir, et nous avons tous besoin de l’intelligence des femmes !

Concernant les cadres, et donc les femmes cadres, au moment où est fortement posée l’exigence tant de l’égal accès aux fonctions de responsabilité que de l’égalité des salaires, le législateur doit y contribuer efficacement. Or le dispositif actuel encourage au contraire les employeurs à demander une plus grande disponibilité journalière des cadres, ce qui, pour les femmes, renforce la difficulté de concilier carrière professionnelle réussie et vie privée. Certes, les employeurs recrutent plus de femmes cadres qu’il y a quelques années ; mais ils s’en séparent dès qu’elles ont des enfants ou ils leur refusent, à qualification égale, le même déroulement de carrière que celui d’un homme.

Pour toutes ces raisons, nous défendrons lors de la discussion de l’article 5 des amendements visant à prendre en compte les points que je viens d’évoquer. Cet article concerne directement trois millions de cadres proprement dit. Si l’on inclut les techniciens et les agents de maîtrise, ce sont 40 % des salariés qui entrent dans ces catégories.

J’espère, madame la ministre, que la poursuite du débat et de la réflexion jusqu’au vote final permettra d’améliorer le texte de ce point de vue.

Explication de vote

M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au terme de ces trois jours de débat, les craintes que j’ai eu l’occasion d’exprimer dans la discussion générale au nom du groupe communiste républicain et citoyen se sont malheureusement confirmées.

Les chômeurs et les salariés précaires n’ont rien à attendre de la majorité sénatoriale pour que leur aspiration légitime de réappropriation du temps, leur revendication de travailler moins pour travailler tous, se concrétisent.

Alors que les inégalités sociales demeurent, voire se creusent, que les revenus des ménages des salariés ne progressent pas encore au niveau souhaité, la Bourse et la santé financière de nos entreprises explosent. Et vous voudriez nous faire croire que ce projet de loi sur les 35 heures assassinera les entreprises !

Ce qui dérange profondément le patronat et qui vous pousse, messieurs, à mépriser un projet de loi porteur de progrès tant économique que social, c’est que, à l’occasion des négociations au sein des entreprises, les salariés réfléchissent à une autre organisation du travail, pensent l’efficacité de l’outil de travail au service non de la rentabilité financière mais de la promotion de l’individu.

En fait, la réduction du temps de travail touche au rapport de forces, existant, à la répartition des richesses entre salaires et profits. Voilà pourquoi elle suscite autant de rejet de votre part !

Alors que l’emploi demeure la préoccupation essentielle des Français, vous balayez d’un revers de main ce projet de loi au motif qu’il remettrait en question la place du travail pour chacun d’entre nous dans la société.

Vous reprochez au texte de court-circuiter, d’encadrer les négociations. Avant l’annonce de la première loi, le dialogue social était en panne. Là où la réduction du temps de travail était envisagée, elle était le plus souvent conjuguée avec l’annualisation, la flexibilité et l’intensification du travail.

Vous êtes parvenus, avec la loi quinquennale, à faire sauter de nombreux verrous. Les solutions que vous nous proposez aujourd’hui ne favoriseront pas davantage le processus de négociation, elles le bloqueront. Que les salariés puissent être consultés sur les accords de réduction du temps de travail vous
échappe !

Par idéologie, parce que, pour vous, l’entreprise est seule maîtresse de ses décisions, vous refusez que, avant de proposer un plan social, des négociations sur la réduction du temps de travail s’ouvrent.

Ainsi, vous avez piétiné l’" amendement Michelin ", et toutes les dispositions relatives à la durée légale du travail ont disparu. Vous avez vidé de toute sa substance progressiste le projet de loi tel qu’il avait été adopté à l’Assemblée nationale. Vous l’avez mis en charpie !

En revanche, vous conservez des outils tels que la modulation, l’annualisation, le temps partiel ou le compte épargne-temps, pour les mettre au service de la flexibilité. De la flexibilité ! Voilà le leitmotiv qui vous anime.

Vous comprendrez aisément que tout nous oppose. Les parlementaires communistes, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, ont abordé les débats avec le souci de tout mettre en oeuvre pour que ce texte amène effectivement les créations d’emplois, les améliorations des conditions de travail et la meilleure maîtrise du temps attendues. L’homme était au centre de nos préoccupations.

Nous avons eu l’occasion de rappeler que, sur des points précis tels que le régime des heures supplémentaires, le temps partiel et l’application des dispositions du texte aux cadres et dans la fonction publique, nous souhaitions aller plus loin, et nous avons fait de multiples propositions à cet égard.

Cela étant, la seconde lecture à l’Assemblée nationale permettra, j’en suis sûr, de rétablir le dispositif que la majorité sénatoriale a démantelé. Contrairement à elle, nous croyons que les 35 heures permettront de créer des emplois. Nous croyons en cette évolution historique, mais à la vue du champ de mines que vous avez semé, nous comprenons que le chemin sera long.

Par conséquent, nous voterons contre le texte tel qu’il a été modifié par la majorité sénatoriale.

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