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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Réforme des retraites

Par / 7 juillet 2003

par Michelle Demessine

Après avoir été discuté à l’Assemblée nationale durant quatre semaines, votre projet arrive au Sénat. Et de nouveau, vous escomptez passer en force. Vous avez ajouté vingt-neuf articles et modifié de façon substantielle l’ensemble du projet. Mais vous nous avez refusé le temps pour l’approfondir.

Je suis particulièrement atterrée de voir les bancs de votre majorité aussi clairsemés à l’ouverture d’un débat aussi important.

Pourquoi vouloir traiter ce dossier en l’urgence, alors qu’il concerne tous nos concitoyens, leur avenir, celui de leurs enfants ou petits- enfants, quels que soient leurs origines sociales, leurs statuts professionnels, leurs âges, leurs revenus et leurs convictions ? Pourquoi user de forceps sur un dossier dont l’enjeu est indissociable des valeurs et des principes qui ont construit l’identité sociale de la France, permis l’essor de son économie et l’épanouissement de son peuple ?

Faut-il y voir la pression du patronat, et plus particulièrement du Médef qui aspire à récupérer le pactole financier que représentent les fonds de la sécurité sociale ? Doit-on y voir les pressions exercées par Bruxelles qui psalmodie à l’envi l’application des dogmes ultralibéraux du pacte de stabilité d’Amsterdam ?

Vous n’avez donné aucunes raisons valables alors, ce temps de l’étude, nous le prendrons. Et avec mes collègues, nous nous efforcerons que le débat ait lieu.

Certes, aux frais du contribuable, vous avez communiqué, beaucoup communiqué. Utilisant tous les outils du marketing pour tenter de nous vendre la valeur de vos arguments et la nécessité de votre réforme.

Vous prétendez que votre réforme est juste et équitable au motif qu’elle restaure l’équilibre des situations entre le public et le privé ? C’est faux ! Messieurs les Ministres, vous avez la mémoire sélective. Vous avez tendance à oublier un peu vite les raisons essentielles des décalages tout au long de ces dix dernières années. À commencer par l’indexation des pensions sur le niveau des prix décidé par votre majorité en 1986, et par la réforme Balladur de 1993, lui aussi, malgré tout, de votre majorité. Ces deux réformes ont eu un impact dramatique sur la situation des salariés et des retraités du secteur privé.

En allongeant pour le secteur privé, la période de référence de dix à vingt-cinq ans pour le calcul des annuités et en allongeant la durée de cotisation à quarante ans au lieu de trente-sept ans et demi, vous avez définitivement installé le déséquilibre entre le secteur privé et le secteur public.

C’est vous et votre majorité, qui avez installé les déséquilibres entre les deux secteurs d’activité de la nation. C’est vous et personne d’autre qui avez installé l’iniquité entre le public et le privé en écrasant les salariés du secteur privé sous la contrainte. Et vous voudriez aujourd’hui écraser les fonctionnaires, traditionnels boucs émissaires de vos politiques sociales, sous le même joug que leurs collègues du privé au nom de l’équité et de l’égalité ? Vous voulez restaurer l’équité ? La chose est facile. Abrogez les réformes qui l’ont instaurée !

Ne vous en déplaise, vous n’avez convaincu personne. Jamais, vous n’avez dit la vérité aux Français. Et vous continuez de ne pas le faire !

Vous présentez votre réforme comme la condition ultime de « sauvetage de notre système par répartition », comme « la condition de conservation du cœur de notre cohésion sociale », or, elle est tout le contraire.

La réforme que vous voulez imposer à nos concitoyens est un véritable cancer social ! Il va défigurer la France dans les prochaines décennies !

Vous prétendez qu’elle maintiendra le départ en retraite à soixante ans. C’est également faux !

Même sans changement dans les modes de calcul et sans allongement de la durée de cotisation, le droit à une retraite pleine et entière à soixante ans, est déjà un leurre pour les jeunes générations du public comme du privé.

L’explication est simple. En commençant à travailler en moyenne dans le secteur public à vingt-six ans, et en ne cotisant que trente-sept ans et demi, alors que vous lui en promettez quarante-deux et que le patronat en réclame quarante-cinq, un jeune fonctionnaire ne pourra faire prévaloir ses droits à la retraite qu’à soixante-trois ans et demi minimum. C’est une évidence : vous décrétez la fin du droit à la retraite à soixante ans !

Vous prétendez que l’allongement de la durée de cotisation des actifs permettra de répondre à l’arrivée massive des retraités à l’horizon 2020. Rien n’est plus faux !

Vous ne prenez pas en compte la réalité de l’emploi et du marché du travail.

Aujourd’hui seulement un actif sur trois parvient en activité à l’âge de départ en retraite, mais, dans le privé, la moitié seulement pourra bénéficier d’une retraite à taux plein ! En moyenne, les salariés cessent d’être en activité vers 57,5 ans, parce que les entreprises pratiquent une politique d’emploi discriminatoire à l’encontre des quinquagénaires. Les jeunes actifs entrent plus tardivement dans l’emploi en raison de l’allongement de la durée d’étude et de formation initiale. Avec la meilleure volonté du monde, les jeunes entrés dans l’emploi après 23 ans ne pourront acquérir les 42 ans de cotisations sociales que vous imposez avant l’âge limite de 65 ans !

Vous prétendez revaloriser le niveau minimum des pensions et le porter au-delà d’un plancher de 85 % du S.M.I.C. net : c’est faux !

Pour partie. Cette augmentation résulte mécaniquement de l’augmentation de la durée de cotisation que vous imposez aux salariés !

L’indexation des pensions sur l’évolution des prix depuis 1993 a laminé le pouvoir d’achat des pensions, d’abord des plus basses d’entre elles.

Cette revalorisation est un leurre : vous affectionnez les trompe-l’œil, monsieur le Ministre !

Vous prétendez que l’ouverture à la capitalisation permettra de compléter le niveau des pensions : une fois de plus, c’est faux !

L’argument pourrait être séduisant, mais il est incohérent.

La capitalisation n’est rien d’autre, vous le savez bien, qu’un prélèvement sur la masse salariale. Pourquoi ce qui serait impossible pour une cotisation sociale, deviendrait possible avec la capitalisation ? Mystère !

La cotisation sociale mutualise le risque, alors que la capitalisation individualise le risque financier. D’Enron à Worldcom, les salariés font les frais de cette financiarisation du système de retraite. En Grande- Bretagne, un retraité sur cinq vit au-dessous du seuil de pauvreté : des papys de soixante-dix ans y sont obligés d’occuper n’importe quel petit boulot pour compléter leur retraite minimale et survivre ! (Exclamations à droite et à gauche.)

Loin d’être un matelas de sécurité, les fonds de pension d’entreprise représenteraient un danger comptable. L’arrivée massive en retraite des salariés et la dégradation des marchés boursiers grèveraient les bilans d’entreprise. En Grande- Bretagne, pour couvrir le risque, les fonds de pension ont modifié le lien entre cotisations et prestations, introduisant le principe de prestations variables.

Qui plus est, la capitalisation ne saurait atteindre les objectifs qu’on lui assigne, sans absorber les masses financières de la répartition, laquelle sera « canibalisée ». (M. le ministre le conteste.)

Ce texte n’est pas le premier acte du démantèlement de la répartition : 1986, 1993, 1995, 1996, autant d’étapes de la régression sociale !

La majorité a élaboré patiemment son projet qui oblige les salariés à travailler plus longtemps qu’ils ne pourront le faire. Vous forcez les salariés d’aujourd’hui et les retraites de demain à assumer individuellement le coût financier de l’allongement de la vie. Vous condamnez les principes de la répartition et de la solidarité intergénérationnelle, qui ont fait leurs preuves depuis cinquante ans. Vous trahissez le message du 21 avril et vous annoncez l’explosion de la cohésion sociale !

Le mouvement social souhaite la réforme de notre système de retraite. Les partenaires sociaux se sont mis autour de la table quand vous les y avez convié, tous ont cru à l’honnêteté de votre démarche ; mais tous ont été trompés ! (Exclamations à droite.)

Vous n’avez jamais voulu entendre leurs propositions alternatives, pas plus que les nôtres !

Personne ne conteste qu’il faille relever le défi démographique, car notre système par répartition sera bouleversé par le doublement du nombre de retraités d’ici 2040, si rien n’est entrepris. Le C.O.R. estime que le besoin de financement des pensions de retraite passera de 12 % du P.I.B. aujourd’hui à 16 % ou 18 % en 2040.

Mais la situation démographique n’est pas catastrophique. L’histoire enseigne que l’on peut consacrer plus de moyens aux retraites : de 1959 à 1990, la part des prestations vieillesse dans le P.I.B. est passée de 5,9 % à 12,6 %, sans remettre en cause la retraite par répartition et en diminuant même l’âge de départ en retraite.

Le problème de notre système de retraite n’est pas dans la hausse du nombre de retraités mais dans la faculté des actifs à financer les pensions de retraite.

Cette faculté dépend des emplois et des rémunérations soumises à cotisations sociales. C’est là que la situation devient préoccupante avec la précarisation de l’emploi, résultat des politiques conduites par le gouvernement.

D’autres solutions existent, souhaitées par nombre de nos concitoyens. Elles prennent en compte l’évolution du mode de vie, des conditions du passage de la vie active à la retraite, de l’espérance de vie, des besoins et des aspirations des retraités. Elles expriment la reconnaissance des droits que tous ont acquis par leur contribution à la richesse nationale et par leur apport présent à la société. Elles sont indissociables de l’exigence d’une nouvelle sécurité sociale, d’un système de sécurité d’emploi et de formation ! Pour y parvenir, il faut faire cesser la régression du pouvoir d’achat des retraités et leur garantir une retraite à taux plein à 60 ans !

L’indexation sur les prix, en 1993, a rompu le lien de solidarité intergénérationnelle qui est à la base du système par répartition.

Loin d’être des « nantis », les retraités sont parmi les oubliés de la croissance. Il faut inverser la tendance, garantir un montant et une évolution des pensions qui rattrapent le pouvoir d’achat perdu.

Nous proposons d’indexer les retraites sur l’évolution moyenne des salaires bruts, de maintenir une retraite totale au moins égale à 75 % du salaire brut moyen des dix meilleures années de la carrière dans le secteur privé.

Il faut aussi augmenter significativement les basses retraites. Nous proposons que le minimum contributif représente au moins 63 % du S.M.I.C. brut, comme lors de sa création, et de porter le taux de la réversion à 60 %.

Les mesures Balladur ont diminué les pensions de base, la décote a accentué la chute, y compris pour les retraites complémentaires, où les pénalités peuvent représenter 22 % d’abattement.

Nous proposons d’abroger les dispositions de 1993 et de garantir le droit à la retraite à taux plein à 60 ans au plus tard, avec 37,5 annuités pour en bénéficier. Cela nécessite de valider les périodes non travaillées telles les études, les contrats d’insertion, la recherche d’un premier emploi, les périodes de chômage et les fins de droits. Nous demandons également la suppression de tout principe de décote des pensions.

Ces mesures ont un coût, nous assumons.

La satisfaction de ce besoin de financement dépend de la répartition de la richesse nationale produite par le travail. Il faut inverser la tendance de ces dernières années, où la part des salaires dans la valeur ajoutée est passée de 70 % à 60 % quand celle du capital passait de 30 à 40 %.

C’est là un véritable choix de société : quelles orientations pour financer les pensions de retraite ? Qui doit prendre en charge le besoin supplémentaire de financemernt et comment ?

Notre pays ne pourra réformer son système de retraite qu’en s’appuyant sur la politique de l’emploi et des salaires, sur une politique nationale qui sécurise les parcours professionnels et sociaux. Nous proposons une refonte globale du financement de notre système de retraite par répartition, et, plus généralement, de sécurité sociale. J’y reviendrai au cours de notre débat.

Votre projet, monsieur le Ministre, n’est pas juste ni équitable : acceptez de le retirer, pour amorcer une négociation sur les retraites !

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