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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Revenu minimum d’activité : question préalable

Par / 8 février 2001

par Roland Muzeau

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, décidément, la volonté politique affirmée du Gouvernement d’un retour au plein emploi n’en finit pas de stimuler l’imagination ultra-libérale de nos collègues de la majorité sénatoriale.

Il y a quelques semaines, nous débattions d’une proposition de loi relative aux pénuries de main-d’oeuvre qui n’était en fait qu’une attaque en règle contre l’application de la loi sur les 35 heures, attaque inspirée, pour ne pas dire téléguidée, par le MEDEF, dont l’esprit d’ouverture en termes de dialogue dans l’entreprise et de progrès social pour les salariés est connu de chacun...

Il ne se passe pas de semaine sans que fleurissent, çà et là, colloques et déjeuners consacrés à la meilleure façon de lutter contre les " trappes à inactivité " où se lovent avec délices, à entendre les moralistes, les titulaires des minima sociaux.

A l’occasion de ces rencontres, on rivalise d’ingéniosité pour mettre en avant les effets comparés - forcément bénéfiques - sur la situation de l’emploi du crédit d’impôt ou de la prime pour l’emploi. Il faut pourtant vraiment faire preuve de beaucoup d’ingéniosité pour en apprécier les différences !

Progressivement, un arsenal législatif qui a pour conséquence - quand ce n’est pas pour objectif - de déresponsabiliser les entreprises en matière de politique salariale et de faire supporter la charge de celle-ci à la collectivité publique se met en place.

Dernière attaque en date - mais, j’en suis convaincu, d’autres suivront tant la volonté de voir triompher la déflation salariale est grande -, la proposition de loi portant création d’un revenu minimum d’activité : tout un programme !

Partant du constat que, malgré l’amélioration de la situation de l’emploi, le nombre d’allocataires des minima sociaux ne diminue pas suffisamment, nos collègues Philippe Marini et Alain Lambert ont l’ambition de réinsérer ces personnes par le travail et de les sortir de la logique d’assistanat dont elles n’ont pourtant pas la possibilité de s’affranchir étant donné l’attitude d’une partie du patronat.

Certes, on ne peut que louer leur intention, mais nous ne partageons ni leur analyse de la situation ni la philosophie qui les inspire.

L’amélioration que connaît la situation de l’emploi, le taux de chômage étant désormais de 9,2 % de la population active, ne profite pas encore suffisamment aux allocataires des minima sociaux ; c’est un fait incontestable.

M. Philippe Nogrix, rapporteur. Ça c’est vrai !

M. Roland Muzeau. A vous entendre, cette persistance des bénéficiaires des minima sociaux à demeurer tributaires de l’assistanat serait la conséquence inéluctable d’un trop faible écart entre revenus d’activité et revenus d’assistance.

Ainsi, les personnes concernées hésiteraient à reprendre une activité professionnelle par crainte de voir leurs revenus baisser ou, tout au moins, de devoir travailler pour presque rien.

Voilà qui m’amène à formuler deux observations.

Premièrement, si de nombreuses personnes sont prisonnières de ce dilemme, c’est non pas parce que le montant des minima sociaux est trop élevé, mais parce que les salaires proposés sont bien trop bas, à plus forte raison quand il s’agit de temps partiels. En outre, la reprise d’une activité génère souvent pour les personnes concernées des frais supplémentaires.

Deuxièmement, avec ce genre de discours, on accrédite finalement l’idée pernicieuse et déjà largement répandue que les titulaires de minima sociaux se mobilisent peu pour trouver du travail.

M. Philippe Nogrix, rapporteur. Ai-je dit cela ?

M. Roland Muzeau. Il est évidemment plus commode d’essayer de culpabiliser les gens modestes, surtout quand on est responsable de leur dégringolade sociale ! Il n’est qu’à voir la persistance de cette attitude pour être révolté, comme le démontre l’exemple de Danone où profits en hausse riment avec licenciements et fermeture d’usines.

J’invite notre assemblée à regarder la réalité en face. A force de faire baisser le coût du travail, à force de généraliser les emplois précaires et mal payés, à force de temps partiels exonérés de cotisations sociales, vous avez créé les " trappes à inactivité " que vous dénoncez aujourd’hui.

M. Philippe Nogrix, rapporteur. Ah bon ?

M. Roland Muzeau. L’autre handicap fatal dont seraient affublés les allocataires des minima sociaux serait la distorsion entre les besoins des entreprises et la qualification de ces personnes.

Vous semblez surpris qu’après trente ans de chômage massif et de plans de licenciement en tous genres - plans dits sociaux à l’origine de l’errance des chômeurs, allant de stages de reconversion en emplois précaires, puis finalement conduits à ne vivre que de revenus d’assistance -, ces personnes ne possèdent plus aujourd’hui la qualification requise pour être directement employables et donc immédiatement performantes au sein d’une entreprise.

Quand on a mis en oeuvre une politique qui a " massacré " l’emploi pendant tant d’années, il ne faut pas s’étonner que nombre de titulaires de minima sociaux en portent les stigmates - et encore faut-il ne pas amalgamer tous les demandeurs d’emplois dans une même problématique sociale.

Pendant de longues années, les employeurs ont pris la mauvaise habitude d’exiger énormément des candidats à l’embauche, puisqu’il y avait pléthore de demandeurs qualifiés. Par voie de conséquence, ils ont complètement négligé la formation, trouvant beaucoup plus pratique de ne recruter que des personnes déjà formées par d’autres.

Il est tellement facile, maintenant, de crier à la pénurie de main-d’oeuvre !

Je citerai, à ce sujet, une déclaration de
M. Bernard Brunhes, président de Bernard Brunhes Consultants, dans le magazine Liaisons sociales du mois de janvier dernier :

" Il ne sert à rien de crier à la disette - il y a encore beaucoup de chômeurs - ou de vouer l’éducation nationale aux gémonies. C’est une nouvelle politique de recrutement qu’il faut mettre en oeuvre. Tout d’abord, savoir adapter l’organisation du travail aux compétences disponibles au lieu de la définir a priori. Ensuite, s’interroger sur les raisons de l’absence de candidats pour certains emplois - salaires ? conditions de travail ? image de l’entreprise ou du
métier ? Enfin, comprendre que la formation à un emploi est du ressort de l’entreprise : on lui fournit rarement des travailleurs "prêts à l’emploi". "

M. Bernard Brunhes poursuit :

" L’école ne sait pas fabriquer des produits tout faits qu’il ne reste qu’à mettre sur la chaîne, ce n’est pas son rôle ! Dans une période de profonds bouleversements technologiques et de reprise économique, les entreprises doivent former, former et encore former en développant la formation sur le tas, les systèmes d’alternance, l’organisation apprenante. Après le
laisser-aller qu’a permis l’état du marché du travail, c’est un gigantesque effort qui est demandé aux entreprises.

" Alors, de grâce, arrêtons de pleurer sur la pénurie, mais pressons les réformes de la formation professionnelle, dans l’entreprise, dans les organisations professionnelles et du côté des pouvoirs publics. "

Cette déclaration, qui émane d’un spécialiste généralement très apprécié par la majorité sénatoriale, vient renforcer le récent rapport du Comité économique et social.

Oui, mes chers collègues, les employeurs ont refusé d’assumer leur mission en termes de formation et ils ont trop tendance, maintenant, à se dégager de toute responsabilité en matière de politique salariale.

Il est tellement plus intéressant d’attendre que l’Etat mette en place un mécanisme de crédit d’impôt pour éviter aux employeurs d’augmenter les salaires.

Avec cette proposition de loi sur le revenu minimum d’activité, on se situe dans la même logique - mon collègue M. Marini l’a d’ailleurs reconnu précédemment - à savoir faire payer à la collectivité publique une partie du salaire, en permettant aux entreprises de récupérer les allocations perçues par les titulaires de minima sociaux.

Vous avez raison, mes chers collègues, cette formule a le mérite d’être limpide. Je ne doute pas que les employeurs l’apprécient. Je suis en revanche dubitatif sur l’intérêt des chômeurs dans cette affaire.

D’autant plus que la commission des affaires sociales a cru bon d’amender le texte rédigé par MM. Lambert et Marini en ajoutant un article, l’article 8, qui dispose que les personnes embauchées dans le cadre d’une convention de revenu minimum d’activité ne seront pas comptabilisées dans l’effectif de l’entreprise pour le calcul des seuils découlant du code du travail. Ce que
M. Nogrix appelle pudiquement dans son rapport " l’allégement des effets de seuil " est un cadeau supplémentaire aux employeurs, qui leur évitera, par exemple, d’avoir à constituer un comité d’entreprise.

En fait, ce texte est inspiré par de vieilles recettes qui ont très vite montré leurs limites dans les pays qui les ont déjà appliquées.

Derrière cet affichage, au premier abord frappé au coin du bon sens, se cache, en fait, une volonté manifeste d’obliger les personnes titulaires des minima sociaux à travailler, pour un coût réduit, dans les entreprises du secteur marchand, afin de
" mériter " les maigres allocations qu’elles perçoivent.

C’est une logique de nantis qui trouvent anormal que les gens qu’ils ont contribué à réduire à la misère n’aient pas à effectuer un travail en échange de ce que la collectivité leur verse pour les empêcher de sombrer complètement dans l’exclusion.

L’idée qui se profile est que les chômeurs doivent accepter n’importe quel emploi, à n’importe quelles conditions. Quand on est parfaitement inséré dans la société, on se contente de peu lorsqu’il s’agit des autres !

Que je sache, la richesse produite dans notre pays ne cesse d’augmenter, les profits des entreprises aussi, alors que la part des salaires dans le PIB ne cesse de diminuer dans des proportions inquiétantes.

Aussi, je pense que des marges de manoeuvre existent pour mettre en place une société de véritable plein-emploi dans notre pays.

Vous comprendrez aisément, mes chers collègues, qu’avec de tels désaccords nous ne pouvons que rejeter ce texte nocif. Aussi, nous vous demandons de voter notre motion tendant à opposer la question préalable.

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