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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Sécurité sociale : assurance maladie

Par / 19 novembre 2002

par Guy Fischer

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Chers Collègues,

Monsieur le Ministre, présentant ce projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2003, vous nous avez dit qu’il était un texte de transition ; qu’il posait les bases d’une "nouvelle gouvernance" de notre système de santé.
Il devrait être suivi, au printemps, d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale rectificatif, puis, dans l’été, d’après le calendrier du Premier ministre, d’un projet de loi.

Vous avez dit que la dérive de l’ONDAM portait atteinte à la crédibilité de la politique de maîtrise des dépenses.
Vous nous parlez d’une politique moderne du médicament.
Vous nous dites que ce projet de loi de financement de la sécurité sociale constitue la première étape du plan "hôpital 2007" destiné à moderniser l’hôpital.
Vous avez enfin laissé sourdre votre préférence pour un panier de soins limité… tout en réfutant les propos musclés - et certainement pas innocents - de M. Jacques Barrot, qui est lui-même, depuis, revenu sur sa déclaration prônant de réserver la couverture maladie obligatoire aux seules "maladies graves".

Dans le clair-obscur de cette "nouvelle gouvernance" que vous nous proposez avec M. Raffarin, j’entends dénoncer ce qui se cache derrière les mots et les projets prétendument ambitieux, j’entends démontrer que vous vous attaquez au démantèlement systématique de notre système de protection sociale, à une privatisation méthodique après laquelle la santé des Français sera une marchandise allouée au plus offrant, le choix des soins réservé à une élite, un hôpital pour les pauvres, un hôpital pour les riches.
Je me propose de vous donner des exemples tout simples, tirés de la vie quotidienne, pour vous montrer ce qu’est déjà notre système de santé - qui ne subit pas aujourd’hui sa première attaque - et ce qu’il pourrait devenir si votre projet venait à être concrétisé.

- Aux Hospices Civils de Lyon, nous avons des spécialistes qui en sont réduits à refuser des visites pendant quelques mois, le temps que leur carnet d’opérations s’allège ; à quoi bon rencontrer des patients dont l’état exige une opération lorsque l’on sait qu’il est impossible d’y satisfaire ? Quant aux urgences de ce même établissement lyonnais, j’ai personnellement attendu 7 heures pour y faire traiter une personne âgée en état de déshydratation avancé.

- Toujours dans mon département, deux cliniques vont disparaître à Vénissieux, sur le plateau des Minguettes pour être remplacées par un établissement unique dans un autre secteur ; que va-t-il rester à des populations modestes ?

- Parmi les nombreux exemples que j’ai en tête, je vous en citerai encore un - car le temps m’est compté - : la mise en bourse des cliniques de la Générale de Santé, que je crois être le seul à avoir dénoncé comme une honteuse dérive vers la marchandisation de la santé… alors que 85 % du chiffre d’affaire du groupe est assuré par la sécurité sociale. Pis encore, la Générale de santé poursuit son ascension en vendant les murs de son futur pôle hospitalier lyonnais à MUTAVIE, filiale de la MACIF. Cette transaction de 48 millions d’euros va permettre au géant de l’hospitalisation privée de poursuivre son hégémonique croissance, sur le dos des mutualistes et des assurés sociaux.

Plus généralement, la crise du système de santé, aujourd’hui reconnue par tous, notamment dans les hôpitaux, le manque de personnels soignants et de médecins appellent des mesures urgentes que ne contient en rien votre projet de loi. Pour ne citer que la situation de l’hôpital public, le manque de moyens financiers et humains est en aggravation constante. Cet été, la rupture a été évitée de justesse, grâce à l’abnégation du personnel. Les établissements ont de plus en plus de mal à équilibrer leur budget. La situation est tout aussi dramatique concernant les investissements. Le retard pris est tel que vous avez vous-même reconnu la nécessité d’un plan de rattrapage d’un montant de 300 millions d’euros, encore bien en deçà des besoins et des 7 milliards d’euros sur 5 ans promis par la président de la République. Nous considérons toujours que les hôpitaux devraient être exonérés de la taxe sur les salaires et de TVA sur la réhabilitation des bâtiments, qui représentent 5 millions d’euros par an. Cela serait beaucoup plus efficace et plus lisible que de reprendre d’une main ce que l’on a donné parcimonieusement de l’autre. Il faut en finir avec le sytème qui consiste à reprendre d’une main ce que l’on a donné de l’autre.
Quant aux services d’urgences, qui accueillent chaque année plus de 12 millions de personnes, ils sont à bout de souffle, fonctionnent dans des conditions de plus en plus précaires, avec un personnel insuffisant, épuisé, avec un manque criant de lits d’hospitalisation.

La fermeture des hôpitaux de proximité, qui avaient vocation à accueillir les urgences les moins graves, a été une lourde erreur qui contribue à aggraver l’engorgement des services d’urgence. Que nous propose-t-on aujourd’hui comme palliatif : la création de "maisons médicales" pour accueillir les urgences en soirée et le week-end ! Bel exemple de transfert de charges sur les collectivités locales (la première du genre dans le Rhône va ouvrir à Vénissieux)

1- Face à une situation déjà tellement dégradée - dont il faut reconnaître que vous n’êtes pas seul comptable - que faites-vous ? Qu’avez-vous amorcé en six mois de gouvernement ?

- Vous avez conclu un accord avec les médecins généralistes qui, en revalorisant le tarif de la consultation et de la visite à domicile satisfait certes une légitime revendication. Mais avez-vous assuré le financement de ces décisions et mesuré leurs conséquences pour les assurés sociaux ? La prescription de génériques permettra-t-elle d’autofinancer ces dépenses nouvelles ? Il est permis d’en douter.

- Déjà, vous avez instauré un remboursement moindre de la visite à domicile lorsque celle-ci sera considérée comme "médicalement injustifiée". Quant aux mutuelles, elles devront sans doute répercuter sur leurs adhérents l’augmentation de leur part de remboursement des consultations.

- Vous avez décidé du déremboursement de médicaments (sur lequel je reviendrai dans un instant).
2- Que proposez-vous dans ce projet de loi de financement de la sécurité sociale en terme de solution d’avenir pour notre système d’assurance maladie ?
Vous prévoyez une augmentation de l’ONDAM de 5,3 %, alors que les professionnels s’accordent à prévoir qu’une augmentation de 6,1 % serait justifiée.

Nous disons que la hausse des dépenses de santé est inéluctable, en raison de l’allongement de la durée de la vie, du vieillissement de la population, du progrès des connaissances et des technologies médicales, ainsi que de l’aspiration légitime de nos concitoyens à un mieux-être physique et mental. Il ne s’agit donc pas de savoir comment on peut les réduire, mais comment y faire face .
Or, vous parlez de déficit, d’économies, mais jamais de ressources. Comment les recettes ne manqueraient pas à la sécurité sociale quand les entreprises bénéficient d’exonérations de charges sans cesse croissantes ? Comment les comptes pourraient-ils être équilibrés alors que les revenus du capital ne cotisent que pour 0,8 milliards et les revenus financiers pas du tout !

Alors même que la situation de l’emploi continue de se dégrader, la loi Fillon prévoit de consentir encore cinq milliards d’exonération de cotisations aux entreprises ! Quant aux cotisations employeurs, elles restent assises exclusivement sur les salaires, ce qui favorise les entreprises à faible intensité de main d’œuvre mais pénalise, en revanche, celles qui créent de l’emploi.
Il suffirait pourtant, pour assurer la pérennisation et la modernisation de notre système de santé, de faire cotiser l’ensemble des revenus à la sécurité sociale, y compris les revenus financiers, comme nous n’avons de cesse de le proposer.

Vous prétendez moderniser les hôpitaux publics et privés par la fusion des deux fonds de modernisation et le remplacement des enveloppes globales par des tarifs à l’activité : ceci augure d’une mise sous tutelle encore plus lourde des praticiens hospitaliers, et pose de nombreuses questions, notamment quant à la répartition des dites activités entre le privé et le public.
En outre, le journal "La Tribune" "lève un lièvre" sur le futur plan "Hôpital 2007", nous apprenant que la Caisse des Dépôts et Consignations et Dexia devraient participer à l’opération. Vous avez vous-même indiqué, Monsieur le Ministre, que des modifications législatives devraient autoriser prochainement des personnes privées à construire des bâtiments pour l’hôpital (à l’instar de ce qui va se passer pour les établissements pénitentiaires).

Vous prétendez mettre en place une politique moderne du médicament… mais vous préparez - tout en vous en défendant - le fameux panier de soins minimal donnant droit à remboursement par la sécurité sociale.
Vous comptez faire supporter au médicament la réduction du déficit par le déremboursement progressif de quelque 835 spécialités et le remboursement sur la base du générique si le patient opte pour le médicament de marque. De deux choses l’une : soit une spécialité est inefficace et on la rembourse, soit elle ne l’est pas et on la supprime. Bien entendu, il faudrait pour cela imposer aux tout puissants laboratoires pharmaceutiques un certain nombre de règles de bonne conduite. La médecine à deux vitesses commence par la dérive des prix de vente des médicaments. Les prix sont libres et souvent élevés. Ce n’est pas en culpabilisant les médecins et les malades, en utilisant le médicament comme variable d’ajustement que l’on règlera durablement les problèmes du déficit de la sécurité sociale.

Mais vous le creusez encore en autorisant les laboratoires à fixer librement le prix des médicaments innovants qu’ils mettent sur le marché jusqu’à l’aboutissement des négociations tarifaires. On peut imaginer les conséquences sur les hôpitaux, déjà étranglés par le prix de ces spécialités.
Par ailleurs, votre projet de loi est muet sur des pans entiers de la santé publique, sur l’accès à certains soins, sur l’égalité et la qualité du service rendu. Je n’en prendrai que deux exemples :

- les disparités sociales dans l’accès aux soins mettent en évidence la nécessité de mettre en place une politique ambitieuse de prévention, notamment en matière de médecine scolaire et de santé au travail. Quelles sont vos propositions en ce sens ?
- le manque de spécialistes est criant, notamment en cardiologie, ORL, obstétrique, la psychiatrie est sinistrée ; or, vous ne proposez rien en matière de démographie médicale. Vous savez pourtant que toutes les professions de santé sont confrontées à un vieillissement préoccupant de leurs effectifs et que le renouvellement n’est plus assuré. Il serait donc urgent de relever le numérus clausus pour les médecins plus largement que vous ne le proposez, comme d’ailleurs pour les infirmières et les aides soignantes. Il faudrait aujourd’hui prévoir environ 40 000 places par an dans les écoles d’infirmières et 9 000 dans les facultés de médecine. En outre, pour rendre attractifs les métiers hospitaliers, il conviendrait de revaloriser les salaires et d’améliorer la gestion des carrières.

Sur tous ces points, force est de reconnaître que votre texte n’apporte aucune réponse.
Bien au contraire, vous mettez en place les prémices d’une privatisation à l’américaine de notre système de santé, dont on risque bientôt de ne plus dire qu’il est le meilleur au monde.
Déjà, des signes inquiétants en témoignent. J’ai pu lire dans un organe de la presse nationale dont les sources sont en général fiables que le gouvernement fait étudier depuis septembre un projet de nouveau partage des tâches entre la sécurité sociale, les mutuelles et les assurances privées. L’expert nommé est M. Jean-François Chadelat qui a été le directeur du service Innovation -santé du groupe AXA.
Voici les assureurs au secours de notre système de santé défaillant ! Je dois dire que rien ne me rassure moins que cela !
Lorsque je lis, en outre, le dernier opuscule de l’Institut Montaigne, "espace indépendant d’analyse et de réflexion"… présidé par M. Claude Bébéar, PDG d’AXA, là, je suis carrément inquiet. Et il se susurre que Gérard de la MARTINIERE, membre du Directoire d’Axa, serait promu à la présidence de la FFSA.

Dans un plaidoyer intitulé "Vers une assurance maladie universelle", qui prétend prôner l’égalité face à l’accès aux soins, on peut lire :
"Le panier de soins doit s’imposer." On y travaille à déterminer "quels sont les soins qui doivent faire l’objet d’un financement public et quels sont ceux qui peuvent être laissés à la charge des ménages, sans dommage pour la santé publique et la justice sociale". "Les biens et les services de santé non pris en charge au titre de l’assurance maladie universelle relèveront de l’assurance supplémentaire. Les mutuelles, les institutions de prévoyance, compagnies d’assurance, aujourd’hui payeurs aveugles qui interviennent en complément de l’assurance maladie devront devenir de véritables assureurs du risque maladie…"

On y puise des exemples sur le système américain, sur la traque aux prescriptions et actes "inutiles ou redondants".
Je pense avoir montré, même rapidement, que notre conception de la protection sociale est tout autre que la vôtre, celle du MEDEF. et des assureurs.

A la privatisation, à la restriction des moyens et des soins, nous opposons le maintien et le renforcement d’une sécurité sociale fondée sur la solidarité et l’égalité. Nous nous plaçons dans une optique de progrès social en affirmant qu’elle doit être encore plus solidaire, fondée sur l’égalité des droits et gérée démocratiquement. Nous estimons que les assurés eux-mêmes doivent retrouver la place qui leur revient pour élaborer les choix qui président à leur couverture sociale et à sa gestion. Monsieur le Ministre, ce PJLFSS 2003 se révèle être le budget de tous les dangers qui porte en lui une sécurité sociale à deux vitesses.
Nous nous y opposerons.

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