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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Sécurité sociale : motion d’irrecevabilité

Par / 18 novembre 2002

Par Guy Fischer

Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes Cher(e)s collègues,

Dans un article intitulé « Assurance Maladie : le faux procès » publié récemment dans le Monde (9 11 02), vous accusez, Monsieur le Ministre de la Santé, l’opposition d’agiter « le spectre honteux de la médecine à deux vitesses et celui de la privatisation de notre sécurité sociale… faute d’avoir des motifs sérieux de critique » de votre politique d’assurance maladie.

Je consacrerai les développements qui vont suivre à vous prouver que les parlementaires communistes formulent des griefs de fond contre ce projet de loi qui, mine de rien, pose des jalons pour préparer les bouleversements futurs de notre système de protection sociale.

Non, le gouvernement ne fait pas l’objet de procès d’intention. Concernant l’assurance maladie, les déclarations des uns, des autres, de Monsieur Barrot, faisant suite à celles du Premier Ministre, confirmées depuis par Monsieur Fillon, concernant le champ de compétence de l’assurance de base et de l’assurance complémentaire ne sont pas innocentes. Ce sont autant de ballons d’essai lancés pour commencer à conditionner l’opinion publique, lever certains tabous pour que demain, à l’occasion des textes que vous annoncez, - loi de programmation sur la santé ou loi portant sur la nouvelle gouvernance de l’assurance maladie -, vous puissiez faire accepter la mise en concurrence des assurances dans le domaine de la santé.
L’idée n’est pas nouvelle. Elle est régulièrement avancée comme étant la solution pour maîtriser les dépenses de santé.

Le député que vous étiez hier, Monsieur le Ministre, n’a-t-il pas plaidé dès 1998 en faveur d’un autre partage des rôles pour un système de santé qui, selon vos propres termes « concilie la fin du monopole avec le maintien d’une solidarité ? »
Le Medef présentant en novembre 2001 sa vision de l’architecture de l’assurance maladie n’a-t-il pas proposé d’introduire une dose de concurrence dans notre système de santé ? Il n’y a dans votre position et celle du Medef aucune place au hasard mais une même et unique volonté.
Les enjeux présidant à la mise en place d’un panier de soins remboursables à 100% approuvé par le parlement garanti par l’assurance maladie obligatoire, couplé à une assurance facultative pour les autres soins ou à la concentration de la solidarité nationale sur les maladies les plus graves laissant les autres risques, ce que Monsieur Barrot nomme « le maintien en santé » aux assurances complémentaires, sont les mêmes.

Il s’agit bien évidemment de réduire drastiquement le champ des risques couverts solidairement par notre système de protection sociale pour ouvrir encore davantage ou, plus exactement, comme l’a déclaré Marc Blondel pour « céder une partie de la santé au système marchand ».
Or, quelle que soit la conception de la concurrence mise en place : - « entière » comme pratiquée aux USA par le biais des acheteurs de soins privés ou, partielle permettant aux assureurs d’accéder à des segments de marchés à l’instar de l’Allemagne - ; « la concurrence ne fait pas de miracle » comme le titre très justement l’enquête publiée dans le magazine « Liaisons sociales » de ce mois.
Les résultats en matière d’évolution des dépenses de soins sont loin d’être si convaincants que cela. Par contre, la qualité des soins, du système de santé apparaît très largement dégradée.

La situation en Allemagne n’est pas meilleure. La semaine dernière, les professionnels de santé ont manisfesté pour marquer leur rejet du nouveau plan d’austérité.
Le quotidien du médecin (12.11.2002) rapporte très objectivement d’ailleurs que le gouvernement a décidé de rapporter une mesure introduite en 1995, permettant aux assurés sociaux de s’affilier auprès de la caisse de leur choix « mesure pourtant censé diminuer les cotisations en faisant jouer la concurrence ».
L’exemple des Pays-Bas qui s’inscrit dans une pratique encadrée de la concurrence montre que la relative stabilité des dépenses de santé dans le PIB doit être attribuée, non pas à la concurrence instaurée mais, je cite notamment Jean Kervasdoué (professeur en économie de la santé au CNAM) « qu’elle est le résultat d’une moindre qualité de l’offre de soins et d’un rationnement qui se traduit par des listes d’attente importantes ».

Nous ne caricaturons nullement les intentions de ce gouvernement. Si les syndicats ont unanimement et vigoureusement réagi contre les propos du chef de file de l’UMP, c’est bien, Monsieur le Ministre, parce que ces déclarations sont attentatoires à un droit fondamental : le droit à la santé. Et que, plus globalement, elles tournent le dos aux principes fondateurs de la sécurité sociale.
Le débat sur la redéfinition de la place de la solidarité nationale que vous relancez aujourd’hui notamment en chargeant Monsieur Jean-françois Chadelat d’animer un groupe de travail sur ce thème, dépasse très largement les seules considérations comptables.
La CFE-CGC craint « un retour en arrière de plus de cinquante ans, dans la mesure où on ne soignerait de manière solidaire que les graves maladies ou les plus démunis… » D’aucuns avancent que, le système français de protection sociale ne seraient plus adapté aux besoins contemporains.

Notre système s’est construit dans un contexte historique, économique et social particulier. Pour autant, la philosophie qui l’anime demeure fondamentale à nos yeux. Le choix de réponses solidaires a indiscutablement permis de construite la modernité de notre société tout en accompagnant les réformes nécessaires à la France.
Au-delà de la couverture contre les aléas de la vie, la sécurité sociale s’est révélée être un formidable instrument à construire une société plus juste, plus égalitaire.
Pour sauvegarder ce système, lui permettre d’appréhender les nouvelles formes d’insécurité sociale, il convient, non pas de changer les règles tant du mode de financement que celles relatives à la gestion selon le schéma que vous tracez. A savoir un financement via l’impôt et non plus les cotisations sociales et, par conséquent, la fin du paritarisme.

Pour élargir le périmètre de la protection sociale, nous devons choisir de consacrer à la santé mais, également aux retraites et demain à la dépendance ou au handicap, une part importante de la richesse nationale produite par le travail de chacun et faire contribuer au financement de la protection sociale l’ensemble des revenus.
Attachons-nous également à donner du sens à ce que vous appelez « la nouvelle gouvernance » du système de santé, notamment en reconnaissant la juste place de chacun des acteurs, partenaires sociaux, mutuelles mais également, celle des assurés sociaux, de l’ensemble de la population.
De ces deux aspects essentiels selon nous, votre projet de loi ne contient aucune trace.
Certes, aujourd’hui, le discours de la droite à l’initiative en 1995 du Plan Juppé est différent concernant la maîtrise comptable des dépenses de santé.

Vous communiquez fort bien, Monsieur le Ministre, sur l’inévitable croissance dynamique des dépenses de santé en raison notamment du vieillissement de la population et des innovations technologiques ou, sur la nécessaire évolution des soins au regard des besoins. Je serai presque tenté d’applaudir ce soudain excès de bon sens.
Toutefois, l’essentiel, c’est-à-dire la question de la réforme du financement de la protection sociale fait défaut.

Après impact des dispositions relatives aux recettes, augmentation des droits sur les tabacs et sur l’alcool principalement et des mesures d’économie sur le médicament notamment, le déficit du régime général devrait être contenu sous la barre des 4 milliards d’euros fin 2003 !
Qu’en est-il dans ces conditions du principe constitutionnel d’équilibre financier ?
Votre attitude fragilise d’autant plus la situation financière du régime général que les choix faits par ailleurs, en matière de politique de l’emploi principalement, ne sont pas de nature, loin s’en faut, à doper les rentrées de cotisations.
Je fais référence bien sûr, à la priorité donnée par ce gouvernement aux allègements de cotisations patronales, qui n’ont d’incidences positives ni sur l’emploi ni sur la protection sociale.

En n’anticipant pas sur le long terme au manque structurel de recettes, votre projet de loi, Monsieur le Ministre, s’affranchit des exigences posées aux dixième et onzième alinéas du préambule de 1946 ; préambule qui fait partie intégrante du bloc de constitutionnalité. Quid d’une politique de solidarité envers les retraités, les personnes dépendantes, les familles ? Quid du droit à la santé, dans ces conditions ?
Faute de mesures notables de nature à accroître les ressources de la sécurité sociale, les asseoir durablement, vous gérez, comme vos prédécesseurs, a minima poursuivant les pressions pour rationner les dépenses.
Le rapport de l’Inserm rappelle pourtant, si besoin est, que les inégalités sociales en matière de santé ne tendent pas à se résorber mais, bel et bien à s’étendre.
Dès cette année, vous entendez « responsabiliser les assurés sociaux ». Après avoir pénalisé les patients demandant une visite à domicile, alors que cette dernière n’est pas justifiée, en leur faisant payer de leur poche le dépassement tarifaire, vous nous proposez dans le présent texte, de valider d’autres baisses de prestations : le déremboursement de médicaments dont le service médical rendu n’est pas avéré ou, le remboursement du princeps sur le générique.

Tous les ingrédients sont réunis - lourds déficits, restriction du périmètre de la protection sociale, pénurie de personnels et asphyxie de l’hôpital, - pour que demain vous justifiiez la privatisation du système actuel.
L’interview que vous avez donné au journal du dimanche (17 11 02) ne fait qu’enfoncer le clou. Récusant les propos de vos partenaires de la majorité vous en appelez tout de même « à sortir du tout gratuit ». C’est une véritable provocation ! Non seulement les Français financent directement par leur travail la couverture de base obligatoire. Mais, cette dernière n’ayant eu de cesse de se réduire, sauf à renoncer aux soins, dans leur grande majorité, les assurés sociaux ont dû adhérer à un second étage de protection.

Vous entendez revoir les relations du couple, assurance maladie, régimes complémentaires. Non pas pour reconnaître aux mutuelles, je dis bien aux mutuelles, le rôle essentiel qu’elles jouent et les considérer comme des partenaires à part entière mais pour changer la manière dont les risques sociaux et sanitaires seront pris en charge par le régime de base.
Vous avancez sur l’élargissement de l’accès de tous nos concitoyens à la couverture complémentaire, à travers une aide, un crédit d’impôt, dela l’idée développée par le Président de la République durant la campagne électorale.
Nous avons nous-mêmes, à l’occasion de débats antérieurs sur la CMU ou sur les lois de finances, défendu un certain nombre de positions pour aider les Français à souscrire à une complémentaire maladie.
Désormais, les perspectives de ce débat sont tout autres, dans la mesure où votre proposition est le complément nécessaire, la première étape de la réforme que vous projetez pour la sécurité sociale.

Un nouveau partage des rôles avec les mutuelles mais également, même si vous omettez de le dire, les assurances privées, non pas à périmètre constant mais à la baisse pour la couverture de base. Réforme qui s’accompagnera nécessairement de nouveaux transferts de charges supportées une nouvelle fois par les assurés sociaux.
Par conséquent, nous n’entendons pas contribuer à alimenter par un crédit d’impôt le développement de grands groupes d’assurance, dont les valeurs sont étrangères aux valeurs mutualistes dans le champ de la santé.

« Politiquement, la maîtrise médicalisée est plus facile à faire accepter que la maîtrise comptable… Chacun sait qu’en l’état actuel des choses, à quelques détails près, le résultat est le même ». Une fois de plus, je vous cite, Monsieur le Ministre de la santé.
Vos propos (débat PLFSS 1998 à l’Assemblée nationale) se passent de commentaire ! Vous n’attendez aucun résultat des quelques vieilles recettes que contient votre projet concernant l’assurance maladie.
La suppression du mécanisme de sanctions financières des lettres clés flottantes à l’encontre des médecins n’est qu’affichage.

Le réalisme de l’ONDAM n’est que poudre aux yeux.
Fixé à 5,3% l’ONDAM reste très inférieur à l’évolution tendancielle des dépenses maladie constatée ces dernières années (7%). La Fédération hospitalière de France estime à 6,1% le taux de progression de l’ONDAM nécessaire à la poursuite du bon fonctionnement des établissements.
La dotation pour les hôpitaux ne progresse que de 5% !
Mercredi, en Conseil des Ministres, vous allez, Monsieur le Ministre, présenter votre plan Hôpital 2007. Sur la forme, permettez-moi de le regretter.
Nous n’avons décidément pas l’ensemble des éléments pour éclairer dès à présent nos choix.

Sur le fond, puisqu’il est question d’aménager les 35 heures à l’hôpital selon vous « parce que nous manquons de personnels qualifiés », je suis obligé de vous reprocher une fois de plus votre manque de volontarisme en la matière. Rien dans ce projet de loi n’étant entrepris pour effectivement commencer à résoudre la question du manque chronique de personnels de santé.
Qu’en est-il par conséquent du contrôle réel et sérieux du parlement sur les lois de financement de la sécurité sociale, principe à valeur constitutionnelle ?
Il ne suffit pas de vouloir la sincérité budgétaire, encore faut-il la traduire en acte. En gardant les circuits complexes de financement du FOREC ou en mettant à contribution la CADES pour rembourser les dettes de l’Etat à la sécurité sociale, au titre des allègements de cotisations patronales (1,2 milliards d’euros) manifestement, vous n’empruntez pas ce chemin.
Même si pour l’essentiel le PLFSS pour 2003 est consacré à la maladie, les autres volets, parce que trop modestes, appellent aussi quelques remarques particulières.

Concernant la branche accidents du travail-maladies professionnelles, votre texte, Monsieur le Ministre, recèle une contradiction majeure. Il reconnaît implicitement les phénomènes de sous déclarations des accidents du travail et maladies professionnelles et, le problème des transferts de charges entre cette branche et la branche maladie mais, parallèlement, le rapport annexé fait référence au gel des taux des cotisations patronales. Par ailleurs, la santé au travail, demeure le parent pauvre de votre politique de prévention.

Concernant la branche famille, sur le plan strictement constitutionnel, l’amplification du transfert sur la branche famille du coût de la majoration de 10% de la pension vieillesse pour les parents ayant élevé trois enfants et plus est discutable.
A juste titre, les parlementaires de droite n’ont jamais managé leurs critiques vis-à-vis du gouvernement précédent, qui a initié cette mesure. Il est vrai qu’elle prive la branche famille de recettes (946,6 millions d’euros) utiles pour développer l’aide aux familles et ce, dès le premier enfant ou pour mettre en œuvre une vraie politique de libre choix en matière d’accueil des jeunes enfants.

Dans sa décision du 26 décembre 2001, le Conseil constitutionnel que vous avez saisi, Messieurs, a écarté le grief de la rupture d’égalité entre les familles, en prenant soin de préciser, comme vous le notez d’ailleurs, Monsieur le rapporteur (Lorrain), que le montant du transfert doit rester limité. Je doute que la disposition incriminée remplisse cette année cette condition.
Autre parent pauvre du projet de loi de ce gouvernement, la branche vieillesse. Là encore, les réformes à venir servent d’excuse pour ne rien entreprendre. Une fois de plus, le dialogue social que vous entendez privilégier n’aura pas résisté aux déclarations de Monsieur Fillon, qui témoignent que certains choix, les plus régressifs, sont d’ores et déjà arbitrés. Comme JP Le Duigou (CGT) je m’interroge sur le sens de l’allongement de la durée de cotisation, en situation de sous-emploi ou de retrait anticipé des salariés âgés sur le marché du travail.

De plus, ce que vous nous refusez à travers ce support législatif, vous vous le permettez par ailleurs.
Les déclarations du Ministre de la Fonction publique annonçant l’extinction progressive du congé de fin d’activité pour les fonctionnaires, à compter du 1er janvier 2003 ont, elles aussi, soulevées de très vives réactions de la part des syndicats. Un premier pas a été franchi sans concertation, avant la grande réforme, vers l’alignement de la durée de cotisations des fonctionnaires, nécessaire pour une retraite à taux plein, sur celle du régime général.

Au vu de l’ensemble des remarques que je viens de formuler, vous l’aurez compris, mes chers collègues, Monsieur le Ministre, nous rejetons le texte présenté par le gouvernement, qui ne répond en rien aux besoins des Français et met en péril leurs intérêts. Je vous invite donc à nous suivre en votant l’exception d’irrecevabilité et, à marquer ainsi votre attachement au système solidaire de protection sociale.

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