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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Un refus de corriger une iniquité caractérisée

Suppression des franchises médicales -

Par / 12 mars 2015

Rapporteur de la commission des affaires sociales.

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la commission des affaires sociales n’a malheureusement pas adopté ce texte, mais j’espère que nos échanges de ce matin feront bouger les lignes, et cela d’autant plus que nos débats en commission ont permis de montrer que personne ne croît à l’idée que les forfaits et les franchises médicales responsabilisent les patients.

Aucun d’entre nous, je pense, ne trouve non plus normal que les personnes en affection de longue durée, y compris les personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, soient particulièrement nombreuses à atteindre le plafond de 100 euros laissés à leur charge sous prétexte de dégager des fonds pour financer la lutte contre la maladie dont ils souffrent. Je rappelle que, dans son rapport annuel de 2013, la Cour des comptes a inséré une analyse de la politique de lutte contre la maladie d’Alzheimer. Elle a jugé – je cite – que « le lien ainsi fait entre la mise en place des franchises et leur affectation à des actions de santé publique apparaît artificiel. » Comment peut-on imaginer responsabiliser les patients alors qu’ils ne sont pas prescripteurs ? À titre d’exemple, notez qu’un cadre dépense 16 % de plus qu’un ouvrier en soins de ville, tandis qu’un ouvrier dépense 13 % de plus qu’un cadre en soins hospitaliers.

Que faut-il conclure ? Que les ouvriers ne sont pas assez responsables ni éduqués en termes de santé, ce qui les conduirait à se soigner au dernier moment à l’hôpital ? Ou plutôt que le coût des soins de ville, avec un remboursement de l’ordre de 50 % seulement, est dissuasif pour les plus modestes ?

Comme le souligne le rapport de l’IRDES de 2010, il existe une plus forte propension des franchises à affecter les personnes disposant de faibles ressources et celles en mauvaise santé, ce qui a pour conséquence « une perte d’accès aux médicaments ». D’ailleurs, comme elles sont forfaitaires, ces participations et franchises impactent davantage, par définition, les personnes aux plus bas revenus.

Cela questionne la logique sous-jacente de ces dispositifs, qui portent davantage et très clairement leur effet de responsabilisation ou de culpabilisation sur les malades les plus modestes.

Madame la secrétaire d’État, je sais que Mme Touraine – comme vous-mêmes, certainement – est particulièrement sensible à cet argument. Le 10 novembre 2014, Mme Touraine déclarait en effet : « Dans le contexte financier contraint que nous connaissons, nous refusons tout transfert de charges vers les patients : ni déremboursement, ni forfait, ni franchise ».

C’est sans doute ce qui vous a conduit à exempter, à partir du 1er juillet 2015, les bénéficiaires de l’ACS, c’est-à-dire 1,2 million de personnes ayant un revenu de 975 euros mensuels. Et pour mon groupe, il s’agissait, comme l’a dit Annie David, d’une première étape que nous avons soutenue.

La proposition de loi que nous présentons aujourd’hui devrait permettre, madame la secrétaire d’État, d’en franchir une seconde en supprimant, pour toutes et tous, franchises et forfaits qui sont en réalité des déremboursements purs et simples.

Quel est l’obstacle qui nous en empêche ? Pour revenir aux débats en commission, j’ai surtout noté une certaine résignation financière de la part de la majorité de mes collègues. Ils se disaient que comme 1,65 milliard d’euros manqueraient à la sécurité sociale si l’on supprimait les franchises et les forfaits, ceux qui les payaient pouvaient continuer à le faire en attendant des jours meilleurs.

C’est là, me semble-t-il, un raisonnement largement partagé parmi celles et ceux qui s’opposent à cette proposition de loi. Il y a donc au mieux une politique des petits pas, au pire un refus de corriger une iniquité caractérisée. En effet, ces montants, qui ne s’appliquent qu’à une part de la population, contreviennent à un principe fondateur de notre système d’assurance maladie : la solidarité entre bien portants et malades. Ils entravent l’accès aux soins et proposent des économies de court terme en négligeant le risque de coûts supérieurs dû au non-recours aux soins.

Le professeur Didier Tabuteau de Sciences Po m’a fait part de ses vives inquiétudes sur ce sujet en matière d’accès aux soins et à la prévention. Il m’a également fait part de son inquiétude s’agissant de l’observance. Ainsi, une part significative des patients n’achète qu’une partie des médicaments qui leur sont prescrits du fait des franchises – plus précisément, plus des deux tiers des 12 % des personnes ayant modifié leur consommation de médicaments suite à la mise en place des franchises. On ne peut que s’interroger sur les effets de ces évolutions sur la santé et sur la prévention.

Le professeur Tabuteau rejoint ainsi l’analyse de l’ensemble des associations de patients et des syndicats que j’ai pu auditionner. À mes yeux, il est donc urgent de mettre fin à ces dispositifs.

Certes, il n’est pas question de priver la sécurité sociale de 1,65 milliard d’euros. Ainsi, la proposition de loi comporte un financement alternatif pour venir compenser l’augmentation des charges liées à la disparition du forfait et des franchises. Mais que ce soit la contribution additionnelle à la C3S ou une autre des ressources que propose le groupe CRC lors de chaque projet de loi de financement de la sécurité sociale, vous conviendrez que nous sommes très constants – comme notre collègue Annie David vient d’ailleurs de le rappeler.

La question fondamentale est celle des moyens que nous sommes prêts à consacrer aux besoins de santé des Français.

Faut-il donc sacrifier l’un des principes fondateurs de la sécurité sociale et faire reposer sur les malades, surtout sur ceux qui le sont le plus, le financement des soins parce que l’on refuse de mobiliser les ressources nécessaires à notre système d’assurance maladie ? Je ne le crois pas.

Certes, le Gouvernement n’a pas été inactif en exemptant les bénéficiaires de l’ACS, je l’ai déjà souligné, mais il n’est pas juste de s’arrêter au milieu du gué.

Un argument supplémentaire plaide en faveur de cette proposition de loi, madame la secrétaire d’État. Il concerne la généralisation du tiers payant, incompatible, de mon point de vue comme de celui des personnes auditionnées, avec le maintien des franchises et forfaits. Pour continuer à récupérer ces sommes, l’Inspection générale des affaires sociales a d’ailleurs dû imaginer des mécanismes complexes, notamment le prélèvement sur le compte en banque des assurés. Outre le caractère quelque peu choquant d’un tel dispositif, sa mise en œuvre me paraît complexe et, qui plus est, coûteuse.

J’ai d’ailleurs été particulièrement choquée que le directeur de la sécurité sociale ne puisse me fournir, lorsque je l’ai rencontré, aucun élément chiffré sur le coût lié à la récupération des franchises et des forfaits. Il m’a même affirmé que ces chiffres seraient encore plus difficiles à obtenir après les suppressions d’emplois prévues au sein des services de la sécurité sociale. Ainsi, d’un côté, on prône la simplification administrative et, de l’autre, on complexifie à outrance un système.

On ne peut indéfiniment concilier l’inconciliable, à savoir, d’une part, la justice sociale, qui repose sur la solidarité entre bien portants et malades et, d’autre part, la volonté de faire des économies, ces dernières reposant sur un transfert de charges des malades entre eux.

Mes chers collègues, la commission des affaires sociales n’est pas favorable à la proposition de loi, mais, à titre personnel, je ne peux bien évidemment que vous appeler à corriger une injustice flagrante et à faire preuve de cohérence politique en adoptant le texte soumis à notre examen.

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