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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Un renforcement du contrôle social par la contrainte

Soins psychiatriques : exception d’irrecevabilité -

Par / 10 mai 2011

Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, chers collègues, le règlement veut que la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité soit défendue après la clôture de la discussion générale. Cette règle, je le répète, me semble un peu bizarre. Peut-être faudra-t-il, un jour, la modifier. Cela étant dit, madame la secrétaire d’État, votre réponse n’était guère convaincante et ma défense de la motion d’irrecevabilité ne s’en trouvera pas gênée.

Pourquoi cette motion d’irrecevabilité ?

Tout d’abord, il faut savoir dire « non » à une politique dont la déclinaison sécuritaire dans tous les domaines est inquiétante et cache la dégradation tout aussi inquiétante des politiques publiques, en l’occurrence en matière de santé et particulièrement de santé mentale.

Ce projet de loi – le législateur est habitué à cette pratique – était annoncé par le discours du Président de la République à Antony, le 2 décembre 2008, qui peut se résumer ainsi : à la suite d’un épouvantable fait divers, le Président de la République « se faisait fort » d’empêcher que cela ne se reproduise, en généralisant la contrainte et l’enfermement.

Mme Christiane Demontès. Absolument !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le rapporteur pour avis de la commission des lois prend soin de dire qu’il faut éviter tout amalgame entre troubles psychiatriques, délinquance et dangerosité, et de rappeler que c’était le cas dans le projet initial de la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, sur lequel la majorité avait été obligée de « surseoir ».

D’ailleurs, notre rapporteur étaye son propos en précisant que les individus souffrant de troubles mentaux sont très rarement impliqués dans des actes de violence à l’égard de tiers – dans 3 % des actes de violence grave, me semble-t-il –, sont plus souvent victimes qu’auteurs des violences, soit sept à dix-sept fois plus que l’ensemble de la population, et sont souvent aussi, hélas ! auteurs de violences sur eux-mêmes, qu’il s’agisse de mutilations ou de suicides.

Pourtant, le texte qui nous est proposé est centré sur le faible nombre de patients susceptibles de présenter un danger pour autrui, non pas pour s’intéresser spécifiquement à eux, mais pour édicter des mesures concernant l’ensemble des personnes atteintes de troubles psychiques, soit plusieurs centaines de milliers.

Or pour l’ensemble des malades et de leurs familles, pour la société et, en l’occurrence, pour le législateur, la question qui se pose est celle de la dégradation de la psychiatrie, des moyens de l’hôpital public et de l’abandon de la psychiatrie de secteur.

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, cité par notre collègue, a récemment critiqué avec sévérité l’état des lieux actuel de l’hospitalisation psychiatrique et les effets du parti pris uniquement sécuritaire des pouvoirs publics, à savoir « le grand retour de l’enfermement pour tous les malades », par peur : peur des professionnels, les psychiatres, et peur des préfets, rappelés à leur responsabilité directe par une circulaire de 2010.

Il faut dire stop !

Les psychiatres, au-delà de leurs divergences – elles existent –, les personnels, tous ceux qui sont concernés – les malades, les familles, les associations – demandent une grande loi de santé mentale digne de notre époque.

Permettez-moi de rappeler les propos que tenait Lucien Bonnafé en 1985, propos toujours ô combien actuels : « Je pense que la loi qui se substituerait à la loi de 1838 devrait concerner l’organisation d’une médecine publique préventive et curative, ouverte à tous, mais particulièrement adaptée aux besoins des catégories de personnes que leur âge, leur maladie ou leur dépendance ne mettent pas toujours en mesure de prendre elles-mêmes l’initiative d’actions préventives ou de soins que leur état exige : malades mentaux, vieillards, enfants et adolescents, sujets soumis à la dépendance d’une drogue. »

Ce projet, rêvé, mais qui n’a jamais été mis en œuvre, est à la fois d’une grande actualité et tellement précurseur. Lucien Bonnafé précisait ainsi à l’article 1er du projet de loi qu’il imaginait : « L’autorité judiciaire ainsi saisie ayant tout pouvoir d’exercer les contrôles qu’elle estime utiles et d’imposer l’arrêt des traitements imposés et de la limitation des libertés, sous réserve d’entendre le malade lui-même, le médecin et, plus largement, ceux qui participent aux soins et aux contraintes, et l’entourage. »

Ce que vous nous proposez aujourd’hui est aux antipodes de ce qu’imaginait Lucien Bonnafé.

Aussi, après le refus général de légiférer à contresens sur la santé mentale, permettez-moi de dire, madame la secrétaire d’État, que le texte du Gouvernement continue de poser de sérieux problèmes de libertés. Je dis « continue », parce que le Gouvernement a dû modifier son projet de loi initial pour tenir compte, contraint et forcé, de la décision rendue par le Conseil Constitutionnel en novembre 2010 imposant l’intervention du juge des libertés et de la détention. Il a dû réviser, par lettre rectificative, le contenu du texte.

Or, si le Gouvernement tient compte de l’impératif posé par les juges constitutionnels d’une révision législative avant le 1er août 2011, il ignore le constat formulé en filigrane par le Conseil constitutionnel, à savoir que les soins psychiatriques pratiqués sous contrainte sont d’abord et avant tout des mesures privatives de liberté. Or votre texte, madame la secrétaire d’État, renforce considérablement tous les aspects des soins sous contrainte !

Comme le dit la Commission nationale consultative des droits de l’homme : « L’hospitalisation complète sans consentement devient l’une des phases ou modalités d’un parcours de soins sans consentement impliquant des obligations ou contraintes qui peuvent s’exercer en établissement, mais aussi hors des murs, au domicile ou dans d’autres lieux de vie, comme par exemple dans une habitation protégée ou dans une maison de retraite. »

Le malade passe par une sorte de garde à vue psychiatrique de soixante-douze heures, au terme de laquelle soit il demeure en hospitalisation contrainte, soit il est placé en soins ambulatoires sans consentement.

Dans le même temps, le projet de loi renforce l’hospitalisation sans consentement puisqu’il ajoute à l’hospitalisation contrainte et à l’hospitalisation à la demande d’un tiers, l’hospitalisation en l’absence de tiers, en cas de « péril imminent ».

On voit bien le sens de cette réforme : il s’agit de renoncer à une politique de secteur – la preuve en est que les moyens des secteurs ont disparu – et de renforcer le contrôle social par la contrainte, avec à la clé de nombreux problèmes, par exemple en ce qui concerne les soins ambulatoires sous contrainte, que vous semblez considérer, madame la secrétaire d’État, comme étant la panacée.

Vous tentez de gagner la confiance des familles, dont on comprend les souffrances, en leur affirmant que des protocoles rigoureux seront mis en œuvre. En réalité, il n’en est rien, comme l’atteste l’article 2 de ce projet de loi : en effet, bien qu’il y soit question d’un suivi thérapeutique, aucun n’en est organisé. Nous connaissons d’avance le seul protocole qui sera suivi : le non-respect du parcours de soins imposé aux patients, c’est-à-dire principalement le traitement médicamenteux, entraînera de facto l’intervention d’une équipe. Il s’agira non pas d’une équipe médicale ayant pour mission de tenter de rétablir la relation indispensable entre le patient et le soignant, mais d’une équipe médicale d’urgence, accompagnée, le cas échéant, des forces de l’ordre. Sa mission sera, au choix, d’injecter de force le traitement au patient ou de le conduire vers un nouvel établissement, où il sera de nouveau privé de sa liberté.

Ce dispositif n’est pas sans rappeler la rétention de sûreté. Vous faites comme si le patient était libre de refuser son traitement. Or ce refus entraîne immédiatement l’application d’une mesure privative de liberté !

Comme le soulignait Robert Bennett : « Si vous arrivez à contrôler le processus du choix, vous pouvez contrôler tous les aspects [d’une] vie ». Voilà comment, dans les faits, vous contraigniez les patients à opter pour un renoncement ou pour un autre : soit ils renoncent à leur liberté de mouvement, soit ils renoncent à un parcours thérapeutique construit, élaboré en collaboration avec l’équipe médicale. Nous comprenons les associations de parents ou de proches de personnes atteintes de troubles mentaux qui cherchent des solutions, mais le retour au domicile sans aucune forme d’accompagnement médical n’est pas la bonne solution, ni pour eux ni pour les malades, sauf à considérer que, un jour, les familles seront responsables du suivi par les malades de leur traitement…

Vous réduisez la psychiatrie au traitement de la crise, plus d’ailleurs dans un souci d’ordre public – soyons francs – que dans l’intérêt du malade. J’en veux pour preuve la circulaire mettant en place les schémas régionaux d’organisation sanitaire de troisième génération, les SROS 3, en psychiatrie : elle prévoyait clairement que la mission de la psychiatrie était de dépister les troubles et de mettre en place un traitement ou de traiter la crise, puis de passer la main au médecin généraliste.

J’en viens au contrôle de la privation de liberté, c’est-à-dire aux droits des patients, soit des centaines de milliers d’hommes et de femmes qui souffrent de troubles psychiatriques.

Le projet de loi ne manque évidemment pas de rappeler les droits et les possibilités de recours des malades – le Conseil constitutionnel veille ! Mais nous le savons, et le Contrôleur des lieux de privation de liberté l’a largement signalé, l’exercice de ces droits par des personnes moralement fragilisées et privées de contact avec des tiers est quasiment impossible.

Or le contrôle par le juge judiciaire au-delà de quinze jours que vous avez été obligés d’instituer est loin d’être conforme aux préconisations du Conseil constitutionnel en général, qui réclame une intervention dans un « délai le plus court possible, habituellement estimé à quarante-huit heures ». Alors que la période obligatoire d’observation de soixante-douze heures s’apparente à une garde à vue psychiatrique, le malade est loin de disposer des mêmes garanties que celles qui sont imposées aujourd’hui pour la garde à vue !

Par ailleurs, la question d’une intervention a priori du juge des libertés et de la détention méritait d’être posée, ce qui est loin d’être le cas.

De même, il est peu acceptable que le contrôle du juge judiciaire, qui se prononce – certes tardivement – après un délai de quinze jours en cas d’hospitalisation contrainte, ne porte pas du tout sur les soins ambulatoires sous contrainte.

Autre sujet de préoccupation : ce projet de loi opère un renversement des rôles entre autorité administrative et autorité médicale.

Les soignants deviennent des auxiliaires de police, puisqu’ils ont comme priorité la lutte contre les troubles à l’ordre public.

Quant aux préfets, ils se voient confier des pouvoirs supplémentaires, y compris dans le champ médical. Ainsi pourraient-ils désormais décider, contre l’avis du corps médical, de prolonger l’hospitalisation complète et sans consentement d’un malade hospitalisé d’office.

Les préfets pourront donc effectuer des choix à vocation thérapeutique sans avoir la formation adéquate, à moins que ces éventuelles décisions ne revêtent en réalité un aspect uniquement sécuritaire ? Si tel devait être le cas, il s’agirait évidemment d’une violation manifeste de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, qui a un caractère constitutionnel.

De la même manière, ce projet de loi renforce considérablement le processus applicable aux sorties thérapeutiques en substituant à une autorisation tacite du préfet une autorisation expresse. S’il n’était pas illégitime que le préfet soit informé de telles sorties, il n’est en revanche pas acceptable qu’il puisse s’y opposer, sa non-réponse étant une présomption de refus. Or ces sorties ont une vocation médicale et font pleinement partie du processus de soins. Il s’agit, selon l’article L. 3211-11 du code de la santé publique, de « favoriser [la] guérison, [la] réadaptation ou [la] réinsertion sociale » des personnes ayant fait l’objet « d’une hospitalisation sur demande d’un tiers ou d’une hospitalisation d’office ».

Si l’appréciation de l’état de santé mentale de la personne relevait jusqu’à présent des seuls médecins, tel ne sera plus le cas si ce projet de loi est adopté, car il légalise la circulaire du 11 janvier 2010, signée à la fois par le ministre de la santé et celui de l’intérieur.

Ajoutons que l’acceptation ou le refus de sortie par le préfet n’est pas susceptible de recours pour excès de pouvoir. Ce n’est pas acceptable !

Nous considérons également que le « casier psychiatrique » n’est conforme ni au principe du secret médical ni aux libertés fondamentales. Celui-ci est censé permettre aux préfets d’interrompre ou non l’hospitalisation sous contrainte. La circulaire susmentionnée préfigurait d’ailleurs cette situation, puisqu’elle exigeait que les circonstances de l’hospitalisation – dates, antécédents d’hospitalisation d’office – soient relatées.

Ce casier tend à faire croire que la psychiatrie est une médecine prédictive. Ceux qui défendent cette théorie font mine de croire, ou veulent faire croire, qu’il serait possible de deviner le comportement d’une personne malade sur le seul fondement d’un historique. Ils ne croient pas à la notion de guérison ni même à celle d’évolution. Cela fait écho à la théorie du criminel-né de Lombroso : certains seraient nés pour devenir criminels.

Ce fichier, qui donne plus de prérogatives aux préfets, crée ainsi, discrètement, mais sûrement, une nouvelle police : la « police sanitaire », la famille et les médecins devenant tout à tour des délateurs éventuels et des auxiliaires de police.

Au surplus, le projet de loi prévoit que le recours engagé contre la décision du juge des libertés et de la détention de lever la mesure d’hospitalisation complète sera suspensif. Or l’effet non suspensif des recours est un principe de portée générale ; il a un caractère fondamental, en liaison étroite avec la présomption de légalité des actes administratifs dont résulte leur force exécutoire immédiate. Cette dérogation est largement attentatoire aux droits des personnes.

Enfin, il n’est pas acceptable de proposer le recours à la visioconférence dans les rapports entre le juge et les personnes hospitalisées en psychiatrie. Indépendamment de la question des moyens, comment osez-vous seulement penser à une pareille mesure ?

Ce projet de loi, mes chers collègues, est nourri par la défiance à l’encontre des médecins, que l’on oppose aux citoyens, et la peur, alimentée notamment par les discours de ceux qui voudraient nous faire croire à une société sans risques.

Le poète portugais Alexandre O’Neill a écrit : « Je pense à tout ce que la peur va posséder et j’ai peur, c’est justement ce que la peur attend de moi ». Je refuse que cette peur, instrumentalisée à dessein, l’emporte sur la raison, qu’elle se nourrisse sans raison d’elle-même, qu’elle gagne sur les libertés individuelles et sur l’humanité.

Je vous invite donc, mes chers collègues, à refuser cette vision désespérante de l’autre et à voter cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.

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