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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Ce texte maintient les travailleurs dans une fausse indépendance

Modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes : exception d’irrecevabilité -

Par / 15 novembre 2021

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec le projet de loi ratifiant l’ordonnance du 21 avril 2021, le Gouvernement a souhaité légiférer de manière discrétionnaire sur un sujet dont l’objet est pourtant l’écoute et le collectif : le dialogue social.

Le droit à la contradiction des travailleurs des plateformes de mobilité n’a d’ailleurs jamais existé. Tout a été imposé à ces travailleurs : leurs prix, leurs prestations et maintenant même leur négociation collective. Par sa mise en œuvre, cette négociation ressemble surtout à un service organisé. Les marges de manœuvre de ces travailleurs restent donc très limitées, parallèles inquiétants de leurs conditions de travail. C’est une atteinte de plus à leur autonomie, mais plus grave encore, une atteinte à nos principes constitutionnels.

En effet, ce texte porte atteinte aux principes fixés dans le Préambule de la Constitution de 1946 relatifs au droit du travail et des salariés, ainsi qu’aux règles législatives du dialogue social, et ce pour trois raisons, madame la ministre.

D’abord, le Gouvernement n’a pas respecté l’article L. 1 du code du travail, qui prévoit une concertation préalable obligatoire entre les organisations syndicales et patronales.
Ensuite, le Gouvernement n’a pas respecté la décision du 26 janvier 2017 du Conseil constitutionnel, qui a rappelé que, aux termes du premier alinéa de l’article 38 de la Constitution : « Le Gouvernement peut, pour l’exécution de son programme, demander au Parlement l’autorisation de prendre par ordonnances, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. »

Enfin, le recours aux ordonnances sur les modalités de représentation des travailleurs indépendants recourant pour leur activité aux plateformes est contraire à l’esprit du Constituant de 1958 : le Gouvernement doit rattacher sa demande d’habilitation à l’exécution de son programme, au sens de l’article 49 de la Constitution, sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

Je rappelle en outre que nous avons récemment débattu dans cet hémicycle de la menace que représente pour notre démocratie le recours aux ordonnances. Je fais ici référence à l’examen de la proposition de loi constitutionnelle garantissant le respect des principes de la démocratie représentative et de l’État de droit en cas de législation par ordonnance, déposée par notre collègue Jean-Pierre Sueur.

M. Olivier Jacquin. Bravo !

M. Pascal Savoldelli. À quoi sert une ordonnance si ce n’est à se prémunir contre l’avis du Parlement ? À quoi sert-elle si ce n’est à s’assurer le plein contrôle d’un dialogue social creux ? Ce texte maintient les travailleurs dans une fausse indépendance, comme le rapporte la Cour de cassation.

Le terme « social » utilisé dans l’intitulé du projet de loi ferait presque passer cette ordonnance pour un texte vertueux. Or nous savons qu’un certain nombre de ces travailleurs sont sans papiers. Comment, dès lors, assurer l’expression d’une pleine majorité, les travailleurs précaires étant peu armés pour participer aux joutes de la négociation ?

L’équilibre des relations est encore loin d’être trouvé, ce qui porte fortement préjudice à ces livreurs et à ces chauffeurs, victimes d’un délit dorénavant officiellement caractérisé : le travail dissimulé.

En définitive, cette ordonnance conforte les plateformes dans une situation de contrôle, voire de pleine domination. Quant aux travailleurs, ils devraient se satisfaire du mieux que rien ! Alors que ces derniers ont fait part, lors de leur audition par la mission Mettling chargée de rédiger le projet d’ordonnance, de leur souhait que la protection sociale soit exclue du champ du dialogue social, vous avez choisi – énième preuve de l’importance que vous leur accordez – d’ignorer leur demande et déposé en catimini un amendement tendant à insérer un article 50 bis dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2022, que le Sénat a modifié vendredi dernier.
Ce fait s’inscrit d’ailleurs dans une longue liste d’indices constituant presque un aveu de complicité.

D’abord, alors que les jurisprudences de la Cour de cassation ont reconnu le lien de subordination entre les plateformes et leurs travailleurs, le Gouvernement a inscrit dans la LOM la possibilité pour les plateformes de rédiger, factuellement, mais toujours de manière unilatérale, des chartes relatives aux conditions de travail sans que ces textes puissent être invoqués devant les juges comme indices de subordination. Cette disposition a été censurée partiellement par le Conseil constitutionnel au motif que le législateur avait ainsi permis aux plateformes de fixer des règles relevant de la loi.
Ensuite, la mission confiée à Jean-Yves Frouin par l’exécutif sur le statut de ces travailleurs a d’emblée écarté le salariat au motif qu’« il ne constituait pas l’hypothèse envisagée par les pouvoirs publics ».

Par ailleurs, dans son rapport adopté par le Parlement européen, l’eurodéputée de la majorité Sylvie Brunet a proposé qu’une présomption réfragable d’une relation de travail s’applique aux travailleurs contestant leur statut. De même, les hautes juridictions de plusieurs pays européens requalifient à leur tour la relation commerciale des travailleurs avec les plateformes en relation de travail.

En d’autres termes, vous avez raison contre la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel, le Parlement européen, vos eurodéputés et de nombreux pays européens. Vous avez raison et les autres ont tort !

La forme et le processus d’adoption amphigourique de cette ordonnance achèvent d’en faire la démonstration : c’est dans la LOM qu’avait été intégré un amendement permettant au Gouvernement de légiférer par ordonnances pour organiser la représentation des travailleurs. Ces ordonnances ont ensuite été complétées par un projet de loi afin de fixer les prérogatives de l’autorité de régulation des plateformes, puis de nouveau par d’autres ordonnances pour définir les objets du dialogue social ! C’est une usine à gaz ! Tout cela pour des élections qui n’auront lieu qu’en 2023, alors que les travailleurs sont dans l’urgence sociale depuis quatre ans déjà.

Ce texte ne définit aucun objet de négociation du dialogue social : ni prix, ni caractéristiques, ni modalités d’organisation des prestations. Belle conception du dialogue social ! Vous faites même fi, madame la ministre, des propositions formulées dans son rapport par la mission d’information sénatoriale portant sur l’ubérisation de la société et l’impact des plateformes numériques sur les métiers et l’emploi, à l’instar de la proposition n° 6, qui a recueilli l’unanimité de la mission : « fixer les thèmes obligatoires du dialogue social avec les plateformes, en y incluant la question de la tarification des prestations et de la rémunération des travailleurs ».

Les auditions que mes collègues et moi avons menées dans le cadre de cette mission d’information ont pourtant permis d’identifier des solutions concrètes, comme le fait de consacrer dans la loi le principe d’une rémunération minimale pour les travailleurs, base sécurisante de négociation avec les plateformes.

Et que dire des algorithmes que la mission d’information a qualifiés de « véritable chaîne de responsabilité » ? Alors que la mission insiste dans son rapport sur la régulation du management algorithmique afin de garantir l’indépendance réelle des travailleurs, le mot « algorithmique » ne figure même pas dans votre projet de loi. Puisqu’il n’y figure pas, il ne contient pas non plus le mot « management ». Comme cela, on est tranquille !

C’est pourtant grâce à cet outil, vous le savez, madame la ministre, que les plateformes de mobilité structurent, organisent et contrôlent l’activité économique qu’elles ont créée, plaçant ainsi leurs travailleurs dans une dépendance économique. Il est donc fondamental que la négociation collective s’empare de ce sujet.

Nous continuons de penser que, avec ce texte, vous tentez d’éviter l’inévitable, alors que la plateformisation de l’économie que vous défendez n’a jamais fait la preuve de sa rentabilité. Vous qui êtes si attachée à la liberté d’entreprendre et à l’autonomie des travailleurs indépendants, vous contribuez à les priver de leur autonomie, puisqu’ils ne peuvent pas négocier leurs contrats.

Sans définir les objets du dialogue social, notamment le prix et les conditions de travail, ce projet de loi méconnaît jusqu’au principe même guidant la négociation collective. En effet, l’article 2 de la convention n° 154 de l’Organisation internationale du travail (OIT) définit la négociation collective comme s’appliquant à : « toutes les négociations qui ont lieu entre un employeur (...) et une ou plusieurs organisations de travailleurs (...) en vue de (...) fixer les conditions de travail et d’emploi ». Votre ordonnance ordonne, mais ne règle rien.

Telles sont les raisons pour lesquelles notre groupe a choisi de déposer une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité sur ce projet de loi.

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