Affaires sociales
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Cette proposition de loi passe à côté des enjeux essentiels de la santé au travail
Prévention en santé au travail -
Par Cathy Apourceau-Poly / 5 juillet 2021Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi visant à renforcer la prévention en santé au travail transcrit dans la loi l’ANI signé le 10 décembre 2020 par le patronat et par une partie des organisations syndicales de salariés.
Cet accord sur de nouvelles mesures pour la santé au travail est déconnecté de la réalité de la situation des travailleuses et des travailleurs. Alors que la crise sanitaire a profondément bouleversé les organisations de travail, le texte ne prévoit aucune mesure sur l’encadrement du recours au télétravail.
Pourtant, les conséquences physiques et psychiques de l’isolement du télétravail, imposé et généralisé, ont été largement dénoncées. Aux fins de compléter le texte, notre groupe a déposé des amendements visant à conditionner le recours au télétravail à la signature d’une convention collective, à garantir un droit à la déconnexion et à assurer le financement des dépenses liées au télétravail.
Avec ce projet de loi déguisé, le Gouvernement veut faire oublier la suppression des CHSCT en 2017, profond recul pour les représentants du personnel et pour la santé et la sécurité des travailleurs – la pandémie a pourtant montré combien ils étaient essentiels.
Ce texte ne prévoit rien sur la mise en place d’une véritable politique de prévention primaire des risques professionnels prenant en compte la pénibilité des postes et l’usure professionnelle.
En réalité, la proposition de loi ne s’attaque qu’à une partie extrêmement réduite de la santé au travail. De nombreux sujets ne sont pas abordés, tels que la prise en compte de la pénibilité, la question du temps de travail, du travail de nuit et de la prévention des violences sexistes et sexuelles, ou encore la multiplication des licenciements pour inaptitude au poste de travail.
La proposition de loi se limite à renommer les SST en services de prévention en santé au travail, sans fournir de moyens supplémentaires ; elle crée un passeport prévention, mais celui-ci renvoie la responsabilité de la santé et de la sécurité sur chaque salarié, sans prendre en compte le travail réel et son organisation.
En outre, le texte introduit un rendez-vous de liaison entre le salarié et l’employeur, qui remet en cause la visite de pré-reprise en court-circuitant le médecin du travail. Ces rendez-vous sont pourtant fondamentaux dans la prévention des inaptitudes et permettent d’éviter les pressions managériales.
Face à la pénurie de médecins du travail, le Gouvernement a choisi de créer des médecins praticiens correspondants et de déléguer les fonctions et les missions du médecin du travail aux infirmières. Nous pensons, au contraire, que la situation exige d’augmenter le nombre de places au concours des médecins du travail, à revaloriser la formation dans les universités et à améliorer les conditions de travail.
La logique de rationalisation de la santé au travail justifie l’instauration d’une certification des services de prévention par des organismes privés, qui remplissent pourtant une mission de service public.
En autorisant les médecins du travail à accéder au DMP, vous prenez le risque de voir apparaître un certain nombre de discriminations à l’embauche. Les informations médicales du DMP des salariés pourraient par exemple dévoiler des cas d’affection de longue durée pour séropositivité…
Les garanties ne sont pas suffisantes pour nous rassurer. En effet, si l’accord exprès du salarié est prévu, comment allez-vous garantir l’absence de pression sur les salariés ou vous assurer que ce choix a été fait de manière éclairée ?
Le texte prévoit l’archivage du document unique d’évaluation des risques pour une durée minimum de quarante ans. La commission des affaires sociales a prévu la création d’un site internet pour l’archivage, géré par les organisations patronales.
Pour notre part, nous considérons que la traçabilité des expositions aux risques professionnels doit être confiée à un organisme public indépendant tel que la Caisse d’assurance retraite et de la santé au travail, la Carsat, ou la Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités, la Direccte. Évidemment, cette mission d’archivage nécessitera des moyens supplémentaires.
En conclusion, le texte ne prévoit aucune proposition pour de véritables droits pour les salariés et leurs représentants. Pourtant, les syndicats et les professionnels de la santé au travail en formulent : amélioration du suivi des salariés privés d’emploi, allongement des délais de contestation des avis d’inaptitude, rattachement des SST au travail à la sécurité sociale, rétablissement des CHSCT.
Enfin, mes chers collègues, je tenais à évoquer un point concernant nos travaux et notre rôle en tant que parlementaires. Un grand nombre d’amendements ont été déclarés irrecevables sur le fondement de l’article 45 de la Constitution : 44 amendements que nous avions déposés ne seront donc pas étudiés, parce qu’ils ont été considérés comme des cavaliers législatifs.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste votera contre cette proposition de loi, qui passe à côté des enjeux essentiels de la santé au travail !