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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Jackpot pour les laboratoires

Pénurie du médicament -

Par / 2 octobre 2018

Contribution du groupe CRCE au rapport de la Mission d’information sur la pénurie de médicaments et de vaccins.

Alors que les pénuries de médicaments et de vaccins se développent de plus en plus en France comme dans les autres pays européens, la création de la mission d’information à l’initiative du groupe « Les Indépendants » a permis de mener de nombreuses auditions afin d’établir les causes de ces carences et de proposer quelques pistes pour y remédier.

Nous tenons à saluer l’ampleur du travail conduit par le rapporteur de la mission d’information et remercier l’ensemble des personnes auditionnées pour la qualité de leurs réflexions sur les causes et les remèdes à apporter à ces pénuries.

Si nous partageons les constats établis par la mission concernant les pénuries dues aux défaillances des industriels privés, nous regrettons que les préconisations ne remettent pas davantage en cause la logique financière qui prévaut, ne permettant pas de garantir un égal accès aux soins pour toutes et tous.

Le médicament n’est pas un produit industriel comme un autre, c’est un bien commun de l’humanité qui peut soulager, soigner, guérir. Or, les laboratoires pharmaceutiques considèrent la production de médicaments comme la production d’un simple bien marchand, qui se doit d’être rentable. On ne parle pas ici de petites marges de bénéfices nécessaires pour vivre. Le marché mondial du médicament représente un chiffre d’affaire dépassant les 1000 milliards d’euros ! Profits considérables au détriment des besoins de santé des populations. D’autant que les grands laboratoires pharmaceutiques jouent sur tous les tableaux en prélevant, dans tous les pays du monde, les systèmes de prévoyance et les fonds publics comme, en France, celui de la Sécurité sociale.
Ce rapport d’information ne rompt pas véritablement avec cette logique. Ainsi, pourquoi vouloir proposer, pour assurer un retour de la production des médicaments en France, objectif que nous partageons, la baisse de la fiscalité pour les industriels du médicament qui bénéficient déjà largement des aides publiques ? Rappelons que ces multinationales de l’industrie pharmaceutique bénéficient déjà, dans notre pays, du Crédit Impôt Recherche (CIR) pour un montant d’environ 600 millions d’euros en 2012 .

Ainsi, la mise en place d’exonérations fiscales et d’aides publiques (propositions 3,4,5,6) seraient pour les laboratoires une aubaine ne garantissant absolument pas le non recours à la délocalisation de la production, une fois le temps de l’expérimentation achevé.

Seules des mesures coercitives seraient de nature à mettre un terme aux ruptures de stocks si dans le même temps la puissance publique disposait de sa propre capacité de production de médicaments. Instituer (proposition 8) un programme public de production et de distribution de quelques médicaments par la pharmacie centrale des armées et par l’agence générale des équipements et produits de santé est un premier pas positif vers une maitrise publique du médicament, ce que nous soutenons totalement puisque nous l’avions proposé dès le quinquennat de François Hollande.

De même, s’appuyer sur l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) est important mais ces missions de contrôle ne peuvent se faire à moyens constants. Contrairement au Projet de loi de finances pour 2018 qui avait supprimé 20 postes à l’ANSM, il faudrait recruter davantage de personnels et augmenter la dotation de l’Agence.

Le système actuel est gangréné par la recherche de profits et seule la sortie de la sphère marchande du médicament pourra mettre un terme aux ruptures de stocks. Cela passe par la création d’un Pôle public du médicament garantissant la transparence et la démocratie sanitaire via un Conseil national du médicament. Nous y reviendrons.

Les problèmes de pénuries étant communs à tous les pays européens, nous proposons que ce Pôle public du médicament soit mis en place en France et en Europe dans le cadre d’une politique commune entre les Etats-membres.

I. Les industriels responsables des pénuries de production des médicaments et de vaccins

A. La course aux profits se fait au détriment de l’approvisionnement des médicaments et des vaccins

Les pénuries de médicaments et de vaccins ont pour origine soit l’arrêt de fabrication imposée par les autorités de contrôles, soit les stratégies concurrentielles de certains laboratoires qui organisent la pénurie pour augmenter leurs tarifs (on estime qu’en 2017, plus de 500 médicaments se sont retrouvés en rupture de stock, soit 30% de plus qu’en 2016).
Ainsi en décembre 2017, la Haute Autorité de santé a remis un rapport sur la pénurie de vaccins contre les infections à pneumocoque qui concluait que « cette pénurie fait suite à des choix stratégiques des laboratoires Sanofi Pasteur et MSD Vaccins » et qu’ « un arrêt de commercialisation du vaccin Pneumo 23 a conduit à un déficit de la couverture des besoins de vaccination des populations concernées ».

Depuis des mois, les 200 000 malades de Parkinson doivent faire face à des ruptures de stocks de Sinemet, un médicament de fond utilisé dans leur traitement. Or, le réapprovisionnement n’est prévu que pour mars 2019, et les associations de malades tirent le signal d’alarme face au risque de rupture de soins dans les sept mois à venir.

Cet exemple récent est symptomatique de la pénurie de médicaments et de vaccins en France qui se développe dangereusement notamment pour les médicaments anti-cancéreux, ceux pour lutter contre la maladie de Parkinson, ou encore les vaccins.

Les stratégies de sous-traitance et de délégation ont démuni de leurs propres outils industriels, les grands opérateurs qui, lors de problème de sécurité ou d’anomalies constatées par les Agences sanitaires américaine, européenne, ou japonaise, sont obligés de stopper la fabrication dans le monde entier.
Les ruptures de stocks des médicaments et des vaccins représentent un danger pour les malades et en particulier pour les enfants et les personnes âgées, considérés comme plus vulnérables. Il en est de même lorsqu’un industriel décide de changer de formule et d’arrêter de produire l’ancienne avec toutes les conséquences que nous avons vues en matière de vaccination ou avec le Levothyrox, pour ne prendre que cet exemple.

B. Les défaillances des laboratoires privés engendrent un coût humain et financier pour l’hôpital et la Sécurité sociale

Outre les effets hautement préjudiciables pour les malades, ces pénuries de médicaments et de vaccins engendrent un surcoût pour les établissements de santé. Dans un contexte d’austérité budgétaire imposée à l’hôpital, les établissements sont obligés de consacrer des postes dont la seule mission est de gérer les pénuries de médicaments.

Ainsi, lors de l’audition de l’Ageps il nous a été signalé qu’au sein de l’AP-HP, la gestion des pénuries de médicaments et de vaccins représente 16 ETP (équivalent temps plein). On estime que chaque établissement de santé consacre 1 ETP uniquement aux recherches de sources alternatives d’approvisionnement.

Suite à la création des Groupements hospitaliers de territoires (GHT), un problème est apparu avec la nouvelle organisation des commandes. Alors que ces regroupements devaient permettre une mutualisation des achats et de fait une baisse des coûts, ils peuvent avoir une conséquence inverse. En effet, plusieurs établissements différents s’adressaient à des laboratoires différents, s’entraidant en cas de pénurie. Aujourd’hui, 1 GHT s’adresse à 1 laboratoire et se trouve plus facilement démuni en cas de crise du fait même de la concentration des productions sur un faible nombre de laboratoires.
Enfin, les pénuries engendrent un surcoût pour l’assurance maladie qui est obligée, d’une part, de renégocier les tarifs avec les laboratoires concurrents qui multiplient leur prix par trois ou cinq et, d’autre part, obligent à rechercher les produits équivalents disponibles dans les autres pays européens avec une dépense plus élevée. Or, ce sont les assuré-e-s sociaux qui payent finalement ce surcoût des médicaments. C’est donc une double peine pour les malades qui n’ont pas accès à leur traitement alors qu’ils cotisent au système de solidarité nationale.

II. Retrouver une maitrise publique dans la politique du médicament

A. La production publique de médicaments

Il est urgent de retrouver une maitrise publique du médicament qui assure la transparence des prix des médicaments, l’absence de pénurie et la démocratie sanitaire.

Actuellement, la puissance publique est totalement impuissante face aux pénuries car elle ne dispose pas d’outils pour produire elle-même les molécules et les médicaments. Pourtant il est indispensable de rétablir une gouvernance publique qui puisse palier les défaillances des industriels dans la fabrication des médicaments et des vaccins. Ainsi, comme le proposait Daniel Bideau, vice-président de l’UFC Que Choisir et membre du bureau de France Assos Santé « nous avons besoin dans le cadre d’un politique du médicament, d’une structure d’observation indépendante de la fabrication et de la distribution ».

La recherche de rentabilité des entreprises doit interroger dès lors qu’il s’agit de faire du profit sur les médicaments et donc sur la santé publique. Les tentatives de régulation du marché du médicament, menées jusqu’à présent, ont toutes échoué, et les laboratoires continuent de mener une guerre commerciale en surfacturant les médicaments en cas de défaillance du concurrent. Seul le retour de la puissance publique permettra de mettre fin à la marchandisation de la santé !

Les prix astronomiques de certains médicaments sont les conséquences d’un système opaque de négociation entre le Comité économiques des produits de santé (CEPS) et les représentants des entreprises du médicament. Loin de réguler les tarifs ou de garantir la disponibilité des médicaments, les décisions politiques de ces dernières années ont aggravé la situation actuelle.
Le crédit d’impôt recherche (CIR) censé favoriser l’emploi scientifique et l’investissement dans la recherche a été reversé aux actionnaires au détriment des salarié-e-s. Ainsi, l’entreprise Sanofi, qui a bénéficié d’un crédit d’impôt qui a plus que doublé entre 2008 (70 millions d’euros) et 2015 (150,7 millions d’euros), a supprimé dans le même temps plus de 5 000 emplois notamment dans la recherche.

Seule la puissance publique peut garantir aux patient.e.s la fourniture des traitements considérés comme pas assez rentables par certains industriels privés.

Ainsi, lorsque les pouvoirs publics ont appris dans les années 2008-2009, l’arrêt de la production de Mexilétine par le laboratoire, l’Agence Générale des Equipements et Produits de Santé (Ageps) a repris le produit pour le fournir aux patient.e.s pour lesquels il n’existait pas de traitement alternatif.

Les syndicalistes de l’entreprise Sanofi ont confirmé que « les industriels cherchent à réduire au maximum leurs coûts de production et privilégient la production à flux tendus en raison du caractère coûteux de la constitution et la gestion des stocks. » Contrairement aux industriels, la puissance publique peut investir sur plusieurs années et amortir les coûts de constitution et de gestion des stocks des médicaments indispensables pour la population.

Cette situation est d’autant plus insupportable pour les patient-e-s, que les laboratoires utilisent en réalité les ruptures de stocks pour augmenter leurs tarifs, car leur situation de quasi-monopole permet par exemple de surfacturer les produits lorsque le concurrent est défaillant.

B. Un pôle public du médicament en France et en Europe

Les pénuries de médicaments concernent chaque Etat européen
Les pénuries de médicaments et de vaccins démontrent l’urgence d’une politique alternative de santé avec la création d’un pôle public du médicament piloté démocratiquement par un Conseil National du Médicament. Au sein de celui-ci s’élaborerait la formulation des besoins de santé et se prendraient les orientations et les décisions en toute transparence associant aussi bien les représentant-e-s de l’Etat et de la Sécurité sociale, que ceux des professionnels du secteur et de leurs syndicats, de la recherche, du développement, de la production et de la distribution, des usagers, des élu-e-s nationaux et des collectivités territoriales sous forme de plusieurs collèges.

Ce conseil national du médicament devrait pouvoir décider de la production ou non de certains médicaments et vaccins « indispensables ».

Cette idée dépasse largement le cadre des parlementaires communistes comme l’a illustré l’audition de M. François Caire-Maurisier pharmacien en chef de la pharmacie centrale des armées, en préconisant que « l’Etat acquiert un site de production chimique fine pour les substances actives ». Il s’agit aussi d’une question de souveraineté nationale pour ne pas rester dépendants de laboratoires étrangers.

C’est le sens de notre proposition de décliner le pôle public du médicament au niveau européen. Ses missions comprendraient également le développement et le financement public de la recherche, sous contrôle citoyen, afin d’en assurer l’indépendance.

La Secrétaire général de la Ligue nationale contre le cancer, Mme Catherine Simmonin, proposait « de relocaliser la production des molécules de base irremplaçables, environ 36 en oncologie, sur un site européen contrôlé par la puissance publique européenne ».

Aujourd’hui, quels sont les outils juridiques à notre disposition pour permettre à la puissance publique de pouvoir intervenir efficacement ?
La licence d’office ?

En France, l’article L. 613-16 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que :
« Si l’intérêt de la santé publique l’exige et à défaut d’accord amiable avec le titulaire du brevet, le ministre chargé de la propriété industrielle peut, sur la demande du ministre chargé de la santé publique, soumettre par arrêté au régime de la licence d’office, dans les conditions prévues à l’article L. 613-17, tout brevet délivré pour :

a) Un médicament, un dispositif médical, un dispositif médical de diagnostic in vitro, un produit thérapeutique annexe ;

b) Leur procédé d’obtention, un produit nécessaire à leur obtention ou un procédé de fabrication d’un tel produit ;

c) Une méthode de diagnostic ex vivo.

Les brevets de ces produits, procédés ou méthodes de diagnostic ne peuvent être soumis au régime de la licence d’office dans l’intérêt de la santé publique que lorsque ces produits, ou des produits issus de ces procédés, ou ces méthodes sont mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés, ou lorsque le brevet est exploité dans des conditions contraires à l’intérêt de la santé publique ou constitutives de pratiques déclarées anticoncurrentielles à la suite d’une décision administrative ou juridictionnelle devenue définitive.

Lorsque la licence a pour but de remédier à une pratique déclarée anticoncurrentielle ou en cas d’urgence, le ministre chargé de la propriété industrielle n’est pas tenu de rechercher un accord amiable. »
Pour véritablement lutter contre les pénuries de médicaments, il faut, d’une part, rétablir des pouvoirs publics de production des médicaments et, d’autre part, lui donner la possibilité d’utiliser les outils à sa disposition pour dépasser les barrières de brevets des médicaments.

Or, quelles que soient les ministres de la santé, elles ont, jusqu’à présent, soutenu qu’il n’y avait pas matière à renforcer ce dispositif en l’introduisant sous forme d’amendements dans les différents projets de lois ayant trait à la santé tout en reconnaissant ne pas avoir les outils pour la mise en œuvre de cette licence d’office. Là où il n’y a pas de volonté politique….

Conclusion :

Les faits, le vécu de chaque citoyen.ne démontrent que les industriels privés ne sont pas en mesure de garantir aux malades l’approvisionnement continu de certains médicaments ou vaccins. L’intervention publique est donc indispensable à travers un Pôle public du médicament disposant, notamment, des capacités de production et de stockage. Une politique alternative de santé est possible et réaliste en s’appuyant sur les outils et l’expérience de l’Agence générale des équipements et produits de santé et de la Pharmacie centrale des armées.

La création d’un pôle public du médicament va de pair avec une totale transparence dans les décisions et donc la mise en œuvre réelle de la démocratie sanitaire. Il est en effet indispensable pour rétablir le lien de confiance entre les citoyen.ne.s et les autorités sanitaires de les informer ainsi que les professionnels de santé dès qu’un doute sur l’intérêt d’un médicament apparait.

Pour ces raisons notre groupe a refusé de voter en faveur du rapport de la mission dont les préconisations ne répondent pas à l’urgence de l’intervention publique pour stopper les pénuries de médicaments et des vaccins.
Plus que jamais le médicament est un élément stratégique dans toute politique de santé et il est urgent de le faire sortir de la loi du marché.

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