Affaires sociales
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
L’AGS a été créée pour protéger les salariés, et non les frais de justice
Régime de garantie des salaires -
Par Fabien Gay / 5 mai 2021Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’AGS, dont nous discutons aujourd’hui, est une structure qui, bien qu’imparfaite dans sa gestion, est fondamentale pour les salariés et les entreprises. Pourtant, elle est aujourd’hui menacée par une réforme à laquelle s’opposent des organisations syndicales et patronales.
Je remercie sincèrement nos collègues Bruno Retailleau et Serge Babary, ainsi que l’ensemble du groupe Les Républicains, de nous donner l’occasion d’affirmer ici la nécessité de préserver cette association essentielle.
Créée en 1973, l’Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés, dite AGS, garantit le versement de leurs salaires aux employés d’une entreprise en liquidation judiciaire, si celle-ci ne peut les prendre en charge.
Rien qu’en 2019, 1,5 milliard d’euros ont été avancés à 182 000 salariés et la quasi-totalité des avances a été versée dans un délai de cinq jours.
En ces temps de crise sanitaire, sociale et économique, dont les effets se feront sentir de manière durable, l’utilité de ce régime et son caractère fondamental ne peuvent être remis en cause.
L’AGS a été créée pour protéger les salariés, non pour payer les frais de justice : il est donc important de lui conserver son but initial, d’autant que, dans cette crise comme dans toutes les autres, les salariés se trouvent en première ligne. En outre, on ne compte plus les licenciements survenus au cours des derniers mois.
Mais surtout, c’est un second coup dur pour le monde salarial, car à la casse programmée du modèle de l’AGS s’ajoute, madame la ministre, votre réforme inique de l’assurance chômage, qui se concrétise notamment par la baisse des indemnités pour plus d’un million de personnes – l’Unédic l’a encore rappelé hier.
Quel est donc votre but, madame la ministre du travail ? Si vous vouliez souffler sur les braises de la colère sociale, vous ne vous y prendriez pas autrement.
L’AGS est financée par des cotisations patronales et une créance qu’elle prend sur l’entreprise en liquidation ; elle est ensuite remboursée en priorité, ce qui représente environ 25 % de ses ressources. Elle ne coûte donc rien à l’État – il est important de le rappeler.
Il est vrai que l’AGS n’est pas parfaite et que sa gestion mérite d’être discutée et débattue. Ce n’est pas un organisme paritaire, puisqu’elle est entièrement administrée par les organisations patronales. Débattons-en ! L’Unédic elle-même, qui en est responsable financièrement, n’a pas de droit de regard sur elle. Discutons-en ! Il est nécessaire de remédier à ces failles, qui sont certaines.
Mais au lieu d’ouvrir un débat sur sa transparence ou sa gestion, vous voulez en changer le but initial et ce n’est pas tout à fait la même chose !
Ce projet de réforme est issu de l’habilitation à légiférer par ordonnance contenue dans la loi Pacte, discutée au Parlement en 2019. Les organisations patronales et de salariés y sont unanimement et fermement opposées, ce qui vaut, en soi, qu’on s’y arrête.
Ce projet, nous dit-on, ne serait que la transposition de la directive européenne sur la restructuration et l’insolvabilité du 20 juin 2019. C’est là confondre, selon nous, transposition et surenchère, car rien dans cette directive ne concerne l’ordre de priorité des créanciers. Or c’est précisément cet ordre que votre gouvernement se propose de modifier.
L’AGS est aujourd’hui prioritaire, et c’est ce qui lui permet de reconstituer sa trésorerie. Cette réforme la verrait passer du troisième au sixième rang des créanciers. Le privilège actuel des salariés se verrait ainsi rétrogradé au profit des frais de justice, donc des administrateurs judiciaires et des banques.
Même si, dans une deuxième mouture, vous proposez de ne pas toucher au rang de l’AGS, vous remontez quand même les frais de justice au deuxième rang, donc avant celui de l’AGS, ce qui revient exactement au même !
S’il existe une difficulté pour payer les frais de justice des administrateurs et des mandataires – là aussi, vous en conviendrez, il faudrait davantage de transparence –, créons un fonds de garantie pour les payer, plutôt que de déstabiliser tout le système.
Les salariés se trouvent une nouvelle fois précarisés et encore davantage soumis aux aléas du marché et à la gestion de leur entreprise, dont ils ne sont aucunement responsables. Ils doivent en être préservés.
Avec cette réforme, le Gouvernement opérerait une transformation sérieuse, aux conséquences potentiellement majeures, puisqu’elle porterait atteinte aux fonds propres de l’association, alors que la hausse des dépôts de bilan attendue pour l’automne, avec la fin annoncée des aides publiques, nous enjoint de défendre clairement le superprivilège de l’AGS. Cela pourrait également conduire à une augmentation des cotisations pour les entreprises dans un contexte déjà difficile – elles pourraient être multipliées par trois.
Pour conclure, je veux rappeler que l’AGS est déjà affaiblie par l’ordonnance du 20 mai 2020, qui permet de racheter sa propre entreprise en liquidation, l’AGS et Pôle emploi se voyant ainsi contraints de liquider le passif de l’entreprise, y compris pour des groupes comme Mulliez.
Cette proposition de résolution s’inscrit dans la continuité de l’opposition des organisations syndicales et patronales. Le groupe CRCE la votera donc avec grand plaisir.