Affaires sociales
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Nous avons besoin de développer des capacités publiques de production et de distribution de médicaments
Création d’un pôle public du médicament et des produits médicaux -
Par Cathy Apourceau-Poly / 9 décembre 2020Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en juin dernier, en visite dans l’usine de vaccins de Sanofi à Marcy-L’Étoile, le Président de la République a fait de la souveraineté sanitaire de la France une priorité. Il a ainsi débloqué 200 millions d’euros d’argent public pour « financer des infrastructures de production comme de recherche et de développement ».
Dans sa déclaration de politique générale, le Premier ministre Jean Castex déclarait : « Nous avons atteint un niveau de dépendance qui n’est pas raisonnable, qui n’est pas acceptable » en biens et ressources stratégiques.
Or ces financements se font sans condition de contrôle citoyen sur les coûts de production de recherche et de développement.
Pis, ces entreprises versent des milliards d’euros de dividendes à leurs actionnaires tout en menaçant de licencier en France et en Europe. En pleine pandémie et crise économique et sociale, il est indécent que certains en profitent pour faire des profits sur la santé et la vie de millions de personnes.
Nous avons besoin de développer des capacités publiques de production et de distribution des traitements et des vaccins à l’échelle française et européenne pour que notre santé ne dépende pas des choix financiers de quelques grandes entreprises.
C’est le sens de notre proposition de loi portant création d’un pôle public du médicament et des produits de santé, fruit de longues réflexions, de fructueux échanges et de multiples rencontres.
En effet, dès 2006 et le scandale sanitaire du médicament Vioxx de la firme Merck, le président François Autain et les membres du groupe communiste républicain et citoyen ont proposé la création d’un pôle public du médicament, afin de « poser les bases d’une nouvelle règle du jeu plus respectueuse des objectifs de santé publique et d’assurer un rééquilibrage entre les différents acteurs du médicament : les agences, l’État, les citoyens, les médecins et l’industrie pharmaceutique ».
Depuis lors, la proposition a été mise en discussion avec les acteurs syndicaux, les associations, les professionnels de santé et les salariés de l’industrie pharmaceutique.
Alors que 2 400 ruptures de médicaments ont été constatées en 2020, l’arrivée de la pandémie de la covid-19 a accéléré la démonstration de l’urgence à extraire les médicaments de la loi du marché, pour répondre aux exigences de santé publique. En d’autres termes, de plus en plus de personnes sont convaincues de la nécessité de placer la santé au-dessus des intérêts financiers.
Ce fut le sens de ma question d’actualité du 1er avril dernier au ministre de la santé, face au manque de médicaments, de respirateurs et de masques et à la nécessité de mettre en place un pôle public du médicament fondé sur la réquisition des grands groupes pharmaceutiques.
Quelques semaines plus tôt, le ministre de la santé, Olivier Véran, avait répondu à ma collègue Laurence Cohen : « Nous ne pouvons pas rester totalement dépendants en matière d’accès aux médicaments : nous avons besoin d’autonomie, a minima européenne ».
Si même le Gouvernement envisage de le faire, c’est que l’arrivée de la pandémie, en février-mars 2020, les ruptures de stock de masques médicaux de protection, de respirateurs, de médicaments anticancéreux et, plus récemment, de vaccins contre la grippe ont donné du grain à moudre à notre proposition de loi.
L’exigence d’une reprise en main, par l’État, de la production et de la distribution de médicaments a été peu à peu reprise par des acteurs de tous bords, du monde politique comme associatif. Ainsi, le rapport sénatorial de 2018 de nos collègues Daudigny et Decool a repris l’idée d’une production publique de certains médicaments essentiels.
En juillet 2020, c’est la députée Dubost qui a proposé la création d’un établissement pharmaceutique capable de produire des médicaments au niveau européen.
En ce qui concerne le secteur associatif, des acteurs aussi divers que l’UFC-Que choisir, France Asso Santé, le Conseil consultatif national d’éthique, la Ligue contre le cancer ou l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament sont favorables à la création d’un pôle public de production et de distribution des médicaments considérés comme essentiels.
C’est la démonstration que, face aux pénuries persistantes et à l’actualité sanitaire, le rétablissement de souveraineté de la France s’est imposé comme la solution pour un nombre toujours plus important de personnes. Notre souveraineté sanitaire et notre souveraineté industrielle seront remises en question tant que nous ne serons pas en capacité de produire nous-mêmes des produits aussi essentiels.
La France paye les choix politiques de désindustrialisation et les délocalisations de la production des entreprises de médicaments en Asie du Sud-Est : voilà seulement vingt ans, quelque 80 % des principes actifs étaient produits en France ; ils ne sont plus que 20 % aujourd’hui, le reste étant produit hors de l’Union européenne.
Nous avons les potentiels pour relancer le mécanisme de réindustrialisation d’une filière française des médicaments essentiels. Il manque une volonté politique et des outils de pilotage publics.
La crise sanitaire a mis en évidence la dépendance de la France à une production largement réalisée à l’étranger. Et lorsque le Gouvernement évoque le rapatriement sur notre territoire de la production de médicaments, il ne l’envisage que pour le paracétamol, alors que les besoins sont beaucoup plus importants.
De la même manière, Sanofi envisage de rapatrier en Europe une partie de la fabrication des principes actifs. Toutefois, nous savons que son objectif est non pas de revenir en France, mais d’implanter ses usines en Europe de l’Est, où le coût de la main-d’œuvre est beaucoup moins élevé que chez nous.
Notre proposition de loi pose en creux la question de l’Europe libérale, qui monte les peuples les uns contre les autres, au détriment d’une Europe solidaire, qui nous protège, comme en témoigne l’initiative citoyenne européenne lancée par des dizaines d’organisations politiques, associatives et syndicales à travers toute l’Europe, en faveur d’un accès équitable aux futurs vaccins et traitements qui a commencé le 1er décembre dernier, à l’occasion de la journée mondiale de lutte contre le sida.
Je pense également à la question de la filière française du sang et des médicaments dérivés du plasma dont l’activité est menacée. La construction de la nouvelle usine, située près d’Arras, censée augmenter les capacités de production de médicaments dérivés du plasma devrait relever du périmètre du pôle public du médicament.
Les conséquences de la pandémie de covid-19 ont démontré l’urgence de sortir les médicaments et les vaccins du secteur marchand. C’est le sens de notre proposition de loi portant création d’un pôle public de production et de distribution des médicaments et des produits de santé, appuyé par un observatoire citoyen, afin de garantir la transparence des médicaments, et financé par la hausse de la fiscalité des assurances.
Ce texte va dans le sens du progrès. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je vous invite à le voter.