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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Nous estimons que ce texte est contraire à la Constitution et à notre histoire juridique

Loi Travail (seconde lecture) : exception d’irrecevabilité -

Par / 19 juillet 2016

Nous nous apprêtons à examiner en nouvelle lecture un texte qui sera adopté en force, avec des dispositions voulues par le Gouvernement mais qui n’ont pas rassemblé de majorité de gauche à l’Assemblée nationale.

Ce texte n’est d’ailleurs pas non plus voulu par une majorité de nos concitoyennes et nos concitoyens, profondément attachés au droit social, qui est le droit « de la vie du quotidien ». C’est bien là la raison pour laquelle la mobilisation est si forte contre votre projet de loi, madame la ministre !

Signatures en masse de pétitions, grèves, manifestations dans les rues, expressions sur les réseaux sociaux : ce sont autant de témoignages de l’attachement au travail et aux règles qui le régissent de tout un peuple qui vous demande de retirer ce texte ! Mais, à l’évidence, vous ne l’avez pas entendu.

Mme Nicole Bricq. Mme la ministre l’a écouté !

Mme Éliane Assassi. Entendre et écouter, ça fait deux !

Mme Annie David. Les salariés et leurs représentants sont en droit de participer aux débats sur ces sujets, comme sur tous les sujets qui les concernent.

En cet instant, j’adresse mon soutien plein et entier aux salariés de la société Ecopla, située à Saint-Vincent-de-Mercuze, dans le département dont je suis élue. Je forme le vœu que le jugement en cours de délibération soit en leur faveur, afin que la société coopérative de production Ecoplascop puisse voir le jour et que soient ainsi préservés à la fois leurs emplois et leur savoir-faire, unique en France ! Leur combat est exemplaire, contrairement à leur employeur, qui est parti en emportant la caisse… Leur slogan est simple : « Notre ami c’est l’emploi, Ecoplascop vivra ! » Madame la ministre, je souhaitais que la voix de ces salariés résonne dans cet hémicycle, pour que vous puissiez l’entendre et que vous leur apportiez votre soutien.

Quant à votre texte, essentiel pour le quotidien des salariés, il va être adopté sans avoir été débattu par l’Assemblée nationale, tandis que, comme les rapporteurs viennent de le rappeler, l’ensemble des propositions faites par le Sénat ont été rejetées. Droit d’amendement bafoué et refus de débattre en séance publique seront ses marques de fabrique !

En première lecture, lorsque nous avions déposé une telle motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, M. Capo-Canellas nous avait rejoints pour juger discutable la recevabilité de ce texte, présenté au Parlement sans avoir fait l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux. Il s’était cependant opposé à l’adoption de la motion, au motif qu’elle aurait privé le Sénat d’un débat utile et de toute possibilité d’expression. Chers collègues du groupe UDI-UC, qu’en est-il aujourd’hui, alors que le débat a bien eu lieu mais qu’aucune de vos propositions n’a été retenue ?

« Nous sommes des parlementaires, et ne pas débattre de ce projet de loi constituerait un déni de nos responsabilités », affirmait quant à elle Mme Bricq lors de la première lecture. Chère collègue, maintenez-vous ces propos, après deux adoptions par la procédure du 49.3 à l’Assemblée nationale ? (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)

Mme Nicole Bricq. Bien sûr, totalement !

Mme Annie David. À ce sujet, je rappelle que, contrairement à ce que prévoit la Constitution, aucune délibération en conseil des ministres n’est venue avaliser le second recours au 49.3. Cela renforce nos doutes quant à la constitutionnalité du présent texte, s’agissant en l’occurrence de sa procédure d’adoption.

Un autre élément nous interpelle : le non-respect par le Gouvernement de l’article L. 1 du code du travail. Cet article, bien connu du président Larcher, dispose que « tout projet de réforme envisagé par le Gouvernement qui porte sur les relations individuelles et collectives du travail, l’emploi et la formation professionnelle […] fait l’objet d’une concertation préalable avec les organisations syndicales de salariés et d’employeurs ».

Madame la ministre, en première lecture, vous nous avez indiqué avoir invité les partenaires sociaux à participer à des négociations sur la base du rapport Combrexelle ou sur le compte personnel d’activité.

Or ce sont bien aux projets de loi que fait référence le code du travail. C’est donc le texte dans son ensemble qui aurait dû faire l’objet d’une concertation avec les partenaires sociaux. Nous savons toutes et tous ici que cela n’a pas été le cas et que ce texte est donc, sur la forme, irrecevable.

M. Dominique Watrin. Très bien !

Mme Annie David. Sur le fond, nous estimons, comme en première lecture, que ce texte est contraire à la Constitution et à notre histoire juridique.

En effet, pour garantir l’égalité des citoyennes et des citoyens, la loi, expression de la volonté du peuple souverain, prévaut sur le contrat.

Ainsi, l’article 34 de la Constitution, qui définit les domaines d’intervention du pouvoir législatif, fonde le droit du travail et le droit syndical sur la loi.

Or l’inversion de la hiérarchie des normes, colonne vertébrale de votre projet de loi, comme vous venez de le réaffirmer, madame la ministre, est contraire aux dispositions de cet article, sur lequel le Conseil constitutionnel s’appuie régulièrement. Ce dernier n’accepte que par exception les transferts de compétences de la loi vers les accords d’entreprise. De même, sa jurisprudence établie en 2004 et en 2008 censure tout renvoi à l’accord d’entreprise de dispositions relevant de la Constitution, comme le droit au repos.

Au-delà des aspects purement juridiques, ce sont les valeurs de notre République « laïque, démocratique et sociale » que vous bafouez, en oubliant que la République est sociale grâce aux luttes syndicales et populaires qui ont émaillé notre histoire.

Aujourd’hui, vous reniez cet héritage historique tout en disqualifiant celles et ceux qui poursuivent ce combat progressiste en manifestant dans les rues, comme la Constitution leur en donne le droit.

L’inversion de la hiérarchie des normes n’est pas le seul point qui pose problème sur le plan juridique. Les accords « en faveur de l’emploi » portent atteinte à la liberté contractuelle, puisque l’employeur peut imposer une modification du contrat sans avoir à se justifier.

À cet égard, je citerai également les dispositions relatives aux licenciements économiques, qui varient selon la taille de l’entreprise. Outre qu’elle est contraire au principe d’égalité devant la loi, cette modulation ne s’appuie en rien sur la réalité des entreprises : la taille d’une entreprise n’a pas nécessairement de lien avec sa situation économique !

Enfin, j’insisterai sur le fait que vous remettez en cause nos engagements internationaux, à commencer par les règles fixées par l’Organisation internationale du travail, l’OIT. En 2012, le comité de la liberté syndicale de l’OIT jugeait une affaire très similaire, au sujet d’une réforme menée en Grèce et certainement pensée, comme c’est le cas pour la France, dans un bureau de la Commission européenne. (M. Dominique Watrin acquiesce.)

Voici un extrait des conclusions de ce comité de l’OIT :

« La mise en place de procédures favorisant systématiquement la négociation décentralisée de dispositions dérogatoires dans un sens moins favorable que les dispositions de niveau supérieur peut conduire à déstabiliser globalement les mécanismes de négociation collective, ainsi que les organisations d’employeurs et de travailleurs, et constitue en ce sens un affaiblissement de la liberté syndicale et de la négociation collective, à l’encontre des principes des conventions nos 87 et 98. »

Madame la ministre, ce comité n’est pas le porte-parole du parti communiste français ou d’organisations syndicales que vous jugez « réfractaires à toute réforme » : il est composé de neuf membres titulaires provenant des groupes « gouvernements », « employeurs » et « travailleurs », et il est présidé par une personnalité indépendante.

Pourtant, cette instance estime, comme nous, que l’inversion de la hiérarchie des normes et surtout la remise cause du principe de faveur nuisent fortement, quoi que vous en disiez encore aujourd’hui, à la qualité du dialogue social, ce qui est néfaste tant pour les syndicats que pour les entreprises.

Ainsi, en adoptant ce projet de loi, nous serions en infraction par rapport à la convention n° 87 de l’OIT, relative aux libertés syndicales, et à sa convention n° 98, relative à la négociation collective.

Nous serions également en infraction par rapport au pacte des Nations unies relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

À ce titre, le rapport établi par les experts du comité des droits économiques, sociaux et culturels est sans appel :

« Le comité est préoccupé par les dérogations à des protections acquises en matière de conditions de travail proposées par le projet de loi " Travail ", […] y compris pour accroître la flexibilité du marché du travail, sans qu’il soit démontré que l’État a considéré toutes les autres solutions possibles. »

Plus loin, le comité exhorte l’État français à « s’assurer que toute mesure rétrograde concernant les conditions de travail est inévitable et pleinement justifiée ; nécessaire et proportionnée à la situation ; non discriminatoire ».

Pouvez-vous nous assurer que ces précautions ont bien été prises par l’État ? Je ne le pense pas. Le simple fait que vous n’ayez pas pris le temps de la concertation avec les organisations syndicales en est une preuve.

Vous n’avez pas exploré toutes les solutions possibles pour créer de l’emploi et adapter, de manière progressiste, le droit du travail aux évolutions économiques et sociales. Je pense par exemple à la réduction du temps de travail, explorée pourtant il y a peu par un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales. Il est vrai que ce document ne vous a pas été transmis…

Vous avez accepté les propositions du MEDEF, tandis que vous refusiez d’écouter celles des organisations syndicales qui sont aux côtés des salariés et connaissent la réalité de l’entreprise. (Exclamations sur quelques travées du groupe Les Républicains.)

De même, vous n’avez pas écouté les représentants des PME, qui anticipent les conséquences catastrophiques, pour ces dernières, de cette nouvelle forme de dumping social.

En tant que parlementaires, nous refusons de participer à cette destruction d’acquis sociaux reconnus au niveau international.

Mes chers collègues, nous invitons celles et ceux d’entre vous qui n’avaient pas soutenu notre motion en première lecture, parce qu’ils pensaient encore que le dialogue était possible, à opposer avec nous l’exception d’irrecevabilité à ce texte.

Mme Françoise Férat. Mais bien sûr !

Mme Annie David. En outre, puisque nous n’avons pas la possibilité d’exercer seuls un recours auprès du Conseil constitutionnel, nous vous invitons à vous joindre à nous pour contester, sur la base des éléments que je viens d’exposer, la constitutionnalité de ce projet de loi.

Il y va du respect par la France de ses engagements internationaux, de son histoire et des valeurs qui fondent notre République.

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