Affaires sociales
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Nous souhaitons que nos concitoyens aient une fin de vie qui corresponde à leur volonté
Nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie -
Par Annie David / 16 juin 2015Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la fin de vie est un sujet sensible et particulier.
Si elle constitue par essence une composante de la vie, si elle fait partie pleinement de notre existence, nous ne pouvons nier nos difficultés à aborder cette question. Culturellement, nous n’avons en effet pas l’habitude de faire face à la mort, de l’accepter ou même d’en parler. Surtout, ce sujet renvoie, pour chacune et chacun d’entre nous, à des expériences personnelles, professionnelles ou familiales souvent marquantes, en tout cas douloureuses.
Les personnes en fin de vie et la mort elle-même sont trop souvent rejetées dans notre société. On administre et on technicise la mort en s’abritant derrière l’hôpital ou les EHPAD, dont ce n’est pourtant pas la vocation.
Notre premier rôle comme parlementaires est donc de se pencher sur cette question et d’engager une réflexion collective et citoyenne sur la mort dans notre société, afin d’esquisser les contours d’un « mieux mourir ». Il est en effet nécessaire d’encadrer les questions délicates et importantes que suscitent la fin de vie et ce, en visant trois grands objectifs prioritaires.
Tout d’abord, le développement des soins palliatifs pour toutes et tous, avec les moyens y afférents.
Ensuite, la meilleure application et la clarification de la loi Leonetti ; en effet, ce texte, s’il a représenté une avancée, a aussi montré ses limites au regard tant des directives anticipées, mal connues et trop rarement utilisées, que des solutions apportées au malade en fin de vie, encore insuffisantes.
Enfin, le respect de la volonté du patient ou de la patiente en fin de vie, et de sa dignité ; en effet le groupe communiste, républicain et citoyen se bat chaque jour, dans cet hémicycle, pour le « bien vivre », pour construire une société plus juste, garantissant à toutes et tous l’accès aux droits fondamentaux que sont le droit à la santé, au logement, au travail, à l’éducation, à la culture ou encore à la sécurité.
Or la lutte pour le « bien vivre » doit intégrer une lutte pour le « bien mourir » car le combat pour une vie digne ne peut être dissocié de celui pour une fin de vie digne. C’est d’autant plus vrai que, dans les moments douloureux de fin de vie, le sentiment de perte de dignité est particulièrement important ; il est lié à l’image que chacune et chacun a de soi-même, de sa dégradation dans la maladie et de son incapacité à accomplir les actes les plus simples de la vie quotidienne.
Il existe d’ailleurs autant de modalités de cette perception que d’individus, car celle-ci dépend de nos croyances et de notre vécu, mais aussi de notre personnalité et de nos relations familiales et sociales. Difficile, dans ce contexte, d’élaborer une loi qui laisse suffisamment de libertés, mais également de garanties, pour que nos concitoyennes et nos concitoyens bénéficient d’une fin de vie qui corresponde à leur propre définition de la dignité !
C’était l’ambition de cette proposition de loi ; malheureusement, il nous semble que, bien qu’il laisse une certaine souplesse pour traduire les volontés individuelles, le présent texte a pour défaut de laisser de côté un grand nombre de situations de fin de vie, donc de solutions pouvant être proposées.
La garantie du droit à mourir dans la dignité est d’abord mise en œuvre par le développement des soins palliatifs, qui doivent constituer la première grande priorité. Or tant la Cour des comptes que l’Observatoire national de la fin de vie soulignent l’insuffisance de moyens accordés aux soins palliatifs en France. Ainsi, seulement 20 % des personnes qui ont besoin de soins palliatifs peuvent en bénéficier ; par ailleurs, alors qu’une grande majorité de citoyennes et de citoyens aimerait mourir chez eux, entourés de leurs proches, environ 60% des décès ont lieu à l’hôpital.
L’offre moyenne de soins palliatifs est de 2,2 lits pour 100 000 habitants en, mais elle est très inégale sur le territoire : ce ratio passe en effet de 0,36 dans les Pays de la Loire à 5,45 dans le Nord-Pas-de-Calais et il varie au sein d’une même région.
En outre, l’offre de soins palliatifs reste trop concentrée dans les services hospitaliers. Ainsi, près de trois quarts des lits de soins palliatifs se trouvent dans les services de médecine, chirurgie, obstétrique des hôpitaux, tandis que l’offre est quasi inexistante dans les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes, ou EHPAD, et dans les autres établissements médico-sociaux, notamment ceux qui accueillent les personnes handicapées.
Enfin, la médecine palliative peine à être reconnue par la culture médicale, qui privilégie le curatif plutôt que l’accompagnement vers la mort. En ce sens, l’article 1er de la proposition de loi, qui, pour la première fois dans un texte sur la fin de vie, prévoit une formation des professionnels de santé sur les soins palliatifs, constitue une avancée. Nous aurions pu aller plus loin en proposant l’introduction d’un module d’humanité médicale transdisciplinaire, qui serait commun au personnel soignant et technique en fin d’études, mais aussi ouvert à des citoyennes et des citoyens auditeurs libres pouvant être un jour confrontés, comme bénévoles par exemple, à l’accompagnement à la fin de vie d’une personne.
Au-delà de cette suggestion et des mesures législatives portées par cette proposition de loi, il revient bien au Gouvernement d’allouer les moyens nécessaires au développement des soins palliatifs. Il s’agit en effet de développer une offre pérenne sur l’ensemble du territoire et de proposer des solutions qui répondent aux besoins des patients, en soutenant les équipes mobiles, qui peuvent accompagner le patient à son domicile, ou en accompagnant le développement des soins palliatifs en EHPAD.
Les soins palliatifs, qui ont pour vocation de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’à la mort, notamment en permettant de soulager la douleur, ont cependant leur limite.
Ainsi, dans le cas où le patient présente une souffrance réfractaire à tout traitement, il pourra lui être proposé de mettre fin à celle-ci par la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès ; c’est l’objet de l’article 3. Cette mesure figurant dans la présente proposition de loi ne constitue pas une avancée majeure par rapport à l’existant et concernera un nombre limité de patients : ceux qui sont atteints d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme.
En revanche, de nombreux cas de patients atteints d’une maladie grave et incurable mais dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme ne pourront être traités. De même, ce texte n’apportera pas de réponse aux patients placés dans un état de dépendance qu’ils jugent incompatibles avec leur dignité, ou qui font face à une souffrance physique et psychique grave. Malheureusement, l’actualité porte régulièrement à notre connaissance des cas particuliers, toujours douloureux, auxquels ce texte ne permettra pas d’apporter un soulagement.
Je rappelle les mots du Dr Danièle Lecomte : « Il y a peut-être une confusion entre douleur et souffrance. La douleur est effectivement le plus souvent maîtrisable. Mais on ne peut pas réduire le vécu douloureux de la personne en fin de vie à une composante physique accessible aux médicaments. La question est plus complexe. C’est celle de la souffrance, qui inclut des dimensions psychiques, émotionnelles, existentielles. La souffrance, on peut l’écouter, l’accompagner, mais on ne peut pas véritablement la traiter. »
C’est en réfléchissant à cette analyse que nous pouvons juger de la pertinence de la proposition portée par ce texte, et de ses limites. C’est également à partir de cette définition que nous pourrions poser la question de l’assistance médicalisée pour mourir, qui pourrait constituer une solution digne pour des patients en souffrance. C’est en tout cas le sens d’un amendement que certains de mes collègues et moi-même avons déposé pour en débattre en séance publique.
Ainsi, le principal changement apporté par le texte au regard du corpus législatif existant porte davantage sur les directives anticipées que sur les dispositions relatives à la sédation profonde et continue jusqu’au décès. En effet, la proposition de loi clarifie et renforce l’aspect contraignant de ces directives. À l’heure actuelle, peu de personnes ont rédigé les leurs ou même connaissent cette possibilité. En outre, lorsque celles-ci sont rédigées, elles ne sont pas considérées par la loi comme l’expression de souhaits et les médecins demeurent seuls décideurs.
L’apport de cette proposition de loi est donc de clarifier la manière dont ces directives doivent être rédigées, en proposant un modèle. Par ailleurs, ces directives figureront dans un registre national afin d’être facilement accessibles aux équipes médicales accompagnant le patient en fin de vie.
Surtout, le présent texte tend à ce que les directives s’imposent aux médecins. Cette disposition est primordiale : il s’agit de permettre au patient d’être maître des décisions qui le concernent.
Néanmoins, un amendement adopté par la commission des affaires sociales limite sa portée. En effet, il vise à permettre au médecin de ne pas appliquer les directives dans les cas où la situation médicale du patient « ne correspond pas aux circonstances visées par ces directives ». Si cette exception peut être entendue, nous ne souhaitons pas qu’elle réduise la possibilité pour un patient – ou pour ses proches – de décider de son sort.
C’est pourquoi nous avons déposé un amendement afin de rappeler que, lors de la procédure collégiale qui décidera de l’applicabilité des directives au regard de la situation médicale du patient, les éléments apportés par la personne de confiance primeront tout autre élément.
Toujours dans la logique de réappropriation par le patient ou par ses proches des décisions concernant la fin de sa vie, nous saluons l’affirmation, dans l’article 5, du droit du patient à refuser tout traitement.
C’est également dans cette logique que nous saluons l’apport de l’article 9, relatif à la personne de confiance, qui prévoit notamment que le témoignage de celle-ci, qui rend compte de la volonté du patient, prévale sur tout autre élément, à l’exception bien sûr des directives anticipées rédigées par le patient lui-même.
Toutefois, nous déplorons que la commission des affaires sociales ait supprimé la possibilité pour la personne de confiance d’accéder au dossier médical du patient. Il nous semble que c’est nécessaire pour qu’elle puisse participer activement et en toute connaissance de cause aux décisions concernant la fin de vie du patient.
De même, nous déplorons la suppression par la commission des affaires sociales de l’article 14, qui prévoyait que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur le développement de l’offre de soins palliatifs.
En effet, nous l’avons évoqué, cette question est suffisamment cruciale pour être mise à l’ordre du jour des discussions entre le Parlement et le Gouvernement. La remise d’un rapport constituerait à ce titre un moment annuel privilégié à même de ranimer et de faire perdurer le débat et permettrait que, enfin, certaines mesures soient prises et des moyens soient alloués à la médecine palliative.
Malgré les lacunes de ce texte concernant certaines situations, le groupe communiste républicain et citoyen salue les avancées qu’il prévoit.
Mobilisés sur ce débat, nous présenterons un certain nombre d’amendements à même d’élargir la portée du texte, de renforcer le rôle des directives anticipées et de la personne de confiance, ou encore d’adapter le texte au cas particulier des polyhandicapés ou des personnes très vulnérables.
De plus, nous resterons vigilants sur la politique mise en œuvre par le Gouvernement en matière de soins palliatifs.