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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Un projet inspiré par Bruxelles et le Medef

Loi Travail -

Par / 13 juin 2016

Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après un dialogue social tronqué, après l’utilisation passée et peut-être à venir du 49.3 à l’Assemblée nationale, le débat parlementaire qui s’engage au Sénat sur le projet de loi Travail risque d’être unique. Il en suscite d’autant plus l’intérêt des Français à la veille d’une grande manifestation nationale pour exiger son retrait, et dans le cadre d’un mouvement de contestation et de grèves qui a mobilisé des millions de Français et qui perdure sans faiblir depuis trois mois.

Ma première attention sera pour ceux qui souffrent le plus de la situation de l’emploi : je veux parler des jeunes en rupture, des jeunes en galère ; des jeunes instruits, souvent qualifiés, mais soumis au bizutage social des CDD à répétition et de l’intérim.

Certes, madame la ministre, comme vous l’avez déjà fait, vous nous parlerez de la généralisation de la garantie jeunes, de droits nouveaux à la formation pour les jeunes décrocheurs ou de la prolongation des bourses universitaires. Ces mesures ont été saluées positivement par l’Union nationale des étudiants de France, l’UNEF, et l’Union nationale lycéenne, l’UNL.

Très franchement, croyez-vous que c’est en rendant plus flexibles les CDI, en faisant des salariés des variables d’ajustement encore plus souples des stratégies financières des grands groupes, en rendant les contrats de travail modifiables à merci, et même jetables, que vous combattrez la précarité et redynamiserez l’économie ?

Notre rejet de votre projet de loi s’appuie d’abord sur la justification que vous affichez de son utilité et de sa nécessité. Selon vous, il y aurait un lien de causalité entre degré de rigidité supposée du code du travail et chômage. C’est votre droit d’adhérer à cette logique, plutôt libérale, il est vrai. Mais même l’OCDE a fini par conclure qu’il n’était pas possible d’établir un tel lien !

Avec mes collègues du groupe CRC, nous croyons plutôt que votre projet constitue davantage une réponse, une concession, voire une soumission aux recommandations de la Commission de Bruxelles. J’ai ici le document du 14 juillet 2015. S’il le faut, je vous lirai les injonctions qu’il contient !

Mes chers collègues, vous serez sûrement nombreux, sur la majorité de ces travées, à invoquer des exemples empruntés de l’étranger. Notre pays serait irréformable, perclus de conservatisme ; il faudrait donc enfin engager les prétendues réformes suscitées…

Nous avons, me semble-t-il, l’avantage du recul dans le temps pour au moins deux pays.

Le premier est le Royaume-Uni. J’observe d’ailleurs que vous citez de moins en moins cette catastrophe sociale, où le contrat « zéro heure » et les « sous-SMIC jeunes » ont abouti à une explosion des petits boulots, de la précarité, de la pauvreté.

Le second est l’Allemagne, dont je sais que beaucoup font un modèle de flexisécurité. Or le salaire moyen a sensiblement reculé, et 40 % des Allemands occupent aujourd’hui des emplois atypiques. Où est la culture du compromis ? Où est le « gagnant-gagnant » ?

Et, en l’Italie, le bilan du Jobs Act de Matteo Renzi est déjà contrasté, la Confédération générale italienne du travail, constatant déjà une baisse de 1,4 % des salaires avec les nouveaux contrats de travail.

J’évoquerai enfin l’Espagne, dont vous saluerez évidemment la baisse du taux de chômage, mais en oubliant probablement de souligner l’exil massif des jeunes.

Madame la ministre, pour défendre le bien-fondé de votre projet de loi, vous mettez en avant l’argument selon lequel il serait soutenu majoritairement par les syndicats de salariés. Lors de votre audition, vous avez même déclaré : « Les syndicats représentant la majorité des salariés –CFDT, CFTC, CGC et UNSA – sont favorables aux avancées que le projet comporte. »

M. Didier Guillaume. C’est vrai !

M. Dominique Watrin. Effectivement, il est primordial qu’une loi ayant pour objectif le développement du dialogue social ait a minima le soutien de la majorité des organisations syndicales de salariés ; je vous rejoins complètement sur ce point.

Or, et vous le savez comme moi, la CGC, que vous avez mentionnée, est aujourd’hui hostile à la philosophie générale de votre texte. D’ailleurs, son président demande même aujourd’hui la suspension du débat parlementaire sur le projet de loi Travail.

Voilà donc un texte qui n’a le soutien ni de la majorité des salariés ni de leurs représentants, qui est rejeté par plus de 70 % des Français, que vous avez fait passer par la force du 49.3 à l’Assemblée nationale et qui sera encore minoritaire au Sénat. Cela fait tout de même beaucoup ! Cela explique aussi les nombreuses tensions et grèves multiples qui affectent notre pays. Voilà pourquoi nous demandons la suspension du débat parlementaire et le retour à la table des négociations ! De grâce, ne vous entêtez pas plus : saisissez les perches qui vous sont tendues !

Par ailleurs, madame la ministre, vous avez soupçonné notre groupe de fuir le débat, en me répondant lors de la séance des questions d’actualité. Rassurez-vous : le débat de fond, nous l’aurons, grâce aux 402 amendements que nous avons déposés. Ils nous permettront de démontrer les régressions et reculs sociaux qu’entraînerait l’adoption de votre texte.

L’article 2 ne contient pas moins de cinquante-sept pages pour poser la primauté de l’accord d’entreprise sur la loi et les accords de branche. Comme le disait la représentante de la CGT à la table ronde syndicale : « Cela aura pour effet de faire voler en éclats le socle commun, mis en place dans le code du travail, de protection et de garanties collectives dont bénéficient les salariés. […] Les salariés les plus fragiles, ceux qui sont isolés […], seront donc encore davantage défavorisés. […] Avec ce projet de loi, on inverse le processus et on entame, de ce fait, une course au dumping social. »

L’article 10, qui porte sur la légitimité des accords collectifs, est surprenant ! Comment pouvez-vous affirmer vouloir renforcer les syndicats dans la négociation d’entreprise et, en même temps, permettre à une minorité syndicale de remettre en cause une position prise par des syndicats représentant plus de 50 % des salariés ? Je ne comprends pas, et je ne suis probablement pas le seul !

L’article 11 concerne les accords dits « de préservation et de développement de l’emploi ». Au moins, vous assumez la filiation avec les lois de droite Fillon, Sarkozy-Bertrand, Warsmann et les douze accords dits de « maintien de l’emploi », dont vous tirez un bilan curieusement positif. Pourtant, les sacrifices acceptés par les salariés n’ont empêché ni suppressions massives d’emplois ni fermetures de site ! Maintenant, vous voulez autoriser ce type d’accords même lorsque l’entreprise ne connaît pas de difficultés économiques. Pour quels intérêts, selon vous ?

Enfin, avec l’article 30, en sécurisant les licenciements sans cause réelle ni sérieuse, vous répondez ainsi au vœu le plus cher du MEDEF ces dernières décennies. C’est un comble !

Les précisions apportées à l’Assemblée nationale ne redonneront aux syndicats aucune des possibilités d’interventions que votre gouvernement a enlevées dans le cadre des lois précédentes ! Je parle ici des plans de sauvegarde de l’emploi, ou PSE, qui écartent maintenant les institutions représentatives du personnel, les comités d’entreprise, de toute possibilité d’intervention pendant deux ou quatre mois après l’annonce d’une fermeture de site !

En revanche, avec cette loi, vous limiterez le pouvoir d’appréciation du juge sur le bien-fondé du motif économique des licenciements. C’est inacceptable !

Vous le voyez, notre groupe manifestera une opposition résolue au projet de loi tel qu’il est issu du 49.3, et avec la même détermination, aux surenchères de la droite intégrées au texte issu de la commission des affaires sociales, sur l’initiative de la majorité sénatoriale.

D’ailleurs, chers collègues de droite, je vous le dis franchement, vous avez fait fort : flexibilisation à outrance des dispositifs d’aménagement du travail ; facilitation encore plus poussée des licenciements économiques ; nouveaux reculs sur la reconnaissance et la prise en compte de la pénibilité du travail ; doublement des seuils sociaux, c’est-à-dire suppression de la représentation syndicale dans un projet de loi dont vous partagez pourtant le principe et l’objectif affiché de développer le dialogue social à l’entreprise ; apprentissage dès quatorze ans : travail de nuit des apprentis ; enfin, cerise sur le gâteau que vous offrez au MEDEF, les 39 heures !

Cela illustre d’ailleurs parfaitement notre analyse. En somme, vous enjoignez aux salariés de négocier à 37 heures ou à 38 heures payées 35,…

M. Jean-Baptiste Lemoyne, rapporteur. Non ! Payées 37 ou 38 heures !

M. Dominique Watrin. … faute de quoi ce sera 39 heures !

Certes, vous n’êtes pas allés jusqu’à proposer la durée légale du travail à 39 heures ; vous avez évoqué seulement une durée de référence. Peut-être que ce qui se passe dans la rue et dans les entreprises vous inquiète aujourd’hui. Mais va pour les 39 heures tout de même, puisque ce qui compte pour vous, c’est d’afficher le programme présidentiel.

Madame la ministre, soyez rassurée. Nous combattrons avec la même vigueur les propositions de la droite sénatoriale. Je veux simplement vous dire que nous avons passé l’âge des jeux politiciens.

Ne croyez surtout pas qu’en défendant dans cet hémicycle un texte aussi brutal contre le monde du travail, vous puissiez vous prévaloir, face aux surenchères de la droite, d’une quelconque vertu d’équilibre. En effet, si la droite a fixé à 39 heures le seuil de déclenchement des heures supplémentaires, c’est aussi parce qu’elle s’est appuyée sur l’article 2 de votre texte. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)

Mme Éliane Assassi. C’est logique !

M. Dominique Watrin. D’ailleurs, elle n’a pas demandé la suppression de cet article qui permet aux employeurs de contourner toujours plus l’obligation de rémunérer les heures supplémentaires et de ne payer que 10 % les huit premières, contre 25 % aujourd’hui.

Mme Éliane Assassi. La porte était ouverte !

M. Jean-Pierre Caffet. Quel jésuite !

M. Dominique Watrin. Je le répète : la matrice commune, c’est Bruxelles ; c’est le MEDEF ! Je sais d’ailleurs que certains socialistes ne sont pas loin de penser la même chose !

Mes chers collègues, nous aurons aussi à cœur, au cours des débats, de montrer que nous ne sommes pas pour le statu quo. Nous pensons que le code du travail reste à améliorer pour prendre en compte les nouvelles précarités du travail et les évolutions technologiques.

Nous portons l’exigence d’un véritable dialogue social dans l’entreprise, ce qui ne pourra pas se réaliser sans droits nouveaux d’intervention des salariés et de leurs représentants.

Nous ferons donc de nombreuses propositions sur différents champs : pour promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes et lutter contre la précarité dans les services et l’aide à domicile ; pour une médecine du travail de prévention et de reclassement, et non de sélection ; pour faciliter la reconductibilité des contrats saisonniers ; pour combattre à la racine le travail détaché illégal.

À l’ère du numérique, du développement des plateformes sophistiquées, mais qui reproduisent en réalité les formes les plus primitives de l’exploitation, nous nous attacherons aussi à faire émerger de nouveaux droits, un véritable statut pour les « uberisés ».

Plus généralement, les progrès technologiques vont considérablement et durablement modifier le travail. On estime ainsi que ces évolutions auront des effets sur 50% des emplois salariés et des métiers actuels d’ici à vingt ans.

Au regard d’un tel bouleversement, on ne peut pas se contenter d’un compte personnel d’activité. Il s’agit aussi de prendre le contrepied des logiques actuelles, par la réduction du temps de travail, la formation, mais aussi le partage des richesses.

Plutôt que les 39 heures ou la flexibilité à outrance, mettons en débat le passage aux 32 heures d’ici à 2021 sans perte de salaire !

En un mot, et c’est là notre divergence de fond, les membres du groupe CRC estiment que le progrès social ne peut pas résulter de la régression de chacun. Au contraire ! C’est dans le développement des droits économiques, culturels, syndicaux, coopératifs et sociaux que l’on fraiera le chemin d’une société et d’une économie efficaces, au service de tous !

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