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Affaires sociales

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Une atteinte grave au droit de grève

Effectivité du droit au transport -

Par / 4 février 2020

Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, sous couvert d’assurer l’effectivité du droit au transport, porte une atteinte grave au droit de grève, constitutionnellement garanti par les jurisprudences du Conseil constitutionnel, du Conseil d’État et de la Cour de cassation.

À vrai dire, nous ne sommes pas surpris de cette initiative, dont l’objet est de « signaler » aux usagers des transports en commun qu’en soutenant massivement le mouvement de grève de ces dernières semaines, ils n’ont en fait rien compris : en réalité, la grève, ça les dérange, et la droite sénatoriale va régler ça !

Vous avez une vision manichéenne des choses, mes chers collègues, qui oppose les pauvres usagers, d’une part, et les méchants grévistes, de l’autre. C’est oublier que l’exercice du droit de grève implique des sacrifices.

Des sacrifices financiers, d’abord : je pourrais brandir ici des fiches de paie du mois de janvier où figure un net à payer de 0 euro !

M. Bruno Sido. C’est normal !

Mme Éliane Assassi. Des sacrifices psychologiques, ensuite : je pense aux représailles diverses exercées par les directions d’entreprise et aux décisions insolentes, pour ne pas dire insultantes, prises envers les grévistes, comme celle de récompenser les non-grévistes par des primes allant de 300 à l 500 euros !

Par ailleurs, comment ne pas voir de vraies convergences d’intérêts entre les grévistes et les usagers ? En effet, toutes les dernières grèves dans le secteur des transports se donnaient pour objectif la défense du service public, et donc de l’intérêt des usagers, face aux velléités de démantèlement et de libéralisation.

Votre vote du pacte ferroviaire et de la loi d’orientation des mobilités, la LOM, entraîne en effet directement la dégradation du service et la galère quotidienne pour l’ensemble des usagers, celle-là même que vous dénoncez aujourd’hui.

En définitive, ce sont bien les politiques d’austérité, et non pas l’usage du droit de grève par les agents du service public, qui prennent en otage les usagers.

J’évoquerai maintenant le contexte particulier dans lequel ce texte est débattu.

Est-ce là la réponse de la majorité sénatoriale au rejet massif de la réforme des retraites ? Dans une situation de tension sociale majeure, où un pouvoir « droit dans ses bottes » remet en cause les fondements du pacte républicain issu du programme du Conseil national de la résistance, votre groupe s’attaque aux grévistes pour les contraindre à rentrer dans le rang en courbant l’échine.

Vous vous en prenez aujourd’hui aux transports de personnes, mais j’ai le sentiment que votre ambition est plus large. Ce que vous voulez, c’est bel et bien retirer aux salariés le droit ultime dont ils disposent pour défendre leurs intérêts, les laissant vulnérables et impuissants dans la guerre sociale menée par ce gouvernement contre tous les conquis sociaux.

M. François Bonhomme. Il ne faut pas exagérer !

Mme Éliane Assassi. Ce faisant, vous êtes les alliés de ce pouvoir rétrograde (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) que vous ne manquez pas de vilipender quand cela vous arrange…

Nous ne partageons pas la vision de la société qui s’exprime au travers de ce texte, pour des raisons politiques et sociales – vous l’aurez compris –, mais également parce qu’elle est inconstitutionnelle.

M. François Bonhomme. Carrément !

M. Fabien Gay. Eh oui !

Mme Éliane Assassi. Les tentatives de la commission pour « border » un texte inacceptable ne masquent pas un véritable aveu de culpabilité s’agissant du caractère inconstitutionnel de ce texte.

Nous regrettons d’ailleurs de ne pas disposer d’un avis du Conseil d’État. Porter atteinte au droit de grève pour l’ensemble des transports de personnes, maritimes, terrestres et aériens, ne peut se faire à la hussarde, sans éléments juridiques tangibles.

Votre exposé des motifs est à ce titre assez fascinant. Il évoque pêle-mêle la liberté d’aller et venir et la liberté du travail comme principes qui justifieraient des restrictions au droit de grève.

Pour ce qui concerne la liberté d’aller et venir, doit-on vous rappeler que les transports terrestres, maritimes ou aériens ne sont qu’une des modalités d’exercice de cette liberté, puisqu’il existe toujours des alternatives, telles que la voiture, le vélo, la marche ? (Protestations sur des travées du groupe Les Républicains.)

Quant à la liberté du travail, elle n’existe pas, vous le savez bien ; elle n’a jamais été reconnue par le Conseil constitutionnel, contrairement au droit au travail, défini comme un droit social garanti par le Préambule de la Constitution de 1946.

L’exposé des motifs mentionne également la « liberté d’accès au service public », alors que les principes reconnus par la jurisprudence sont ceux d’« égal accès aux services publics » et de « continuité du service public ». Pourquoi autant d’inepties ?

Si nous nous référons bien aux mêmes principes constitutionnels, la seule conciliation dont nous pouvons convenir est celle qui doit être recherchée entre le droit de grève et le principe de continuité des services publics. Dans ce cadre, il existe une jurisprudence à laquelle il convient de se référer.

Ainsi, la décision du Conseil constitutionnel du 25 juillet 1979 « Droit de grève à la radio et à la télévision » que vous avez mentionnée, monsieur Retailleau, a certes laissé au législateur la faculté d’apporter des limitations au droit de grève en vue d’assurer la continuité du service public, mais j’aurais aimé que vous citiez jusqu’au bout le texte de cette décision, qui spécifie que « ces limitations [ne] peuvent aller jusqu’à l’interdiction du droit de grève aux agents » que pour ceux « dont la présence est indispensable pour assurer le fonctionnement des éléments du service dont l’interruption porterait atteinte aux besoins essentiels du pays ». Ce n’est quand même pas la même chose !

La question est donc de savoir définir ces « besoins essentiels du pays » qui justifient la réquisition. Nos positions, de ce point de vue, divergent : nous considérons pour notre part que le champ de ces besoins doit être limité aux enjeux de sécurité et de sûreté nationales. D’ailleurs, le rapport Mandelkern du Conseil d’État, base du projet de loi de 2007, reconnaissait lui-même l’existence d’une très grande incertitude sur ce point. Les auteurs de ce rapport notaient également que l’interdiction du droit de grève sur le fondement des « besoins essentiels du pays » doit être limitée au strict nécessaire.

Tel n’était pas le cas dans le texte initial de cette proposition de loi, qui prévoyait le maintien d’un tiers du trafic. On était bien loin de cette « stricte nécessité », et même du principe de proportionnalité, également reconnu par le Conseil constitutionnel lorsqu’il est porté atteinte à un droit de valeur constitutionnelle.

Dans le même esprit, l’instauration d’une carence de trois jours avant le recours à la réquisition n’est pas de nature à garantir cette stricte proportionnalité.

Par ailleurs, le choix fait par la commission, pour éviter cet écueil, de renvoyer la définition des services essentiels, et donc du niveau de réquisition, aux autorités organisatrices reste problématique. Rien ne garantit que certaines autorités ne feront pas le choix d’un service minimum allant au-delà du tiers des dessertes initialement prévu.

En outre, nous estimons qu’il s’agit d’un jeu dangereux. Que les autorités organisatrices exercent leur compétence en matière de transports, c’est une chose ; en faire des acteurs du rapport de force qui s’établit dans le cadre d’un mouvement social, c’est autre chose. Il n’est d’ailleurs pas certain que les élus souhaitent endosser cette responsabilité sociale de facilitateur ou de censeur de grève.

J’ajoute que donner aux collectivités compétence pour définir les services essentiels et les modalités du droit de grève ne peut que renforcer les inégalités de situations, en totale contradiction avec le principe d’égal accès aux services publics.

Le droit de grève ne peut souffrir cette « balkanisation ». Il faut rappeler que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 juillet 1980, a précisé qu’il appartenait au législateur de déterminer les limites du droit de grève. Il revient donc au Parlement, et non aux collectivités territoriales, de définir les modalités d’exercice de ce droit.

Cette même décision indique également que la loi ne saurait comporter aucune délégation au profit du Gouvernement, de l’administration ou de l’exploitant du service en matière de réglementation du droit de grève. Ainsi, laisser aux autorités organisatrices le soin de définir les services essentiels et à l’entreprise l’exercice de la réquisition est manifestement inconstitutionnel.

Par ailleurs, ce dispositif, qui vise à organiser la mise en place de dessertes garanties, soulève le problème de la traduction de la multiplicité des rapports des pouvoirs locaux par la multiplicité des conditionnements du droit de grève et des inégalités dans son exercice, liée notamment à la difficile ouverture à la concurrence des transports régionaux.

Vous l’aurez compris, nous estimons que cette proposition de loi est inconstitutionnelle. Pis encore, elle constitue une provocation inacceptable pour tous ceux –salariés des services de transports, mais aussi avocats, enseignants, médecins, agents territoriaux... – qui, courageusement et en toute responsabilité, se mettent en grève et battent le pavé, non pas pour eux, mais pour le plus grand nombre (Marques d’ironie sur des travées du groupe Les Républicains.), cette masse invisible que les puissants veulent toujours plus pauvre et plus docile, toujours plus dépourvue de droits et de libertés.

Pour exister dans un contexte social et politique qui ne vous est pas, pour le moins, favorable, vous n’hésitez pas à brandir des propositions de loi plus attentatoires les unes que les autres aux libertés collectives et individuelles, ce qui, à mes yeux, est un signe de faiblesse, et non de force. Cessez de jouer les pompiers pyromanes !

Pour réduire la conflictualité sociale, demandez avec nous le retrait du projet de loi de réforme des retraites. Vous verrez, tout rentrera dans l’ordre ! (M. Bruno Retailleau sourit.) Demandez avec nous l’instauration d’un dialogue social respectueux des syndicats ! Exigez enfin le maintien et le développement du service public afin de garantir aux usagers fiabilité, confort et sécurité !

En conclusion, je vous serais reconnaissante de ne pas convoquer Maurice Thorez, sauf à citer l’intégralité de ses propos : « Il faut savoir terminer une grève dès que la satisfaction a été obtenue. Il faut même savoir consentir au compromis si toutes les revendications n’ont pas encore été acceptées mais que l’on a obtenu la victoire sur les plus essentielles. » C’est aujourd’hui loin d’être le cas, mes chers collègues, d’où de nouvelles journées de grève, comme celle de jeudi prochain !

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