Aménagement du territoire et développement durable
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Il est incompréhensible d’autoriser le cyanure alors que le mercure a été interdit
Lutte contre le dérèglement climatique : article 20 -
Par Fabien Gay / 17 juin 2021Nous tenons beaucoup à cet amendement, issu d’une proposition de loi déposée par notre groupe en janvier 2019 visant à interdire l’utilisation de cyanure dans l’exploitation minière aurifère et argentifère.
J’y avais travaillé, à l’époque, avec beaucoup d’associations et d’ONG, parmi lesquelles Ingénieurs sans frontières, mais aussi avec les peuples autochtones, notamment avec les Kali’nas de Guyane, qui mènent le combat contre la Montagne d’or, que vous venez d’évoquer, madame la ministre.
Il serait incompréhensible que nous continuions à autoriser l’utilisation le cyanure, alors que nous avons interdit l’usage du mercure et que le cyanure a déjà été interdit par d’autres pays, notamment par l’Allemagne. Vous le savez, dans les mines industrielles, la cyanuration peut causer des dommages irréversibles au vivant et à la biodiversité, comme ce fut le cas en Roumanie en 2000 ou au Brésil en 2015, et on ne sait pas encore quel impact ont les boues cyanurées à long terme, notamment dans la forêt amazonienne.
Aujourd’hui, il y a une cinquantaine de projets de mines industrielles en Guyane, qui menacent directement 360 000 hectares de forêt amazonienne ; mais c’est beaucoup plus que cela, d’abord pour les peuples autochtones.
Alors, madame la ministre, puisque nous nous engageons dans une grande réforme du code minier, il est temps de le mettre en adéquation avec notre volonté écologique et sociale. Il serait incompréhensible que nous ne débattions pas de l’utilisation du cyanure. Nous n’avons pas la volonté de toucher à la liberté d’entreprendre, parce qu’il existe des solutions de substitution, expérimentales, certes, et moins rentables que le cyanure, mais il en existe.
Mme Barbara Pompili, ministre. Lesquelles ?
M. Fabien Gay. Nous devons donc débattre de l’utilisation du cyanure. Si vous pouviez nous dire ici que celle-ci est sûre et ne présente aucun risque pour le vivant, pour l’être humain et pour la biodiversité, je serais preneur des études sur lesquelles vous vous fonderiez, car tout démontre le contraire et, lorsque se produit un accident, il est dévastateur pour tout l’écosystème.
D’où cet amendement. Je vous remettrai un exemplaire de notre proposition de loi ; nous serons toujours prêts à en débattre, y compris après l’examen de ce texte.
Madame la ministre, puisque vous citez le BRGM, sachez que le thiosulfate n’en est plus au stade de la recherche et développement ; cela fonctionne, mais, oui, c’est vrai, c’est moins rentable que la cyanuration. Vous privilégiez donc la rentabilité économique des opérateurs privés par rapport à la protection de l’environnement et des êtres vivants ; soit, mais il faut l’assumer !
Ensuite, pour que tout le monde entende bien, je rappelle que la cyanuration ne fonctionne pas seule, cela nécessite beaucoup d’autres produits.
Mme Laurence Cohen. Bien sûr !
M. Fabien Gay. Le projet de la Montagne d’or, par exemple, qui est abandonné – enfin, c’est un peu plus complexe que cela, dans la mesure où le projet Espérance suit –,…
Mme Barbara Pompili, ministre. Non, non !
M. Fabien Gay. … a besoin, pour fonctionner, de 140 000 litres d’eau par heure et 20 mégawatts d’électricité pour faire fonctionner la cyanuration, soit la consommation d’énergie de la population de Cayenne. La cyanuration requiert en outre nombre d’autres intrants : non seulement 1 200 tonnes de cyanure par an, mais aussi 6 600 tonnes de chaux, 100 tonnes de nitrate de plomb, 84 tonnes de soude, 1 800 tonnes de sodium, 60 tonnes de sulfates et 20 tonnes d’acide sulfurique.
Or tout cela, ensuite, on ne sait pas le traiter, on le met dans une fosse, qui représentera l’équivalent de trente-deux fois le stade de France, et on ne connaît pas les conséquences que cela aura à très long terme sur le vivant et sur les êtres humains. Nous l’avons malheureusement appris, parfois, les digues sautent et c’est un drame humain.
Aussi, madame la ministre, il faut assumer.
Enfin, nous débattrons de l’orpaillage illégal, mais vous savez très bien qu’un argument des mineurs consiste à affirmer que, là où il y a des mines illégales, il suffit d’en implanter une légale pour faire partir ces dernières. Pas du tout ! C’est le contraire qui se produit : les mines industrielles avec cyanuration attirent les orpailleurs illégaux, parce que ceux-ci peuvent récupérer des minerais. Ils accentuent alors les dégâts par l’utilisation du mercure. Par conséquent, plus nous développons la mine industrielle avec cyanuration, plus nous attirons des orpailleurs illégaux, qui utilisent du mercure ; c’est donc la double peine pour l’environnement et pour les peuples autochtones.
Je suis malheureux que vous refusiez cette interdiction, mais nous continuerons la lutte.