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Aménagement du territoire et développement durable

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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L’État s’est lié les mains avec la privatisation

Nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes -

Par / 7 mars 2019

Rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui la proposition de loi relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes et à l’affectation des dividendes à l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, dont la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a bien voulu me confier le rapport. Je salue au passage notre ancienne collègue Évelyne Didier, qui avait travaillé sur un texte similaire en 2014.

Ce texte, qui a été déposé le 16 janvier dernier par notre collègue Éliane Assassi et les membres du groupe communiste républicain citoyen et écologiste, vise à corriger l’erreur historique du gouvernement Villepin de 2006 et répond à une double actualité : premièrement, le renchérissement du coût de la mobilité pour nos concitoyens et la diminution de l’offre de transports collectifs, vivement soulignés par le mouvement des « gilets jaunes » et, deuxièmement, la privatisation d’Aéroports de Paris souhaitée par le Gouvernement, qui, comme celle des autoroutes, est symptomatique d’une politique de court terme où l’on dilapide les biens de l’État pour dégager des liquidités. Et j’ai la faiblesse de penser que, si la majorité sénatoriale s’est massivement opposée à la privatisation d’ADP, c’est qu’elle a pris toute la mesure du catastrophique précédent de la privatisation de 2006.

Pour rappel, le montant de la privatisation avoisinait les 15 milliards d’euros, sans compter la dette de 20 milliards d’euros qui a été transférée aux sociétés d’autoroutes. Dans le même temps, à partir de 2001, de nouvelles concessions ont été octroyées à des sociétés privées, après appels d’offres, pour des tronçons plus rentables et de taille plus réduite.

À l’heure actuelle, on recense en France 20 concessionnaires, qui sont chargés d’exploiter et d’entretenir près de 9 200 kilomètres d’autoroutes, comprenant 1 000 aires de repos et 987 échangeurs, ce qui mobilise plus de 13 000 emplois.

Aujourd’hui, au travers de ce texte, le groupe CRCE souhaite remettre cette question au cœur du débat public. Le dispositif proposé est simple : il s’agit de nationaliser 14 sociétés concessionnaires d’autoroutes. Le financement de cette opération serait assuré par un relèvement du taux de l’impôt sur les sociétés. Pour mémoire, en 2019, le produit de cet impôt devrait dépasser 31 milliards d’euros.

Précisons tout de même qu’il s’agit d’un gage pour les besoins de la procédure législative et que, naturellement, l’État n’aura aucune difficulté à faire l’avance de cette somme et à se rembourser via les recettes des péages. C’est d’ailleurs ce que les sociétés d’autoroutes ont fait en 2006. En effet – c’est important de le rappeler –, nationalisation n’est pas synonyme de gratuité.

Je vous présenterai donc, dans un premier temps, la position retenue par la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, avant de vous faire part de trois remarques générales, que je juge utiles pour éclairer nos débats.

Lors de sa réunion du 20 février dernier, la commission a souligné l’importance du sujet, en particulier dans le contexte social actuel, et la nécessité pour l’État d’user de l’ensemble des outils juridiques dont il dispose pour mieux réguler les concessions autoroutières et l’évolution des tarifs des péages supportés par les usagers.

La commission a toutefois rappelé que la hausse importante des tarifs des péages constatée au 1er février 2019 est le fruit de décisions irresponsables prises par le passé. Ainsi, en 2015, Mme Ségolène Royal, alors ministre de l’environnement, avait décidé le gel des tarifs. Toutefois, comme vous l’avez rappelé en commission, madame la ministre, les sociétés d’autoroutes font rarement des cadeaux ! Un rattrapage a été organisé, sous forme de hausses annuelles plus fortes, de 2019 jusqu’en 2023, ce qui représentera au total, pour les usagers, un surcoût de l’ordre de 500 millions d’euros.

Les différentes interventions des commissaires lors de l’examen de la proposition de loi ont ainsi permis de rappeler qu’un groupe de travail avait été constitué sur le sujet, en 2014, sur l’initiative de la commission. Coprésidé par MM. Jean-Jacques Filleul et Louis-Jean de Nicolaÿ, ce groupe avait notamment suggéré d’« avancer sur le chemin d’une reprise en main par l’État des concessions autoroutières », de façon progressive et si les circonstances le justifiaient, plutôt que d’envisager la piste d’un rachat généralisé des concessions, que certains avaient évoquée, mais qu’il jugeait trop coûteuse.

Depuis 2014, les travaux menés par le Parlement et le Gouvernement ont abouti à un renforcement du dispositif législatif de contrôle des sociétés d’autoroutes. Les dispositions adoptées à cette fin dans le cadre de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques sont désormais inscrites dans le code de la voirie routière.

La transparence de la régulation du réseau autoroutier concédé demeure toutefois largement perfectible ; à titre d’illustration, la commission n’a toujours pas pu avoir accès au protocole d’accord conclu en 2015 sous la houlette de Ségolène Royal et d’Emmanuel Macron. Ce protocole a conduit, entre autres choses, à un allongement jusqu’en 2036 de la durée des concessions, en échange de nouveaux travaux mis à la charge des concessionnaires, dans le cadre d’un plan de relance autoroutier de 3,27 milliards d’euros. Le ministère des finances refuse toujours de communiquer ce document, s’abritant derrière son « caractère transactionnel ».

La question de la communicabilité de ce protocole sera tranchée la semaine prochaine par le Conseil d’État, à la suite des démarches d’un citoyen exigeant, M. Raymond Avrillier. Sans préjuger de sa décision, on se contentera de souligner que, le 20 février dernier, la rapporteure publique du Conseil d’État a conclu au rejet du pourvoi du ministre de l’économie d’alors, M. Emmanuel Macron, et à la communication de l’accord du 9 avril 2015 à M. Avrillier.

Lors des auditions que j’ai conduites en tant que rapporteur de ce texte, j’ai renouvelé cette demande ; le même refus m’a été malheureusement opposé. C’est, à mes yeux, inacceptable, car il s’agit bien de l’argent du contribuable !

Aussi, je souhaiterais que Mme la ministre nous indique officiellement les raisons qui l’empêchent de transmettre ce protocole, pourtant essentiel au travail de contrôle de l’action du Gouvernement qui est confié au Parlement aux termes de la Constitution.

Compte tenu du coût d’une renationalisation immédiate, sans doute supérieur à 50 milliards d’euros, de l’impréparation de l’État pour la reprise en main de l’exploitation des autoroutes, et de la proximité des échéances prévues pour certaines concessions, la commission a considéré, contre mon avis, que l’option de la renationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes devait être écartée.

J’en viens maintenant aux trois remarques évoquées en introduction, qui sont essentielles pour la clarté de nos débats.

En premier lieu, je considère que l’État s’est lié les mains avec la privatisation, s’enferrant toujours plus dans des montages contractuels complexes. Ainsi, en dépit des mauvaises expériences passées, l’État s’est réengagé en 2017 dans un plan d’investissement autoroutier. Ce plan devait, à l’origine, s’élever à 900 millions d’euros, mais l’Arafer a réduit cette somme à 700 millions d’euros.

Aujourd’hui, l’État n’est plus en mesure de défendre ni ses intérêts patrimoniaux ni l’intérêt général, en dehors d’un cadre contractuel qui a à peine évolué depuis le début de la construction des autoroutes, en 1955 !

J’en viens à ma deuxième remarque : à mon sens, l’exploitation des autoroutes n’est pas un marché risqué, même si la définition juridique d’une concession implique le contraire. Les bénéfices réalisés par les sociétés concessionnaires le confirment : ces entreprises se portent très bien !

Par ailleurs, le prix du pétrole a chuté de 70 % entre 2014 et 2016, favorisant la croissance du trafic, tirée par l’accroissement continu des échanges commerciaux. Ainsi, pour les véhicules légers, le trafic a été en hausse de 12 % entre 2010 et 2017, tandis que celui des poids lourds a retrouvé en 2017son niveau d’avant la crise.

En outre, la baisse des taux d’intérêt constatée depuis plusieurs années et soutenue par la politique accommodante de la Banque centrale européenne permet aux sociétés d’autoroutes de se refinancer à des taux bien plus faibles et donc avantageux.

Enfin, les tarifs kilométriques moyens des péages ont constamment augmenté, au-delà même de la formule d’évolution tarifaire annuelle fixée à 70 % de l’inflation, pour les sections historiques, et à 85 %, pour les sections récentes. La hausse moyenne annuelle des tarifs des péages a été de 1,36 % entre 2011 et 2019. L’État a en effet accepté que les sociétés d’autoroutes répercutent sur les tarifs des péages la hausse de la taxe d’aménagement du territoire et de la redevance domaniale, à hauteur de 0,22 point sur cette période. Par ailleurs, au sein de l’évolution des tarifs des péages, 0,5 point est attribuable aux travaux supplémentaires mis à la charge des concessionnaires.

En revanche, le financement des infrastructures est totalement insatisfaisant : sur les 14,8 milliards d’euros récupérés par l’État lors de la privatisation, somme qui devait être affectée au financement des infrastructures, seuls 4 milliards d’euros ont effectivement été attribués in fine à l’Afitf ; le reste est venu alimenter le budget général de l’État.

Ma dernière remarque sera la suivante : l’État peut tout à fait reprendre en main les concessions dès maintenant, sans attendre leurs arrivées à échéance, qui s’échelonnent globalement entre 2031 et 2086. On a plusieurs fois évoqué l’idée de constituer un établissement public industriel et commercial « Routes de France » chargé de gérer l’ensemble des 9 200 kilomètres du réseau autoroutier. Cet EPIC serait soumis à un contrat d’objectifs et de performance comportant des critères forts en matière d’aménagement du territoire, d’efficacité environnementale et de différenciation des tarifs selon des motifs sociaux. Une telle idée me semble plus que pertinente. Ainsi, la fin des concessions permettrait d’avoir des débats sur la gratuité des autoroutes, la mobilité partagée, ou encore la mobilité connectée.

Enfin, mes chers collègues, je vous rappelle qu’attendre la fin des concessions ne nous donne aucune garantie quant à de futures hausses de tarifs, du fait des nouveaux investissements qui pourraient être demandés par l’État aux sociétés concessionnaires. C’est un pari risqué !

C’est pourquoi le groupe CRCE et, à titre personnel, votre rapporteur proposent de renationaliser les sociétés concessionnaires d’autoroutes. La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable ne nous a toutefois pas suivis et a voté contre le texte.

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