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Aménagement du territoire et développement durable

Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.

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Un pas supplémentaire pour la protection de la biodiversité

Reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages -

Par / 19 janvier 2016

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, quatre ans après la conférence environnementale, nous voici enfin réunis pour débattre du projet de loi visant à la reconquête de la biodiversité.

Nous le savons tous : protéger aujourd’hui la biodiversité, c’est créer les conditions pour assurer demain un avenir à l’humanité.

La France a une responsabilité particulière.
Grâce à ses territoires d’outre-mer et à l’importance de son espace maritime, le deuxième au monde – ce n’est pas mon collègue Paul Vergès, que je salue, qui me contredira –, elle est l’un des pays les plus remarquables par la richesse et la diversité de ses paysages et de ses écosystèmes.

Ce texte est attendu. Après la loi fondatrice de 1976, il marque un pas supplémentaire pour la protection de la biodiversité. Nos débats, je l’espère, seront par leur qualité à l’image des travaux de la commission, marqués par un climat constructif sous la houlette de notre rapporteur Jérôme Bignon.

L’entreprise de définition réalisée dans ce texte, notamment au titre Ier, est considérable ;
elle constitue un atout important de ce projet de loi. Nous partageons en particulier la définition de la biodiversité comme un système vivant, dynamique et interactif. C’est une avancée importante, qui rompt avec l’approche patrimoniale de la loi de 1976.

Il est par ailleurs bienvenu de placer cette définition dans une vision écosystémique en évolution permanente. Outre la protection des espèces et espaces remarquables, il s’agit aujourd’hui toujours plus de favoriser la biodiversité ordinaire et les corridors écologiques et de permettre aux espèces de faire face aux conséquences du changement climatique ou au morcellement de leur habitat, y compris en milieu urbain. Ces questions sont au cœur de ce texte.

Il y a urgence à agir pour la biodiversité. Les chiffres ont largement été rappelés par Mme la ministre et notre rapporteur, je n’en citerai qu’un : chaque année, ce sont 17 000 espèces qui disparaissent. Les scientifiques parlent d’une sixième crise d’extinction des espèces et estiment que 60 % des services écosystémiques mondiaux sont dégradés.

Nous nous trouvons donc, comme pour la question du climat, à un moment charnière. Il y a dix ans déjà, nous avions organisé ici même un colloque sur cette question, sous la houlette des sénateurs Jean-François Le Grand et Marie-Christine Blandin, colloque qui avait bénéficié du parrainage d’Hubert Reeves, président de la ligue ROC, devenue Humanité et Biodiversité.

Durant ces dix années, les consciences ont continué de progresser. Le constat que l’activité humaine est à l’origine de la dégradation écologique a été validé. De même, nous savons maintenant que l’humanité en subit les conséquences.
L’idée qu’il faut redéfinir ce qu’est le progrès et les conditions qui sont nécessaires pour y conduire émerge de plus en plus fort dans la société. Nicolas Hulot nous appelle d’ailleurs à oser changer la société.

Parmi les mesures phares du présent projet de loi figure, au titre III, la création, initialement prévue au 1er janvier 2016 puis repoussée au 1er janvier 2017, d’une Agence française pour la biodiversité, ou AFB. La création de cet opérateur unique devrait être gage de cohérence et d’efficacité. Elle traduit un changement d’approche et la volonté de cesser de cloisonner biodiversités sèche, humide et aquatique, puisque le vivant est un tout. Cette démarche est la bonne.

Cet établissement public sera chargé d’animer et de coordonner la mise en œuvre des politiques publiques dans les domaines de la connaissance, de la prévention, de la conservation et de la protection de la biodiversité.

Aujourd’hui, 225 millions d’euros sont annoncés pour cette agence. Ils correspondent à la simple addition des moyens des entités existantes fusionnées. Les 60 millions d’euros supplémentaires correspondent à des aides apportées dans le cadre des investissements d’avenir. L’appel à projets pour ces aides a été confié par le ministère à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, qui n’a pas de compétence particulière en interne sur la biodiversité. C’est quelque peu étrange et, finalement, c’est bien peu d’argent !

Rappelons que les premiers travaux de préfiguration de 2013 chiffraient les besoins à 400 millions d’euros par an, chiffre repris par le second rapport de préfiguration, remis en juin dernier.

Une chose est claire : la seule fiscalité de l’eau ne pourra financer l’ensemble de la biodiversité. Or, tel qu’il est prévu, le budget de l’AFB sera pour majeure partie lié aux ressources des agences de l’eau via l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’ONEMA. Les agences contribueront ainsi à hauteur de 150 millions d’euros.

Or ces ressources proviennent à 80 % des ménages, à travers leurs factures d’eau. Ce financement de la biodiversité par les ménages est particulièrement infondé !

Dans ce cadre, l’élargissement des compétences des agences de l’eau à l’ensemble de la biodiversité, prévu dans un amendement gouvernemental adopté par l’Assemblée nationale, ne peut nous satisfaire.

Nous pouvons comprendre que ces agences financent des projets liés au milieu marin en raison de la continuité des eaux douces, littorales et marines. En revanche, étendre leur compétence à l’ensemble de la biodiversité terrestre va beaucoup plus loin. Cette mesure ouvre en effet la voie à un désengagement financier total de l’État, qui se reposerait sur les seules agences de l’eau. Rappelons que le Grenelle de l’environnement avait formulé l’objectif d’engagement de 300 millions d’euros par an de crédits budgétaires en faveur de la biodiversité. Avec 150 millions d’euros inscrits au budget de 2016, nous en sommes loin !

En outre, ce chiffre ne prend pas en compte la contribution directe des agences de l’eau au budget de l’État par le prélèvement sur leur fonds de roulement. Elles devront faire plus à ressources constantes tout en continuant d’alimenter le budget de l’État. Comment ne pas craindre, dans ce cadre et faute de ressources supplémentaires, une hausse des redevances pour les usagers ?

La mission de préfiguration renvoie maintenant la question financière au Comité pour l’économie verte. Il faut espérer que ses conclusions ne subiront pas le même sort que celui réservé par Bercy aux préconisations formulées en matière fiscale par le groupe « déchets » de ce comité.

Un débat doit rapidement être ouvert sur les moyens, comme le préconise l’avis rendu en décembre 2013 par le Conseil national de la transition écologique, ou CNTE, sur le présent projet de loi. La conférence nationale de Strasbourg, en mai 2015, consacrée à l’AFB, ainsi que les Assises nationales de la biodiversité, en juin de la même année, ont rappelé la nécessité de ce débat. Nous vous avons alertée, madame la ministre, lors du débat budgétaire, quand bien même nous savons que tout ne dépend pas de vous !

La loi de finances pour 2016 prévoit 76 nouvelles suppressions d’emploi dans les établissements publics de l’État chargés de l’eau et de la biodiversité, dont la moitié dans le périmètre de la future AFB !

L’absence d’un dialogue plus poussé avec les organisations syndicales est un problème. En effet, les personnels de l’environnement vivent la création de l’AFB non comme la chance qu’elle pourrait constituer, mais comme la suppression de l’ONEMA. Nous regrettons que les discussions concernant la situation des contractuels, s’agissant à la fois de leur nouveau statut et des conditions de leur titularisation, soient à l’arrêt. Peut-être des avancées dont vous pourrez nous informer sont-elles intervenues entre-temps, madame la ministre ?

Pour défendre la biodiversité, il faut des agents du service public reconnus et valorisés, dans leurs statuts et dans les conditions d’exercice de leurs missions. Les personnels de l’environnement seront en grève le 4 février prochain, à l’appel de leur intersyndicale. Nous les soutiendrons.

En ce qui concerne la gouvernance, nous estimons que la cohérence, les missions et même les financements de la future AFB pâtiront de l’absence de l’ONCFS en son sein, situation à laquelle certains sont favorables, mais nous pensons que ces deux organismes auront intérêt à être réunis. J’ai bien compris que l’on cherchait pour l’instant à les faire travailler ensemble, mais nous espérons que cette situation évoluera vers une intégration et nous proposerons l’adoption d’un amendement en ce sens, ne serait-ce qu’à titre d’appel.

Si nous avons proposé et fait adopter la création de délégations territoriales de l’agence, disposition sur laquelle vous nous avez indiqué que vous reveniez, madame la ministre, c’est que nous entendions allier la nécessaire proximité et la nécessaire adaptation territoriale de politiques nationales. Le Gouvernement, au travers de l’amendement déposé, organise quant à lui une mutualisation avec les régions volontaires. Vous nous avez expliqué votre souci de pragmatisme, souci que nous comprenons. Nous pensons tout de même qu’il s’agit à terme de déléguer les missions, ce qui ouvre sans doute la voie à un transfert de compétence. Vous le savez, nous ne partageons pas cette philosophie. De plus, une telle situation ajoute de l’incertitude et une inquiétude quant à de possibles redéploiements pour les agents de l’État.

Dans ce cadre, le rapprochement prévu des polices de l’environnement est un signal positif à conforter, à condition qu’il ne s’agisse pas d’un énième plan pour réduire les moyens, comme ce fut le cas avec la RGPP en 2008.

La concrétisation du projet dépendra donc en définitive d’une clarification des objectifs, de l’engagement des moyens budgétaires supplémentaires de l’État, de l’identification des coopérations entre les services, les établissements publics de l’État et l’ensemble des collectivités territoriales qui, il faut le souligner, jouent un rôle moteur en matière d’investissement en faveur de la biodiversité.

Nous saluons la création, au titre II, du Comité national de la biodiversité, structure commune qui doit permettre à l’ensemble des instances ayant un rapport avec la biodiversité de communiquer et de travailler ensemble.

Le titre IV transpose le protocole de Nagoya, qui modifie la convention sur la diversité biologique de 1992. L’objectif est de prévoir un dispositif d’accès aux ressources génétiques, présentes sur notre territoire, et aux connaissances traditionnelles associées, et de définir les modalités de partage des avantages issus de l’utilisation de ces ressources. Nous proposerons des amendements pour garantir une plus grande équité dans ce partage.

Cependant, ce dispositif est contestable sur le fond. En effet, en 1992, on a fait le choix de conserver la biodiversité par la mise en marché de ses éléments, les « ressources génétiques ». Or nous continuons de penser que ces ressources ne devraient pas être assimilées à des biens marchands. Nous proposerons des amendements sur la notion de « services écosystémiques », le calcul de leur valeur monétaire, la multiplication des brevets sur le vivant, parce que cela participe de la privatisation de la nature et contribue à l’appauvrissement de la notion de bien commun, à laquelle nous tenons beaucoup et qui devrait à notre avis prévaloir.

L’argument est que les marchés ne pourraient pas prendre en compte les biens sans valeur monétaire. Je sais que certains ici se sont résolus à accepter la notion de « ressources génétiques », au motif que ce serait un moindre mal. Mais, si tous les pays du monde et l’OMC décidaient de faire de la politique, on pourrait affirmer que l’économie est au service des hommes, et pas le contraire ! Mais je rêve…
(Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)

M. Hubert Falco. Continuez à rêver !

Mme Évelyne Didier. Parlons maintenant du titre V.

Le projet de loi crée ou renforce des outils pour la protection de l’environnement, comme les obligations réelles environnementales, la création d’espaces de continuité écologique, l’extension de la protection des espèces à la zone économique exclusive et au plateau continental, les sanctions renforcées en cas d’atteinte à la biodiversité, une cohérence consolidée au sein des documents d’urbanisme des collectivités territoriales, pour ne citer que quelques mesures. C’est considérable, et nous en sommes heureux.

Cependant, nous regrettons l’évolution du débat en commission qui a conduit à la suppression de l’article sur les produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes. Nous proposerons son rétablissement.

Concernant le titre VI, qui porte sur les paysages, nous sommes satisfaits de la réécriture effectuée par la commission, car elle permet de conserver pour l’avenir la possibilité de désigner des sites « inscrits ».

J’en viens au sujet qui nous préoccupe particulièrement : les réserves d’actifs naturels.

Les dispositions insérées à l’Assemblée nationale visent à définir les conditions de la compensation en application du principe « ERC », reconnu dans notre droit et prévu dans les traités internationaux, principe selon lequel il convient d’abord d’éviter, puis de réduire, enfin seulement de compenser les effets des activités humaines sur la nature et la biodiversité.

En engageant la réglementation de cette compensation à l’aide d’un dispositif dit de « réserve d’actifs », ce projet de loi fait un pas dans le sens de la financiarisation de la biodiversité : payer pour avoir le droit de polluer, en somme… Nous ne sommes pas certains que ce dispositif ait démontré son efficacité, mais, mon temps de parole étant épuisé, je me bornerai à dire que nous espérons que nos débats permettront de faire évoluer le projet de loi sur ce point.

Voilà, mes chers collègues, les quelques éléments que je voulais évoquer à l’ouverture de nos débats sur un sujet qui mériterait autant d’engagement que le climat.

Madame la ministre, à quand une COP à Paris sur la biodiversité ?

Un sénateur de l’UDI-UC. Pourquoi à Paris ?

Mme Ségolène Royal, ministre. Il y en aura une au Mexique en décembre.

Mme Évelyne Didier. Madame la ministre, je salue à cet instant votre engagement, votre écoute et celle de M. le rapporteur. Nos réserves sont réelles, mais elles ne nous empêchent pas d’avoir un regard positif sur le texte en l’état et de reconnaître les progrès accomplis.

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