Finances
Avant d’être débattu et voté en séance publique, chaque projet ou proposition de loi est examiné par l’une des sept commissions permanentes du Sénat : lois, finances, affaires économiques, affaires étrangères et Défense, affaires culturelles, affaires sociales, aménagement du territoire et du développement durable. Classées par commissions, retrouvez ici les interventions générales et les explications de vote des sénateurs CRC.
Abandonnez les illusions libérales !
Orientation des finances publiques et règlement du budget de l’année 2013 -
Par Thierry Foucaud / 15 juillet 2014Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, lors du débat sur le projet de loi de finances rectificative, notre collègue Didier Guillaume avait déclaré ceci : « La cohérence de notre projet, c’est de faire en sorte que les efforts de redressement des finances soient le mieux répartis possible. Quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, quelles que soient les positions des uns et des autres, toutes respectables, il faut regarder les choses en face. Il y a ceux qui assument le fait que tout le monde, y compris les collectivités, doive participer, le fait que l’effort doive être réparti, même s’il peut sembler lourd, et ceux qui ne veulent pas ″mettre les mains dans le cambouis″. Pour notre part, nous les y mettons, parce qu’il est important que le redressement du pays se fasse dans la justice. »
La discussion de cet après-midi porte à la fois sur le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2013 et sur la mise en œuvre de la loi d’orientation sur les finances publiques, par le truchement du débat d’orientation. À la lumière des propos tenus par notre collègue, il est intéressant d’examiner si chacun est bien sollicité en fonction de ses capacités, comme le prévoit notre Constitution, pour répondre aux obligations d’intérêt général.
Le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes est un ensemble d’articles de récapitulation comptable des faits constatés dans le cadre de l’exécution de la loi de finances pour 2013, qui, je le rappelle, a été rejetée par le Sénat.
En 2013, le déficit a connu une baisse supplémentaire, mais moindre que l’année précédente. Ce ralentissement de la baisse du déficit budgétaire résulte d’une insuffisance de recettes, et non d’une augmentation de la dépense publique.
Dans ce contexte, certains s’empressent, comme cela vient d’être fait, d’invoquer le théorème de Laffer,…
Mme Nicole Bricq. Pas nous !
M. Thierry Foucaud. … selon lequel : « Trop d’impôt tue l’impôt ».
M. Philippe Dallier. C’est la réalité !
M. Thierry Foucaud. Il convient plutôt d’établir une évidente causalité entre ralentissement de l’activité économique et dynamisme modéré des recettes fiscales, alors que la croissance du PIB s’est élevée à 0,3 % en 2013. Le décalage croissant entre les recettes fiscales prévues et constatées persiste en 2014 a conduit le Gouvernement à présenter un projet de loi de finances rectificative comportant plusieurs milliards d’euros de contraction des recettes fiscales.
Vous le savez, nous ne voterons pas le projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2013.
J’en viens aux éléments de langage utilisés pour justifier les choix proposés. On nous parle d’efforts « partagés ».
En plus de réduire ses propres dépenses, l’État continuera en parallèle à transférer des charges aux collectivités territoriales – je pense à la réforme des rythmes scolaires, pour évoquer l’exemple le plus récent – et à leur serrer la vis, en baissant de 22 milliards d’euros sur trois ans le montant des concours budgétaires qui leur sont attribués ; au total, la diminution aura atteint 28 milliards d’euros en quatre ans.
En outre, l’avenir des collectivités territoriales est suspendu à l’adoption ou au rejet d’une réforme territoriale qui n’est, à mes yeux, ni faite ni à faire. En vérité, elle n’est que la copie française d’une orientation européenne ayant déjà donné de remarquables résultats dans des pays aussi divers que le Portugal, la Grèce ou l’Italie…
Dans les faits, une telle incertitude institutionnelle vise à soumettre le premier échelon de pouvoir démocratique, la commune, à la double domination du président du conseil régional et de l’État, devenu prescripteur de politiques définies « en haut » pour s’appliquer coûte que coûte « en bas ».
Dans ce schéma, la décentralisation disparaît, comme en témoigne le fameux droit d’option des départements, qui évite, comme par hasard, le recours à la consultation populaire ; sans doute un mauvais souvenir de la démarche infructueuse engagée en 2013 en Alsace… (Sourires sur les travées du groupe CRC.)
Le Président de la République et le Gouvernement attendent beaucoup de la réforme territoriale en termes de réduction du déficit budgétaire. Mais, nous le savons tous, une telle évolution aboutira à une dégradation de la vie de nos habitants, qui perdront peu à peu les services publics, dont tout le monde a loué le rôle déterminant dans la réduction des inégalités et l’amortissement de la crise financière.
Il en va de même pour la sécurité sociale. Pensez-vous vraiment qu’il soit conforme à la justice et à l’équité de geler les retraites, de réduire les dotations des hôpitaux et de rogner les prestations familiales ? Encore ne sont-ce là que quelques-unes des mesures prévues. Devoir se priver d’une sécurité sociale de haut niveau dans une économie nationale qui n’a jamais été aussi riche et productive, voilà en vérité une étrange conception de la justice et de l’équité !
La politique menée par le Gouvernement en matière de sécurité sociale est la parfaite illustration du risque dénoncé dès l’origine par son créateur, le ministre communiste Ambroise Croizat : « Faire appel au budget de l’État, c’est inévitablement subordonner l’efficacité de la politique sociale à des considérations purement financières qui risqueraient de paralyser les efforts accomplis. »
Il faut bien le reconnaître, nous faisons face, dans le domaine de la sécurité sociale, à quelques enjeux majeurs.
D’une part, on constate une persistance des déficits sociaux combinée à la prégnance toute particulière de la prise en charge par l’État des cotisations sociales des entreprises.
Au cours de sa conférence de presse de ce midi, notre collègue Michelle Demessine a souligné la dangereuse accoutumance du monde économique aux exonérations de cotisations sociales, qui représentent plus de 10 % du montant des cotisations normalement dues. Elle a rappelé que 210 milliards d’euros d’exonérations avaient été distribués depuis 1993. L’emploi s’en porte-t-il mieux qualitativement et quantitativement ? Pas du tout : il y avait 3 millions de chômeurs en 1993 et qu’il y en a 5,6 millions aujourd’hui ! Voilà la réalité, mes chers collègues !
D’autre part, alors que la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, supporte plus de 130 milliards d’euros de passif à apurer, la situation des comptes sociaux n’a connu aucune évolution sensible du point de vue des ressources.
Le taux de cotisation des entreprises pour la branche famille, qui était de 5,40 % au mois de juillet 1993, vient d’être ramené à 5,25 %. En revanche, le taux de cotisations sur les salaires prévu pour l’assurance vieillesse jusqu’au plafond de la sécurité sociale, qui était de 8,20 % en 1993, a été porté à 8,30 % en janvier 2006, et il atteint 8,45 % depuis le mois de janvier dernier.
Dans un article paru dans la revue de l’Institut de recherches économiques et sociales, l’économiste Michel Husson fait apparaître que le niveau des cotisations sociales en 2012 est équivalent à celui des années soixante-dix, mais avec un taux employeur global de 24 % du total des rémunérations. De ce point de vue, la chute est de plus de 3 % sur le début des années quatre-vingt-dix.
En d’autres termes, c’est un problème d’insuffisance de recettes qui est à la base des difficultés de la sécurité sociale, comme de celles de l’État.
L’insuffisance des recettes est largement encouragée par une politique publique de l’emploi parfaitement inepte dans le contexte actuel. La stratégie de Lisbonne devait conduire la France sur la route de l’effort pour l’innovation, la recherche, la qualification et la création de valeur ajoutée par la matière grise. Qu’en est-il ? En assurant la rentabilité de la grande distribution et la solvabilité des entreprises de services à la personne, de nettoyage, de gardiennage et d’entretien, nous avons favorisé le développement de l’emploi précaire et de l’intérim.
En 1982, notre pays comptait un peu plus de 6 % de salariés en contrat à durée déterminée et un peu plus de 8 % de salariés à temps partiel.
En 2009, nous comptons plus de 12 % de salariés en contrat à durée déterminée et près de 18 % de salariés à temps partiel, chiffres plus actuels. Et il y a encore de belles âmes pour nous expliquer que le code du travail ne serait pas suffisamment « souple » ou « flexible », ou qu’il faudrait le « simplifier » parce qu’il compterait « trop de pages » !
M. Vincent Delahaye. C’est l’évidence !
M. Thierry Foucaud. Tout cela est réalisé et encouragé avec de l’argent public qui ne sert pas à maintenir notre équipement industriel en l’état. Notre déficit commercial extérieur le montre à l’envi.
Toujours est-il que ces politiques publiques, qui maintiennent dans la précarité des millions de salariés et leurs familles, ont des surcoûts évidents en matière d’allégements fiscaux, d’action sociale, de moins-values de recettes. Cela pèse sur les comptes publics et participe des déficits constatés.
Le budget de l’État, les comptes de la sécurité sociale et les finances locales n’ont pas vocation à prendre éternellement à leur seule charge l’ensemble des désordres économiques et sociaux que provoque l’économie libérale dans laquelle nous vivons.
Au groupe CRC, nous sommes partisans depuis toujours de la réduction des déficits publics et, par voie de conséquence, de l’évolution maîtrisée de la dette publique. Le problème, c’est que le discours sur « l’effort » reste un élément de langage. Je me suis ainsi reporté au rapport de notre éminent collègue François Marc sur le collectif budgétaire de 2014, que nous avons examiné voilà peu.
M. François Marc, rapporteur général de la commission des finances. Très bonne référence !
M. Thierry Foucaud. On trouve dans ce document un intéressant tableau sur la stratégie fiscale des années à venir. Sont retracées de manière synthétique les mesures prévues par le fameux pacte de responsabilité et de solidarité sur les années 2014 à 2017. Le total atteint, en coût et en « mesures nouvelles », la somme de 25,3 milliards d’euros, étant par ailleurs précisé que ce montant n’est pas inclus dans le coût du CICE.
Le problème, c’est que le chiffrage n’est pas juste. En réalité, les allégements de cotisations sociales supplémentaires initiés en 2015 pour 4,5 milliards d’euros vont atteindre 13,5 milliards d’euros à la fin de l’année 2017 pour les salaires compris entre 1 et 1,6 SMIC, tandis que ceux qui concernent les salaires supérieurs vont coûter 9 milliards d’euros sur deux ans.
De même, la mesure d’allégement de cotisations sociales des travailleurs indépendants, précédant l’intégration du régime social des indépendants, le RSI, dans le régime général, va coûter deux milliards d’euros supplémentaires.
Sur le plan des cotisations sociales, ce sont donc 24,5 milliards d’euros de plus qui vont être accordés en allégements aux entreprises.
Pour la « modernisation du système fiscal des entreprises », la suppression de la contribution sociale de solidarité des sociétés, dite C3S, va coûter 7,2 milliards d’euros en trois ans au budget de l’État, tandis que la disparition de la surtaxe de l’impôt sur les sociétés, ou IS, représentative de la contribution du monde économique au redressement des comptes publics, va coûter 5,2 milliards d’euros de plus.
Aux 24,5 milliards d’euros d’allégements sociaux payés sans doute in fine par la contribution sociale généralisée, la CSG, la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, et la CADES, nous ajoutons donc 12,4 milliards d’euros d’allégements fiscaux, soit un total de 36,9 milliards d’euros.
Pour faire bonne mesure, cerise sur le gâteau, on envisage de réduire le « taux facial » de l’impôt sur les sociétés de 33,33 % – vous savez très bien que le taux est, en moyenne, bien inférieur – à 32 %, voire à 28 % si l’on veut que les fruits de la croissance attendue puissent correctement alimenter les dividendes versés. Cela fera, nous dit-on, 1,5 milliard d’euros d’efforts supplémentaires pour tout le monde, sauf pour les entreprises et la finance, qui vont donc, pendant que l’on rationne les collectivités locales, se partager près de 40 milliards d’euros de nouveaux allégements sociaux et fiscaux !
Au demeurant, pour dissuader parfaitement les employeurs d’accroître les salaires de manière inconsidérée, le Premier ministre vient d’annoncer la couleur sur la seule mesure destinée aux ménages dans le cadre du pacte : un dispositif pérenne sur l’impôt sur le revenu d’un coût estimé compris entre 2,5 milliards et 2,7 milliards d’euros.
Il s’agit non d’une revalorisation du barème, comme nous avons eu l’imprudence de le proposer dans le cadre du collectif 2014, mais d’une nouvelle ristourne sur la contribution des redevables percevant un revenu inférieur à deux SMIC. Cela conduira à rembourser 400 euros payés « en trop » lors du dernier tiers provisionnel ou de la dernière mensualité de l’impôt sur le revenu ! Manuel Valls sera ensuite autorisé à remercier les généreux contribuables concernés d’avoir prêté gratuitement à l’État pendant neuf mois les sommes qui leur seront remboursées.
Il y a aussi l’allégement des cotisations sociales, destiné à augmenter le salaire net perçu par les salariés. Là encore, le MEDEF remercie le Gouvernement de creuser ainsi un peu plus le déficit de la sécurité sociale sans contraindre les entreprises à augmenter les salaires bruts. Les 7,5 milliards d’euros que devrait coûter cette mesure sont un cadeau empoisonné au monde du travail.
Pour augmenter les salaires et le pouvoir d’achat des ménages en France, il y a deux outils : il faut un décret de revalorisation du SMIC et un autre de dégel du point d’indice de la fonction publique. Les efforts ne sont donc pas si équitablement partagés que certains veulent le laisser penser.
Et ceux qui, par pure posture politique, contestent cette politique en l’ayant eux-mêmes mise en œuvre dans un passé récent ne sont pas plus qualifiés que l’actuel Gouvernement pour donner des leçons, surtout après avoir ratifié avec les parlementaires socialistes le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance, le TSCG, dont le pacte de responsabilité est une forme d’avatar.
Au mois de mai 2012, un peu plus de 18 millions de Français, partagés entre espoir, volonté et détermination, votaient en faveur du changement. Le 25 mai dernier, moins de 19 millions votaient lors du scrutin européen, dont seulement 2,65 millions en faveur du parti de l’actuel Président de la République.
Pour retrouver les autres, je ne vois décidément qu’une solution : abandonnez les illusions libérales ! Une fois, une fois seulement, menez une politique de gauche !